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Réforme territoriale : une clarification bienvenue sur la clause générale de compétence

Publié le 7 octobre 2016 à 16h29 - par

Concept doctrinal issu de la formule selon laquelle « Le conseil […] règle par ses délibérations les affaires de la collectivité », la « clause générale de compétence » avait initialement vocation à protéger l’organe délibérant des collectivités territoriales contre d’éventuels débordements de leur organe exécutif. Or, son usage par les élus locaux a, par la suite, fortement contribué à la remise en question de l’efficacité du millefeuille territorial français.

Réforme territoriale : une clarification bienvenue sur la clause générale de compétence

Jean-Luc Heckenroth, Collaborateur senior - BCTG Avocats

Jean-Luc Heckenroth

Dans une décision du 16 septembre 2016, le Conseil constitutionnel vient cependant de clarifier la valeur juridique de la clause générale de compétence des départements en rejetant une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’Assemblée des départements de France (décision n° 2016-565 QPC).

Était en cause l’article 94 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République qui a notamment modifié l’article L. 3211-1 du Code général des collectivités territoriales. Cet article, non soumis à un contrôle de constitutionnalité a priori, a supprimé la clause générale de compétence des départements et justifié la parution de la circulaire du ministre de l’Intérieur du 22 décembre 2015 qui fait l’objet du litige principal devant le Conseil d’État.

Selon l’Assemblée des départements de France, la suppression de la clause générale de compétence des départements était contraire à la libre administration constitutionnellement reconnue aux collectivités territoriales. L’occasion était parfaite, pour le Conseil constitutionnel, de trancher un débat lancinant en droit des collectivités territoriales.

Après avoir exclu que la clause générale de compétence soit consubstantielle à la libre administration des collectivités territoriales, les Sages de la rue de Montpensier ont recentré cette notion autour d’un ancien critère, celui des « attributions effectives ».

Une clarification bienvenue : la clause générale de compétence n’est pas consubstantielle à la libre administration des collectivités territoriales

Au fil du temps, de nombreux auteurs ont identifié la clause générale de compétence comme une composante essentielle de la libre administration des collectivités territoriales.

Le Conseil constitutionnel n’avait notamment pas tranché clairement cette question dans une décision du 9 décembre 2010 (décision n° 2010-618 DC). En effet, il s’était alors borné à considérer que le moyen manquait en fait compte tenu de la rédaction de l’article 73 I et II de la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales déféré à sa censure.

Dans la décision du 16 septembre 2016, le moyen ne manquait pas en fait. Il a donc été loisible au Conseil constitutionnel de lever toute ambiguïté : selon lui, « le troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution n’implique pas, par lui-même, que les collectivités territoriales doivent pouvoir intervenir dans les domaines pour lesquels aucune autre personne publique ne dispose d’une compétence attribuée par la loi » (Paragraphe 5).

On peut penser que cette décision impliquera une évolution de la jurisprudence du juge administratif. En effet, selon le Conseil d’État, dès lors que le critère de l’intérêt public local est rempli (CE 30 décembre 2014, Société Armor SNC, req. n° 355563), une collectivité territoriale peut intervenir concomitamment avec d’autres à partir du moment où (i) cela n’empiète pas sur les compétences exclusives d’une autre collectivité et (ii) cela n’est pas interdit par la loi (CE 29 juin 2001, Commune de Mons en Bareuil, req. n° 193716).

La logique des « blocs de compétences » devrait désormais prévaloir devant le juge administratif pour les départements comme, d’ailleurs, les régions.

La mise en avant d’un ancien critère : celui des « attributions effectives » nécessitant l’intervention du législateur

Selon l’exposé des motifs du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, « à la clause générale qui permettait jusqu’à présent aux régions et aux départements d’intervenir en dehors de leurs missions principales, parfois de manière concurrente, se substitueront des compétences précises confiées par la loi à un niveau de collectivité ».

Le Conseil constitutionnel valide cette logique en faisant primer le critère des « attributions effectives » pour définir la libre administration des collectivités territoriales.

Invoquant les articles 34 et 72 de la Constitution, le Conseil indique que « compte tenu de l’étendue des attributions dévolues aux départements par les dispositions législatives en vigueur, qu’il s’agisse de compétences exclusives, de compétences partagées avec d’autres catégories de collectivités territoriales ou de compétences susceptibles d’être déléguées par d’autres collectivités territoriales, les dispositions contestées ne privent pas les départements d’attributions effectives » (Paragraphe 8).

Cette décision a pour mérite d’énoncer assez clairement des types d’attributions effectives, ce dernier critère n’étant pas nouveau (cf. notamment la décision n° 85-196 DC du 8 août 1985).

Conformément au principe de subsidiarité prévu par le deuxième alinéa de l’article 72 de la Constitution, il appartient au législateur de veiller à doter chaque échelon de collectivités d’« attributions effectives » cohérentes, sachant que le Conseil constitutionnel n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’application dudit principe de subsidiarité (décision n° 2005-516 DC 7 juillet 2005, Loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique).

Or, en pratique, ce n’est pas toujours la vie locale, mais parfois les imprécisions du législateur, qui invitent les élus locaux à mettre en concurrence plusieurs échelons de collectivités. Aussi peut-on gager que, si la décision du 16 septembre 2016 était bienvenue, elle ne suffira vraisemblablement pas à mettre fin à tout questionnement sur l’efficacité du millefeuille territorial français.

 

Jean-Luc Heckenroth, Collaborateur senior, BCTG Avocats


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