Anne-Sophie Benoit : « Le programme Clair n’est pas une innovation ! »

Publié le 1 novembre 2010 à 0h00 - par

Anne-Sophie Benoit, présidente de l'AndevAnne-Sophie Benoit est directrice de l’enfance et de la jeunesse à Dunkerque. En tant que présidente de l’Association nationale des directeurs de l’éducation des villes (Andev), elle défend la vision d’une articulation entre projet éducatif local et national dans un continuum qui va de la maternelle au lycée.

Anne-Sophie Benoit : « Le programme Clair n’est pas une innovation ! »

Lettre des professionnels de l’éducation : Que pense l’Andev du programme Clair (Collège et lycée pour l’ambition, l’innovation et la réussite), mis en place dans 105 collèges et lycées depuis la rentrée scolaire ?

Anne-Sophie Benoit : C’est un peu le même concept que le dispositif baptisé « Réussite scolaire », initié par Ségolène Royal dès 2006. Mais alors que ce dernier insistait sur les remèdes à l’échec de l’école, Clair se focalise davantage sur l’aspect social, dans un contexte de violence au sein des établissements et suite aux états généraux de la sécurité à l’école. Dans ce climat houleux, il s’agit de remettre à plat les dispositifs ZEP, REP et RAR (zones d’éducation et réseaux d’éducation prioritaires, réseaux ambition réussite), pour sortir de l’impasse.

Le programme Clair est intéressant car il repose sur du projet, qu’il est conduit sur plusieurs années et dans un continuum entre le premier et le second degré. L’Andev défend cette liaison entre primaire et collège depuis de nombreuses années, tout comme nous insistons sur la liaison entre temps scolaire et périscolaire. Clair donne aussi la possibilité de recruter des enseignants sur profil, motivés par le projet de l’établissement, et qui resteront en poste durant cinq ans…

LPE : Il n’y a donc que du positif dans ce nouveau programme, alors que certains accusent déjà le ministère de liquider l’enseignement prioritaire ?

Anne-Sophie Benoit : Non. Ce qui est regrettable, c’est la stigmatisation de ces établissements et l’absence prévisible d’évaluation. La prochaine réunion prévue début 2011 ne sera qu’une rencontre entre amis : est-ce qu’il y aura les regards croisés de toute la communauté éducative (parents, villes, etc.) sur les difficultés des enfants ? Est-ce qu’il y aura autre chose que des données quantitatives compilées ? Ce qui est regrettable encore ce sont ces préfets des études, sorte de super conseillers pédagogiques, alors que les CPE savent déjà faire : ce sont déjà des pacificateurs au sein des collèges. Nous nous posons donc légitiment des questions et soulignons qu’il ne s’agit pas d’une innovation, contrairement à ce qui a été annoncé !

LPE : D’où votre association tire-t-elle donc son expertise sur ces questions ?

Anne-Sophie Benoit : L’Andev regroupe 373 professionnels des villes donc plutôt axés sur le premier degré (Ndlr : la compétence sur l’école primaire relève de la commune). Mais tout a une incidence et, même si nous insistons sur la nécessité d’une vraie évolution dans le premier degré, nous savons que nos demandes auront forcément un impact au collège et au lycée. Nous sommes au contact du ministère, des académies, des inspecteurs de circonscription qui ont eux-mêmes des liens avec les collèges. Nos collectivités sont en rapport avec les conseils généraux et les conseils régionaux, pour la gestion de la carte scolaire, par exemple. Nous voulons donner du sens, créer du lien entre tous ces acteurs et mettre l’enfant au centre…

LPE : Est-ce le sens de l’appel de Bobigny que vous avez co-signé, ce 18 octobre ?

Anne-Sophie Benoit : Oui. Cet appel fait suite à celui de Rennes, il y a deux ans. Une quarantaine d’organisations qui réfléchissent sur l’éducation dans notre pays ont décidé d’écrire ensemble un projet national, sur les principes éducatifs et les enjeux de société, autour de cinq objectifs prioritaires. Nous y défendons notre position concernant les enfants de 0 à 6 ans, alors que depuis quelques années, nous pouvons nous demander s’il existe encore un service public de la petite enfance en France. La directive européenne de Bolkestein n’exclut plus ces services du champ marchand, d’ailleurs. Les jardins d’enfants, au départ expérimentaux, sont généralisés par le décret de juin dernier, comme le souligne le collectif « Pas de bébé à la consigne ».

L’appel de Bobigny insiste, en outre, sur des objectifs de laïcité, de droit à l’éducation, de promotion de la coéducation : il rappelle la place primordiale des parents, en tant que premier acteur de l’éducation… Il veut mobiliser toutes les ressources éducatives des territoires et de l’école, à travers l’articulation des objectifs nationaux avec les projets éducatifs des établissements d’enseignement et des institutions culturelles publiques, et ceux des territoires. Un maillage plus cohérent entre primaire et secondaire, entre territoires, doit être mis en œuvre. Il ne faut pas oublier que 150 000 enfants sortent sans diplôme et sans qualification, chaque année…

LPE : Comment traduire ces grands principes en actions concrètes pour dépasser les simples vœux pieux ?

Anne-Sophie Benoit : Nous proposons une loi d’orientation pluriannuelle pour l’enfance et la jeunesse. Cet appel n’est pas la simple compilation de demandes de diverses associations mais bien la définition de leviers de changements pour le primaire et le secondaire. Nous y fixons des objectifs clairs : 80 % au baccalauréat certes, mais aussi pas de sortie du système sans qualification, 50 % d’une classe d’âge au niveau licence… Notre dernier congrès, à Tours, avait pour thème l’Europe. Ce sujet est paradoxal puisque les États conservent leurs prérogatives en matière d’éducation. Notre idée était d’aller voir ce qui se passe ailleurs.

Le modèle finlandais — même s’il n’est pas totalement transposable car à l’échelle d’un petit État, avec des niveaux administratifs différents des nôtres — ouvre des perspectives. Il se fonde sur le projet. L’enseignant y est très valorisé. L’attention est portée sur les difficultés de l’enfant qui sont détectées très tôt, dès le primaire. Dans une philosophie de décentralisation, l’État délègue à la commune, qui délègue à l’établissement scolaire. Il y a un continuum pédagogique qui va de l’école primaire au lycée… En France, il y a encore des gens qui pensent que mieux s’occuper des 0 à 11 ans ne résoudra pas les problèmes du collège et du lycée. C’est pourtant, la base non ?