Monique Sassier : « Le médiateur n’a aucun pouvoir de décision mais doit avoir un grand pouvoir de conviction »

Publié le 3 mai 2010 à 2h00 - par

Monique Sassier, inspectrice générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche, a été nommée médiatrice pour une durée de trois ans, en juillet 2009. Sa nomination intervient alors que cette institution fête ses dix années d’existence au service de la résolution des conflits entre usagers et administration. La nouvelle médiatrice trace des perspectives, notamment pour les personnels de l’Éducation, à l’occasion de la remise du onzième rapport en juin prochain.

Monique Sassier :  « Le médiateur n’a aucun pouvoir de décision mais doit avoir un grand pouvoir de conviction »

Lettre des professionnels de l’éducation : En quoi consiste la fonction de médiatrice de l’Éducation nationale ?

Monique Sassier : Le poste de médiateur a été créé en 1999. Dès le début, il a eu en charge l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur. Sa mission concerne aussi bien les personnels que les usagers, en fait toute personne en formation initiale ou continue : famille ou élève (même mineur), étudiant, adulte en cours de valorisation des acquis de l’expérience (VAE).

Le médiateur est également compétent pour les grands organismes tels que l’Onisep ou l’École supérieure de l’Éducation nationale (ESEN). Pour cela, il dispose d’une équipe réduite de 7 personnes au niveau national et de 45 médiateurs académiques. Ceux-ci sont tous retraités et volontaires. Ce sont des anciens cadres de l’Éducation nationale, le plus souvent de haut ou très haut niveau. En plus de leur pension, ils perçoivent une indemnité (quelques centaines d’euros) mais pas suffisamment pour susciter des vocations ! Les grandes académies – Paris, Versailles, Créteil, Lille – comptent jusqu’à 3 médiateurs pour traiter une moyenne de 400 dossiers par an.

Tandis qu’à Dijon – où il y a moins d’élèves, mais plus d’établissements –, un seul médiateur règle environ 150 dossiers annuels. La saisine peut se faire directement au niveau académique mais beaucoup s’adressent directement au niveau national. Nous lisons ainsi toutes les réclamations que nous retransmettons ensuite, dans les quarante-huit heures, aux relais académiques. Nous traitons toutes les demandes, ce qui ne signifie pas que nous y répondions favorablement !

LPE : Quelles réclamations êtes-vous amenée à traiter concernant les personnels ?

Monique Sassier : Nous gardons au niveau central ce qui relève des deux ministères proprement dits et des organismes nationaux. Par exemple, tout ce qui relève des procédures disciplinaires pour les personnels. Ce sont souvent les dossiers les plus sensibles, les plus difficiles. Ici, à Paris, nous disposons de trois juristes et d’un adjoint, tous de très haut niveau. Nous examinons, par exemple, les mutations qui ne conviennent pas aux personnels. La réclamation concerne souvent une demande d’explication car l’agent n’a pas compris la position de l’administration. Nous conduisons alors une expertise juridique de la décision et nous écoutons la personne et l’administration. Dans 30 % des cas, nous expliquons pourquoi la décision administrative est juste. C’est ce que j’appelle notre mission « contrôle qualité » sur la décision prise et sa motivation. Beaucoup de réclamations sont de cet ordre.

LPE : À part les mutations, d’autres sujets sont-ils sensibles pour les personnels ?

Monique Sassier : Autre exemple, le délicat dossier des séparations de conjoint. Tout le monde sait bien que les concours sont nationaux. L’affectation des nouveaux fonctionnaires peut donc se faire sur tout le territoire français. Ce fait ne pose pas de problème pour les premières années. En revanche, au bout de trois ou quatre ans d’exercice, les agents construisent le plus souvent une vie familiale et les mutations entraînant une séparation du conjoint deviennent alors inacceptables. Nous préconisons donc qu’au bout de trois ans de séparation pour cause d’exercice loin de la famille, il devienne obligatoire de procéder au rapprochement. Cette négociation est d’ailleurs en très bonne voie d’aboutir au niveau national, suite à nos préconisations. Mais attention, cela ne signifie pas que tous les rapprochements vont se faire à Bayonne, Aix-en-Provence ou Toulouse ! Il faut bien mettre les enseignants là où il y a des élèves…

LPE : N’examinez-vous pas aussi le cas des agents qui rencontrent des problèmes de santé ?

