Faut-il recruter des acheteurs issus du secteur privé?

Publié le 17 juin 2009 à 2h00, mis à jour le 17 juin 2009 à 2h00 - par

Les acheteurs issus du privé sont de plus en plus nombreux à intégrer le secteur public. Lyon, Angers, Paris ou encore l’Union des groupements d’achats publics (UGAP) en ont recruté. Qu’apportent-ils ? Pourquoi les embaucher ? Quels écueils éviter ?

Faut-il recruter des acheteurs issus du secteur privé?

« Nous sommes consultés sur la réduction des coûts. Nous travaillons beaucoup avec les sociétés mixtes (La Poste, la Caisse des dépôts, la Ratp). Les acheteurs privés Gérald Benchetrit et Jacques Barailler ont pris la tête respectivement du Pôle emploi et du Service des achats de l’État (SAE). Une vraie révolution s’opère », commente Hicham Abbad, responsable commercial de la société de conseil en achat Klb Group. Les organismes publics sont de plus en plus nombreux à employer des acheteurs privés. « Il y a deux ou trois ans, ils n’existaient pas dans le domaine du bâtiment. L’acheteur est une denrée rare qui plus est dans les prestations sous-traitées comme la pose de fenêtres par exemple. Nous, à l’Office public d’aménagement et de construction du Rhône (OPAC), nous avions besoin de compétences achats. Nous avons recruté dans le privé », explique Marc Pichon, directeur achats qui a embauché dans son équipe de quatre acheteurs deux acheteurs privés. C’est en 2004 suite à la loi sur la décentralisation que le département du Loiret recrute des acheteurs privés : « nous avons acquis de nouvelles responsabilités : l’aménagement des routes, les collèges. Il nous fallait des acheteurs qui maîtrisent ces domaines-là. Mon travail de RH était d’offrir du personnel qualifié. Nous avons signé des CDD de trois ans avec des acheteurs privés », raconte Claudine Raguillet, directeur des Ressources humaines du conseil général du Loiret.

Toujours moins de budget

Si les collectivités lorgnent du côté du privé, c’est parce que le contexte financier s’est quelque peu assombri. « Les élus demandent à leurs équipes de faire mieux avec moins d’argent. Le levier achat est donc utilisé », explique Laurent Rey, directeur administratif et financier en charge des marchés publics à la communauté d’agglomération du Grand Dax (40). En fait, la compétence de l’achat comme le privé la conçoit n’existe pas dans le public. « Les vrais acheteurs n’existent pas dans la fonction publique, aussi va-t-on les chercher dans le privé. C’est plus rapide que de former du personnel à l’achat », poursuit Laurent Rey. « Les juristes qui sont acheteurs ne sont pas formés à l’achat mais à assurer la sécurité juridique des entités publiques. Leur demander d’acheter c’est les rendre schizophrènes », ajoute non sans ironie Marc Pichon.

Pour aider les collectivités à rentabiliser au mieux leur porte-monnaie, l’acheteur privé a plusieurs cartes dans sa poche. « Il sait challenger les besoins et possède une vision stratégique de l’achat plutôt économique. Il apporte une logique de performance et des qualités rédactionnelles quand il s’agit d’exprimer les conditions d’exécution des marchés », explique Marc Pichon. Négociation, analyse des marchés en amont, carte d’achat, étude des erreurs commises, sa sacoche est pleine d’outils pratiques et efficaces.

En effet, le secteur privé a déjà atteint une pleine maturité de ce côté-là alors que le secteur public en est aux balbutiements. D’ailleurs, les formations proposées dans le secteur public sont encore orientées vers le Code des marchés et l’aspect sécurité. « Dans le privé, l’actionnaire a très vite compris l’intérêt de rentabiliser pour obtenir plus de marges. Les services achats sont donc matures », explique Richard Gauvrit, ancien acheteur privé, aujourd’hui directeur de la commande publique de la ville de Bezons.

La négociation, un métier maîtrisé par le privé

À l’heure où le Code des marchés publics fait plus de place à la négociation, les collectivités se trouvent démunies également parce que peu d’acheteurs publics savent négocier alors que les privés sont rompus à cette méthode. « Avec la réforme du Code, on passe du tout juridique à plus de notions économiques. Les Mapa, les accords-cadres sont remarquables. La négociation commence à rentrer dans les mœurs », raconte Hi cham Abbad. Une possibilité que les collectivités ont du mal à utiliser faute de formation à la négociation : « C’est un vrai métier avec des méthodes », pense Fabrice-Pierre Abelé, responsable du service des finances et des achats publics à la mairie de Lieusaint (77).

