Analyse des spécialistes / Droits et obligations

Fonctionnaires lanceurs d’alerte : une protection améliorée ?

Publié le 22 avril 2016 à 13h00 - par

La loi relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, étend la protection des lanceurs d’alerte aux fonctionnaires, contractuels et militaires ayant relaté, de bonne foi, des faits qualifiables de conflits d’intérêts.

Fonctionnaires lanceurs d'alerte : une protection améliorée ?

Contexte et enjeux

Lucien Deleye, Avocat au Barreau de Lille, Bignon Lebray Avocats

Lucien DELEYE

Hasard du calendrier, ou quand un scandale international rejoint l’agenda parlementaire. Le Parlement vient d’adopter définitivement le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, en pleine affaire des « Panama Papers », qui relance le débat sur la protection des lanceurs d’alerte. Autre hasard du calendrier, la remise officielle, le 13 avril dernier, de l’étude du Conseil d’État : « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger », qui préconise des réformes pour améliorer la protection des lanceurs d’alerte, dans les entreprises, et les administrations.

Pour Jean-Marc Sauvé, Vice-Président du Conseil d’État, « Il faut prévoir la possibilité de déroger au secret professionnel pour lancer l’alerte éthique (…) Tant que ce problème ne sera pas réglé, il y aura une fragilité des lanceurs d’alerte ».

Le projet de loi susvisé, définitivement adopté les 5 et 7 avril 2016 (non encore promulgué au jour de la rédaction du présent article), modifie notamment la 4e partie du Code de la Défense sur le statut des militaires, et la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, pour réaffirmer les principes déontologiques des fonctionnaires, définir le conflit d’intérêt, et améliorer la protection des agents publics lanceurs d’alerte.

Obligations des agents publics lanceurs d’alerte

Le sujet n’est pas nouveau. L’article 40 du Code de procédure pénale impose à tout fonctionnaire ayant connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, d’un crime ou d’un délit d’en aviser, sans délai, le procureur de la République et de lui transmettre tous les documents qui y sont relatifs.

Cette obligation s’étend aux situations de conflit d’intérêts. Désormais, un agent, ayant connaissance d’un conflit d’intérêt, peut en aviser sa hiérarchie. Un nouvel article 25 bis est inséré dans la loi n° 83-634, imposant à un agent de faire cesser immédiatement ou de prévenir toute situation de conflit d’intérêt dans lesquelles il pourrait se trouver.

Pour éviter les délations, une procédure est prévue. L’agent doit préalablement alerter en vain une de ses autorités hiérarchiques. Il peut également témoigner de tels faits auprès d’un référent déontologique. À défaut d’information préalable de la hiérarchie, la mauvaise foi de l’agent serait présumée. En tout cas, il ne pourrait pas bénéficier du régime de protection des lanceurs d’alerte.

En outre, l’agent qui relaterait ou témoignerait des faits relatifs à une situation de conflit d’intérêts de mauvaise foi, c’est-à-dire avec l’intention de nuire, ou avec la connaissance au moins partielle de l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés, encourt 5 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.

Une protection limitée des lanceurs d’alerte

L’article 6 terA de la loi n° 83-634 offrait une déjà protection à l’agent, ayant dénoncé un crime ou un délit. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à son égard pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime, dont il aurait eu connaissance, dans l’exercice de ses fonctions.

Cette protection est étendue à la dénonciation de faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts. Les militaires bénéficient d’un régime analogue, par l’ajout de l’article L. 4122-4 du Code de la défense.

Toutefois, seuls les agents, ayant relaté des faits auprès des autorités judiciaires ou administratives, sont protégés. La divulgation publique, ou transmission à un journaliste de faits, n’octroie aucune protection.

Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la protection des lanceurs d’alerte. Le législateur a simplement étendu un régime de protection existant, aux agents dénonçant un conflit d’intérêt. Se pose alors la question de l’efficacité d’un tel régime, dont le Conseil d’État a démontré les limites dans son étude. Comment concilier l’obligation de dénoncer les conflits d’intérêts avec la déontologie, les devoirs de loyauté, de réserve et de discrétion des agents publics ? Avec le secret professionnel ou fiscal ?

 

Lucien Deleye, Avocat au Barreau de Lille, Bignon Lebray Avocats