Analyse des spécialistes / Administration

Disparition des départements au lendemain du big bang territorial: faut-il réviser la Constitution?

Publié le 27 juin 2014 à 10h06 - par

La suppression des départements devrait faire l’objet d’une révision de la Constitution. Toute la question est de définir les étapes à suivre avant le déclenchement de cette procédure.

Cet article fait partie du dossier :


Voir le dossier

Renaud-Jean CHAUSSADE, Avocat en droit des collectivités territoriales, Counsel du cabinet Delsol Avocats

Renaud-Jean CHAUSSADE

 

Au terme de la réforme de l’organisation territoriale de la France, les départements pourraient être supprimés en tant que catégorie de collectivité territoriale. Créés sous la Révolution, ils seraient l’échelon de trop du millefeuille territorial.

La question n’est pas de discuter du bien fondé de ce diagnostic et de la pertinence de cette solution, mais d’envisager les modalités de sa mise en œuvre sur le plan constitutionnel. Le calendrier annoncé fixe une suppression possible à l’horizon 2021.

La réforme devrait suivre un processus de déconstruction des départements jusqu’à la reconnaissance de leur suppression à terme. Ce n’est donc pas d’un trait de plume que leur disparition devrait intervenir. Cet acte devrait être le dénouement d’une procédure qui en est, aujourd’hui, au stade de l’introduction.

Toujours est-il que, si les départements devaient être supprimés, la Constitution devrait être révisée. L’enjeu du débat juridique semble ainsi moins se cristalliser sur le principe que sur la programmation de la révision constitutionnelle.

La suppression des départements serait soumise à la révision de la Constitution

L’article 72 alinéa 1er de la Constitution prévoit que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les  collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 ».

La Constitution consacre l’existence des départements dans l’organisation décentralisée de la France. Ils ne sont pas reconnus comme des circonscriptions administratives de l’État mais comme des collectivités territoriales. Ce statut de collectivité territoriale est constitutionnellement protégé. La remise en cause des départements imposerait ainsi leur « déclassification » constitutionnelle. Si l’article 72 alinéa 1er permet la création de nouvelles collectivités territoriales par la loi, il n’autorise pas la suppression d’une catégorie constitutionnelle par le législateur ordinaire.

De même, une suppression masquée des départements ne saurait constituer une alternative solide. Elle serait vraisemblablement contraire à la libre administration des collectivités territoriales que le Conseil Constitutionnel définit comme « le principe selon lequel les collectivités territoriales s’administrent librement par des conseils élus [qui] implique que toute collectivité dispose d’une assemblée délibérante élue dotée d’attributions effectives » (Décision n° 2010-618 DC ; Décision n° 91-290 DC).

Il ne serait pas envisageable de conserver l’échelon administratif départemental en supprimant le conseil élu ou de maintenir une assemblée délibérante sans compétences réelles. Cette situation équivaudrait à une disparition des départements imposant une révision de la Constitution.

La révision de la Constitution serait l’ultime étape de la suppression des départements

Le processus de suppression des départements ne devrait pas être soumis, dès son amorce, à la révision de la Constitution. Sous réserve de ne pas porter atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, il est possible de conduire les premières étapes de leur suppression sans réécrire, pour l’heure, l’article 72 alinéa 1er de la Constitution.

Ce mouvement est initié. Il avait connu une préfiguration dans la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 qui instituait le conseiller territorial devant siéger dans les conseils généraux et régionaux.

Aujourd’hui, cette tendance paraît se manifester sous une double forme.

D’une part, il est de plus en plus question de la fusion-absorption du département dans une autre collectivité territoriale. Le cas de Lyon est à cet égard significatif puisqu’en application de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 MAPAM, la Métropole de Lyon remplacera la communauté urbaine de Lyon ainsi que le département du Rhône sur l’aire métropolitaine au 1er janvier 2015.

Le Conseil Constitutionnel a validé cette création qui a pour effet de faire disparaître le département sur une fraction du territoire national (Décision n° 2013-687 DC). Il est probable que la disparition du département connaisse de multiples expérimentations sur les zones urbaines des métropoles, avant d’être appliquée à tout le territoire.

D’autre part, la logique de réduction des compétences des départements constitue un signe avant-coureur de leur disparition. Elle est à l’œuvre dans le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, présenté le 18 juin 2014. Les départements perdraient le bénéfice de la clause de compétence générale. Leurs missions seraient recentrées sur l’action sociale par le transfert aux régions des compétences « collège », « voirie » et « transport ».

Ce processus est du domaine de la loi qui, en application de l’article 34 de la Constitution, détermine les principes fondamentaux « de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources ».

La révision de la Constitution n’est ainsi pas nécessaire à ce stade. Le Conseil Constitutionnel pourrait néanmoins invalider la réduction des compétences si le département devenait une coquille vide. Il devrait lui revenir le soin de déterminer le seuil en-deçà duquel le département n’aurait plus de compétences suffisantes pour être encore une collectivité territoriale au sens de la Constitution (Décision n° 84-174 DC du 25 juillet 1984).

Par conséquent, la révision de la Constitution en cas de suppression totale des départements devrait avoir lieu lorsque leur ADN serait atteint, le cas échéant, sous l’effet cumulé d’un mitage métropolitain généralisé et de l’amenuisement substantiel de leur cœur de compétences.

Renaud-Jean CHAUSSADE, Avocat en droit des collectivités territoriales, Counsel du cabinet Delsol Avocats


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Institutions et administration territoriale »

Voir toutes les ressources numériques Institutions et administration territoriale