Par ailleurs, les acheteurs privés sont aussi de bons communicants capables de travailler aisément avec les services transversaux afin de définir au mieux les besoins. Des qualités que possèdent les acheteurs du conseil général du Loiret et de l’Union des groupements d’achats publics (UGAP). Dans cette structure, ils sont recherchés dans des familles d’achats comme les services en raison de l’expérience avancée du secteur privé qui a eu tendance à externaliser des prestations comme la petite maintenance immobilière, la maintenance des ascenseurs, les offres complexes de type réseau informatique, les offres innovantes parce qu’il faut les identifier au niveau international. « L’idée n’est pas d’opposer les secteurs mais bel et bien de réunir leurs atouts afin d’optimiser l’achat public », résume Sébastien Taupiac, directeur adjoint des achats de l’UGAP.

Un sens à leur vie

Des privés qui sont ravis de travailler dans le public : « je gagnais 8 000 euros par mois, pour 60 heures de travail par semaine et beaucoup de pression. Je dormais mal. Je n’avais pas de vie sociale. Un moment j’en ai eu assez », explique un privé aujourd’hui dans le public. Nicolas Melouki, directeur du service Achats de la communauté d’agglomération de la Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), lui, a buché de 5 à 20 heures tous les jours six mois durant dans une entreprise de négoce de poisson. Son dernier travail dans le privé. « J’ai commencé il y a 12 ans. Je travaillais au-delà de la normale. Un jour, j’ai entendu Jean-François Copé dire qu’il y avait besoin d’acheteurs privés dans le public. J’ai commencé à m’y intéresser. Je me suis offert la formation de Territoires Rh* et j’ai été embauché en CDD de trois ans ».

Dans le public, de nombreuses personnes ne trouvent pas moins qu’un sens à leur vie et à leur travail : « dans le privé, on réduit les coûts pour améliorer la rentabilité et verser des dividendes aux actionnaires. Dans le public, on diminue les coûts pour réduire la pression fiscale », résume Richard Gauvrit. Et les conditions de travail y sont beaucoup plus agréables : « j’ai retrouvé une qualité de relation avec les collègues que je pensais disparue », affirme Nicolas Melouki, ravi. « J’aspirais à une vie plus sereine. Les conditions de travail sont meilleures. Mon salaire est pérenne. Il n’y a pas de pression sur les résultats et puis, en termes d’évolution de carrière, j’ai 30 à 40 000 employeurs potentiels ! », continue notre acheteur anonyme.

Et puis le challenge est très valorisant pour des acheteurs privés souvent cantonnés à une famille d’achats ou cost-killers. « Il y a beaucoup à faire dans le public. Mieux définir les besoins notamment. C’est très motivant. J’aurais dû y venir plus tôt », poursuit Nicolas Melouki. Le public leur donne la possibilité d’élargir leur panel d’achat. De quoi égayer leur quotidien. Un super challenge à relever, pensent-ils. Cependant, tous s’accordent à dire aussi que ces postes, encore peu nombreux, nécessitent certaines qualités.

Intégrer la culture publique avec humilité

Pour devenir un bon acheteur public, il faut avoir les capacités d’intégrer le Code des marchés publics et se former à l’environnement culturel. Quelles sont les instances ? Qu’est-ce qu’un conseil municipal ? Quelles sont les procédures possibles ? Une culture qui demande une formation au préalable. « L’adaptation n’est pas toujours simple. Les acheteurs privés sont habitués à avoir une certaine liberté, or nous avons un cadre contractuel, à savoir le Code des marchés. Et puis, ils ont une crédibilité à trouver. La première année, nous les avons formés trois jours. Ensuite, nous avons mis nos deux acheteurs privés sur un portefeuille restreint d’une vingtaine de projets. Ils ont participé à l’avant-projet de construction d’un bâtiment. Et puis quand il y a eu négociation, ils ont pu agir avec un juriste à côté d’eux. Aujourd’hui, ils sont autonomes », raconte Marc Pichon. Dans cette équipe, les acheteurs questionnent les juristes régulièrement avant de se lancer. Dans le Loiret, les acheteurs privés, eux, sont continuellement accompagnés par les manageurs. L’humilité est par ailleurs indispensable : « quelqu’un qui voudrait apprendre aux fonctionnaires à travailler emploierait la mauvaise posture. Surtout qu’ils travaillent bien, voire des fois mieux », affirme Laurent Rey. Et de poursuivre : « organisateur, communicant, il doit savoir faire accepter sa différence, montrer que son travail en amont à un réel intérêt et est une réelle aide à la décision. Il doit faire comprendre l’intérêt de son travail en amont, à savoir le sourcing. Aussi, lors du recrutement, il faut privilégier un communicant pour qui la notion de service public a un sens, ayant travaillé dans le milieu associatif pour l’état d’esprit que ce milieu procure. » Bien choisis, ils s’adaptent sans soucis. Dans un premier temps, ils sont étonnés par les grosses différences de temps de procédure. « Les délais pour le traitement d’un dossier peuvent être importants. Mais peut-être avais-je l’habitude d’aller trop vite ? En tous cas, je ne suis pas là pour brusquer les choses », affirme Nicolas Melouki. « Il y a régulièrement des justificatifs à produire après les analyses des offres. Il n’y en avait pas autant dans le privé », se souvient Richard Gauvrit.