Monique Sassier : Oui, nous traitons des cas de congés de longue durée ou de longue maladie avec reclassement ou pas. Ce sera d’ailleurs un des thèmes du rapport de cette année, remis en juin prochain. En moyenne, ces sujets sont bien pris en compte mais les cas les plus complexes sont parfois mal traités et donc maltraitants. Par exemple, lorsqu’il s’agit de maladies extrêmement longues où l’administration a une hésitation entre reclassement ou invalidité. Il se produit alors parfois des périodes où le fonctionnaire se trouve sans droit ou, au contraire, où l’administration lui verse son traitement de manière indue. Ensuite, l’Éducation nationale va vouloir récupérer ce qu’elle appelle les salaires trop perçus (que nous dénommons trop versés !). Les agents ne sont alors pas en mesure de rembourser : ils se trouvent face au rouleau compresseur administratif qui s’ajoute à la souffrance physique ou psychique.

LPE : Globalement, constatez-vous une inflation des demandes de réclamation ?

Monique Sassier : Nous bouclons actuellement notre rapport 2009. Nous avons traité environ 6 900 situations en un an. C’est à la fois peu – au regard des 15 millions d’élèves et du 1,1 million de personnels – et pas si peu… Car personne ne peut saisir le médiateur s’il n’a déjà épuisé tous les autres recours de l’administration elle-même. Cette année encore, et depuis 2005, nous constatons une augmentation des saisines des familles qui représentaient déjà 50 % et atteignent désormais 64 % du total. Cette augmentation continue des réclamations des usagers est intéressante sur au moins deux points. Elle montre que les usagers ont besoin de recours, font des démarches et sont attachés aux décisions. Et quant la décision ne les satisfait pas, ils cherchent des explications. Cela montre aussi que la saisine du médiateur est bien souvent une alternative à la judiciarisation sur des sujets sensibles comme les violences faites aux élèves, le mauvais déroulement des cours, etc. Cela montre l’attachement des personnels comme des familles à régler les choses en interne, à rechercher des solutions justes, équitables, au sein même de l’institution scolaire.

LPE : La violence scolaire est-elle un sujet que vous traitez plus fréquemment aujourd’hui ?

Monique Sassier : Nous avons bien sûr participé aux états généraux de la sécurité à l’école où beaucoup de questions abordaient la sécurité, la violence, les craintes des parents. Nous y avons animé un atelier sur la prise en charge des victimes, élèves ou professeurs. Nous n’avons pas d’avis sur la violence en général mais nous pouvons fonder notre position sur les réclamations individuelles que nous avons étudiées et ainsi apporter une réponse valable au niveau collectif. Par exemple, nous constatons que la majorité des comportements des élèves les plus difficiles trouvent leur origine non pas au sein de la classe, pas davantage dans l’établissement, mais le plus souvent dans les situations familiales complexes où ces enfants n’ont pas pu acquérir de limites. Avec des élèves insupportables, sans la médiation, nous allons le plus souvent vers des sanctions du conseil de discipline.

LPE : Pourquoi les personnels, les parents et les élèves font-ils appel à vous ?

Monique Sassier : Probablement parce que la première qualité qu’ils nous reconnaissent est notre impartialité : nous ne sommes ni avocat de la personne, ni avocat de l’administration. Le médiateur est un tiers, c’est-à-dire quelqu’un connaissant le système mais qui n’est pas tout à fait dedans. Mais la médiation n’est pas un service de plus dans la chaîne administrative, sinon nous ne serions plus efficace et serions rejetés par les usagers. Nous sommes plutôt une autre façon de traiter les conflits ou les liens entre personnes. Nous avons ainsi pu faire des gens heureux et l’administration en est sortie grandie. Dans un milieu où l’essentiel est d’enseigner et d’éduquer, il faut faire le pari que le bien-être des personnels permettra de réussir. Nous sommes en quelque sorte un petit laboratoire de la gestion rénovée des ressources humaines, parce que plus respectueuse des personnes.

LPE : Avez-vous un rôle de transmission de vos bonnes pratiques au sein de l’Éducation nationale ?

Monique Sassier : Depuis mon arrivée, j’ai demandé à voir au moins mille personnels par an. Je passe notamment trois heures avec les personnels en formation à l’ESEN de Poitiers pour leur expliquer d’abord les cas concrets que nous traitons puis en tirer des enseignements théoriques. De même, j’ai rencontré 150 nouveaux chefs d’établissement qui allaient prendre leur premier poste dans l’académie de Créteil. Nous ne refusons jamais de transmettre notre expérience de l’efficacité de la médiation. Certains craignaient qu’en agissant ainsi nous nous trouvions vite à devoir gérer une inflation de réclamations. Ce n’est pas ce qui se passe mais nous traitons des cas de plus en plus lourds. Probablement parce que les situations les moins graves sont désormais désamorcées en amont.


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