« Nous sommes à un tournant du droit des collectivités territoriales »

Publié le 31 janvier 2012 à 0h00 - par

Suite et fin de notre entretien avec Roland Ricci, professeur agrégé de droit public et avocat au barreau de Toulon.

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Weka : Au niveau financier, quelles questions soulève la réforme territoriale ?

Roland Ricci : Les collectivités vont être, à ce sujet, obligées de s’entendre sur la base de la réforme de la fiscalité et des finances publiques locales qui conditionne étroitement leurs moyens d’action. En effet les prélèvements sont ensuite répartis entre les différentes collectivités affectataires des services.

Toutefois il demeure beaucoup d’incertitudes sur l’effectivité de la compensation de la disparition de la taxe professionnelle et sur le dispositif de péréquation entre les collectivités territoriales. Non seulement ces transformations brutales génèrent une angoisse certaine chez nombre d’élus locaux, mais encore leur manque de clarté nécessitera une collaboration sans arrière pensée des diverses collectivités territoriales.

Il va notamment falloir changer de philosophie et passer de la pratique des financements croisés à une répartition cohérente des ressources en fonction de l’exercice des compétences et de la mutualisation des services.

Weka : La réforme territoriale ne serait donc qu’une vaste complication de la vie locale ?

Roland Ricci : Non, il faut dépasser ce tableau qui peut paraître sombre et garder le positif : l’opportunité de réaliser une réforme des collectivités territoriales qui donne toute sa dimension à la démocratie locale. Le nombre trop élevé de niveaux de collectivités territoriales et de communes constitue une entrave à l’action économique locale.

Cet émiettement ne permet pas d’être performant, et les petites communes ont trop souvent délégué l’exercice de leurs compétences aux services déconcentrés de l’Etat. Avec la réforme, on vise le développement de deux pôles : la région et l’intercommunalité. Le problème est que cela ne se fera pas sans un changement profond de comportement générateur de tensions inévitables.

On ne peut qu’être particulièrement attentif à la prévention de tous ces conflits potentiels. Il faudra nécessairement maîtriser les données juridiques et la communication avec les citoyens malgré les interférences du calendrier politique. C’est un défi à relever pour construire un avenir meilleur.

Il passe toutefois par une mutualisation des savoirs car le cadre juridique va devenir de plus en plus difficile à appréhender, surtout pour les petites collectivités, à l’image de la lecture du code général des collectivités territoriales qui laisse subsister de nombreuses zones d’ombre. Néanmoins, avec la volonté de s’adapter, et un engagement ferme dans une concertation entre tous les acteurs locaux, il n’y a aucune raison de ne pas arriver à construire une nouvelle démocratie locale.

Weka : L’édition 2012 de jurisprudence des collectivités territoriales, dont vous êtes l’auteur, paraitra prochainement aux éditions Weka. Plus qu’une simple mise à jour, quelles sont les clefs offertes par cette nouvelle édition, notamment dans le contexte évoqué plus haut ?

Roland Ricci : Nous sommes à un tournant du droit des collectivités territoriales et tout gestionnaire de service dans ces collectivités doit avoir connaissance des revirements de jurisprudence et des nouvelles jurisprudences relatives à l’application des normes entrées en vigueur récemment.

Nous devons faire face à une conjonction de circonstances qui n’ont pas été nécessairement planifiées mais se réalisent à partir de 2011 et vont déboucher sur une ductilité et une hétérogénéité des sources de ce droit au regard des catégories classiques reconnues dans les enseignements universitaires. Le droit des collectivités territoriales devient désormais un droit autonome, spécifique des organes et de l’action des collectivités territoriales, mélangeant les procédés de droit public et de droit privé.

Du point de vue de la jurisprudence classique, le Conseil d’Etat poursuit sa réforme du régime juridique des contrats administratifs avec, notamment, un nouvel arrêt « Commune de Béziers », ainsi que d’autres avancées significatives telles que la nouvelle interprétation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) ouvre une nouvelle voie qui permet de remettre en cause des textes qui n’avaient pas été confrontés aux normes constitutionnelles. Ainsi, le principe de « Libre administration des collectivités territoriales » reçoit de nouveaux contours et sera amené à évoluer au fur et à mesure de l’introduction des recours devant les juges constitutionnels, désormais ouverts aux parties devant toute autorité juridictionnelle.

D’autre part, l’interprétation des dispositions de la loi du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales par les juges administratifs, va devenir incontournable ainsi que celle des normes qui vont compléter cette loi, qu’elles soient d’origine législative ou réglementaire.

En fait, nous assistons à une redéfinition des catégories habituelles du droit, plus particulièrement du droit des collectivités territoriales, en raison de transformations qui rendent obsolètes les analyses traditionnelles. Si ces transformations peuvent surprendre les tenants d’une vision classique du droit, elles sont pour nous tout à fait conformes à notre conception du droit en tant que science sociale destinée à améliorer le fonctionnement de nos institutions.


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