Sortir le porte-monnaie

Des acheteurs qui ne sont pas toujours simples à embaucher puisque dans certaines régions, les collectivités se heurtent au régime de la fonction publique. Si les services publics à vocation industrielle et commerciale, les Opac… sont sous contrat de droit privé et n’ont pas de problèmes à l’embauche, les collectivités, elles, dans le meilleur des cas peuvent proposer des contrats à durée déterminée de trois ans renouvelables avec un contrat à durée indéterminée à la clé, comme à Lyon. En revanche, certaines régions n’encouragent pas ce type de contrats et obligent les acheteurs à passer le concours. C’est le cas à Lille.

Des acheteurs qu’il faut pouvoir payer convenablement quand on souhaite les garder. Certaines sociétés mixtes et collectivités importantes peuvent proposer des salaires allant de 3 500 à 4 500 euros par mois. Les petites collectivités, elles, ne peuvent négocier et proposent l’indemnité légale à savoir le SMIC. Aussi, beaucoup de jeunes acheteurs privés, une fois leur première expérience acquise, s’envolent vers d’autres cieux. « Quand on est petit, pas la peine d’essayer. Quand on veut un privé, ça se paye. Cependant, il va vous faire gagner 10 %. Donc son salaire sera largement amorti », affirme Laurent Rey, « il faut juste se dire que les économies ne seront pas pour la première année. Sinon, il faut penser à en recruter au niveau de l’intercommunalité et mutualiser les services ».

 

Valérie Siddahchetty

 

* Lire l’interview ci-dessous deTony Lourenco, directeur de la société de conseil Territoires Rh, initiateur du dispositif de mobilité professionnelle ouvert aux acheteurs privés : « Responsable achats et commande publique ».

 

Questions à Tony Lourenco, directeur de la société de conseil Territoires Rh, initiateur du dispositif de mobilité professionnelle ouvert aux acheteurs privés (« Responsable achats et commande publique ») : « L’achat est un nouveau métier dans le secteur public »

Pourquoi recruter des acheteurs privés ?

Les collectivités ont besoin de compétences en négociation pour optimiser les moyens généraux. Leurs acheteurs n’en ont pas. Aussi vont-elles les chercher dans le privé. En effet, les personnes qui achètent dans le secteur public sont des juristes de droit public. Ce ne sont pas des acheteurs comme le privé l’entend. Ils ne savent pas négocier, effectuer le sourcing des fournisseurs, utiliser les outils et méthodes nécessaires à l’optimisation des gains de productivité. En fait, le juriste de formation ne sait pas ce qu’est l’achat. Il n’est pas acheteur. D’ailleurs, il estime souvent à tort qu’effectuer un sourcing est illégal.

Pourquoi avoir mis en place une formation pour les acheteurs privés souhaitant passer au public ?

L’achat est un nouveau métier dans le secteur public. Les outils du privé sont intéressants. L’idée de ce dispositif de mobilité professionnelle était de créer une passerelle entre ces deux mondes. Les compétences « privé-public » vont être de plus en plus demandées. Aujourd’hui, on compte une centaine de ces animaux rares.

La baisse de salaire est-elle gênante ?

Au premier poste, ils perdront 10 à 15 % de leur salaire. Mais l’écart sera rattrapé à la seconde embauche. On estime que l’acheteur privé qui arrive dans le public ne connaît pas la commande publique. Après quelques années, il devient un profil rare. Et cela se paye.

Quel est le profil des acheteurs du privé qui souhaitent passer au public ?

Ce sont majoritairement des hommes de 45/48 ans avec 15 à 20 ans d’expérience dans des PME. Leur salaire : entre 35 et 60 000 euros par an. Ils sont dans la quête de sens et s’interrogent sur leur utilité sociale. Souvent, ils ont travaillé comme « tueurs de coûts ». Des efforts effectués pour enrichir des actionnaires, sans aucun retour salarial. Ils se demandent à quoi ils servent. Ils connaissent le secteur public par un proche. Ils admirent leur dévouement et postulent.

S’adaptent-ils facilement ?

La technique n’est pas compliquée, la sociologie, les codes de l’univers public, beaucoup plus. Mon associé disait : « Ce n’est pas parce que tu as raison techniquement que tu as raison politiquement ». La dimension politique ne s’apprend pas à l’école, mais sur le terrain.

Entretien réalisé par Valérie Siddahchetty, www.territoires-rh.fr


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