Le covoiturage sur courte distance peut-il faire sauter les bouchons ?

Publié le 15 juillet 2016 à 8h06 - par

Face au cauchemar quotidien des bouchons et des transports en commun saturés autour des métropoles, la solution pourrait venir du covoiturage sur courte distance, assurent des entrepreneurs qui rivalisent d’innovations pour conquérir cet écosystème complexe.

Le covoiturage sur courte distance peut-il faire sauter les bouchons ?

La puissance des plateformes numériques et le développement des smartphones – 60 % des Français en possèdent – a déjà bouleversé des pans entiers de l’économie en permettant d’optimiser des ressources sous-exploitées.

En matière de trafic automobile, le gaspillage reste « hallucinant », observe auprès de l’AFP, Franck Rougeau, co-fondateur de la start-up OuiHop’, application « d’auto-stop connecté ». Il pointe les « 40 millions de sièges vides » dans les voitures roulant quotidiennement de banlieue à banlieue en Île-de-France.

Ces axes, mal desservis par les transports en commun, sont pour lui les plus prometteurs pour l’activité de son entreprise qui dit avoir conquis « 9 000 utilisateurs inscrits » depuis son lancement en janvier.

Alors que réduire les flux de quelques points de pourcentage pourrait suffire à décongestionner les routes et diminuer ainsi la pollution, les conducteurs seuls à bord sont le noeud du problème. Selon une étude de l’Ademe publiée en septembre 2015, le taux d’occupation moyen d’une voiture pour un trajet domicile-travail en rance s’établit à… 1,08 personne.

BlaBlaCar a renoncé

Pourtant, une partie des Français ont déjà montré qu’ils étaient ouverts à l’idée de partager leurs biens, en particulier leur automobile avec BlaBlaCar, champion du covoiturage longue distance.

Mais si BlaBlaCar, dont les utilisateurs (10 millions chaque trimestre) voyagent en moyenne 300 kilomètres par trajet, a trouvé son modèle économique, le covoiturage sur quelques dizaines de kilomètres s’avère plus ardu à faire fonctionner.

Sur un trajet pendulaire, « le conducteur ne va pas être prêt à faire un détour très grand » par rapport à sa routine : cinq minutes ou 500 mètres maximum, souligne à l’AFP, Frédérique Ville, directrice générale d’iDVROOM, filiale de covoiturage de la SNCF qui revendique 125 000 utilisateurs.

Et l’incitation économique s’avère d’autant plus faible que la distance par trajet est modeste : le prix du kilomètre s’établit à 10 centimes par passager sur la plupart des plateformes. C’est pourtant plus cher que les transports en commun subventionnés.

« Le coût des trajets domicile-travail est invisible », constate Laure Wagner, porte-parole de BlaBlaCar.

« Les gens n’ont en tête qu’un plein à 60 euros. Pas l’entretien, la dépréciation, le parking, les éventuelles amendes. Quand on leur dit que sur 20 kilomètres par jour ils peuvent économiser 2 500 euros par an, ils nous rient au nez », assure Mme Wagner à l’AFP.

Du coup, l’entreprise a renoncé à monétiser les trajets de courte distance.

En outre, il reste difficile de marier des offres et demandes disparates, tant qu’une « masse critique » de trajets et d’horaires n’est pas atteinte.

« On vise 300 000 membres pour l’Île-de-France, c’est à ce niveau-là qu’on estime que le service sera fluide », explique à l’AFP Patrick Robinson Clough, cofondateur de Citygoo, qui s’adresse aux personnes voulant covoiturer en dernière minute et qui vient d’absorber son concurrent Sharette.

Citygoo affiche 80 000 membres, un niveau encore insuffisant pour pouvoir satisfaire toutes les demandes, selon M. Clough. Il concède que pendant la montée en puissance espérée, il y aura « des gens déçus » par le service.

D’autres entrepreneurs préfèrent réfléchir en termes de bassins d’emploi générant déjà des trajets, qu’ils se chargent d’optimiser.

Les conducteurs seuls montrés du doigt

« Ce qui va compter, ce n’est pas combien de trajets vous avez, mais si vous allez trouver des trajets qui passent près de chez vous », résume Mme Ville. iDVROOM démarche collectivités locales et sociétés pour alimenter son vivier d’usagers dans toute la France.

Une méthode également employée par la start-up WayzUp, qui a séduit entre autres Renault, Danone, Crédit Agricole et Carrefour en leur proposant des plateformes de covoiturage « clés en main » pour desservir leurs pôles en grande banlieue parisienne.

« On atteint systématiquement les masses critiques. Sur chacun des clients, on a plus de 80 % des inscrits qui trouvent des covoitureurs sur leur trajet et leurs horaires », assure à l’AFP Julien Honnart, cofondateur de WayzUp qui dit fédérer 40 000 utilisateurs.

WayzUp ne prend pas de commission sur chaque voyage mais facture un abonnement annuel aux entreprises. Celles-ci s’y retrouvent, selon M. Honnart, car le covoiturage est synonyme de « bien-être au travail » : réduction de la durée de transport et des coûts, mais aussi du stress et des accidents de trajet.

Karos, une autre application française qui réunit 20 000 utilisateurs, innove avec un « moteur d’intelligence artificielle qui passe son temps à essayer d’organiser du covoiturage court » en observant les déplacements pour ensuite les prédire et créer ainsi un réseau de transport virtuel, selon son PDG Olivier Binet.

Pour lui, les autorités organisatrices de transport dans les zones périurbaines auraient tout intérêt à développer des réseaux de covoiturage : « c’est trois à cinq fois moins cher qu’un bus au kilomètre par passager », argumente-t-il. Les ressources (véhicules et conducteurs) sont en place et « la technologie existe aujourd’hui pour les capter ».

M. Binet pense que le covoiturage de courte distance va dans le sens de l’histoire. « Il y a dix ans, on ne triait pas ses déchets et on fumait dans les lieux publics. Je suis convaincu que dans dix ans, on ne sera plus tout seul dans sa voiture, sauf quelques personnes qui seront un peu montrées du doigt ».

Des dizaines de plateformes de covoiturage court se lancent mais certaines disparaissent rapidement, posant la question d’une consolidation du secteur. De grands groupes s’y intéressent d  près : Google est ainsi en train de tester en Israël un système de covoiturage qui se greffe sur son application de navigation collaborative gratuite Waze, déjà adoptée par plusieurs dizaines de millions d’usagers dans le monde.

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