Une rentrée scolaire 2011 sous tension

Publié le 29 août 2011 à 0h00 - par

François Bonneau est à la tête du Conseil régional Centre, depuis 2007. Il préside, à ce titre, la commission Éducation de l’Association des régions de France (ARF). Il a été aussi conseiller d’orientation, puis chef d’établissement scolaire, en collège, durant une quinzaine d’année, fonction qu’il exerce toujours. Il exprime ses inquiétudes face au désengagement de l’État, à la veille de la rentrée scolaire.

Weka.fr : En quoi, la prochaine rentrée sera-t-elle sous tension, du point de vue des régions ?

François Bonneau : Le premier problème de cette rentrée, ce sont les suppressions de postes d’enseignants décidés par le gouvernement. L’élévation du nombre d’élèves dans les lycées et les lycées professionnels comme les difficultés de certains de ces élèves appellent pourtant une meilleure individualisation de la pédagogie. Avec la réduction du nombre de postes dans l’enseignement, nous courons un risque d’abandon de ces nouvelles pratiques plus personnalisées. En outre, ce point a également une incidence sur la carte de l’offre de formations : avec moins d’enseignants, il n’est pas toujours possible de maintenir la même diversité de formations, en tout point du territoire.

Weka.fr : Voyez-vous un risque spécifique pour les lycées d’enseignement professionnel ?

François Bonneau : Oui, le deuxième point de tension de la rentrée, c’est que manifestement, le gouvernement – son ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, mais aussi Nadine Morano, la ministre chargée de l’Apprentissage et de la Formation professionnelle – engage une diminution forte de l’offre de formation en lycée professionnel en augmentant parallèlement l’apprentissage. Les régions sont attachées au développement parallèle de l’offre de formation en lycée professionnel et en apprentissage dans le cadre d’une complémentarité de manière à offrir à tous les jeunes la formation la plus complète correspondant à l’évolution des emplois et de l’économie. Le choix du gouvernement est tout autre : le nombre de places diminue nettement dans les lycées professionnels tandis qu’il augmente dans l’apprentissage. Plutôt que d’opposer un système à l’autre, les régions veulent que les lycées professionnels et l’apprentissage soient mobilisés contre le décrochage scolaire et pour l’élévation du niveau de qualification de tous.

Weka.fr : L’éducation et la formation, est-ce le budget le plus important des conseils régionaux ?

François Bonneau : Les régions ont investi 4,6 milliards d’euros en 2009 pour les lycées, et ce montant était en croissance de 11% par rapport aux budgets précédemment connus en 2004. Si nous y ajoutons les financements pour l’enseignement supérieur, la part atteint 24 % du total du budget des conseils régionaux. Il convient d’ajouter à cette somme les 4,2 milliards consacrés à la formation professionnelle des demandeurs d’emplois et à l’apprentissage. Ce qui porte alors à 44 % la part du budget des régions consacrée à l’éducation et à la formation professionnelle. C’est donc de très loin le premier poste budgétaire de nos collectivités. Et ce poste est en constante augmentation alors que, parallèlement, la part de l’État est en diminution.

Weka.fr : Ce désengagement de l’État, a-t-il des conséquences sur les politiques régionales ?

François Bonneau : Évidemment. Prenons, par exemple, le sujet du numérique. Le développement des technologies de l’information et de la communication dans l’enseignement (TICE) suppose que les enseignants puissent disposer de temps pour se former, de collègues disponibles pour les accompagner et d’une proposition de formations continues dans le domaine. Or, le nombre d’heures d’accompagnement et de formations diminue.
Si nous voulons introduire significativement le numérique dans les établissements scolaires, il faut des moyens ! Les régions y participent avec le déploiement des espaces numériques de travail (ENT), après avoir investi dans la qualité des infrastructures réseaux et dans la mise à disposition des équipements informatiques.

Weka.fr : Justement, où en sont les lycées dans la diffusion et l’usage des TICE ?

François Bonneau : Le niveau moyen d’équipement dans l’enseignement général est de 1 ordinateur pour 3,1 élèves et pour 2,6 en lycée professionnel. Les vidéoprojecteurs, les tableaux numériques interactifs (TNI), les laboratoires de langues sont de plus en plus présents. Dans ma région Centre, nous avons lancé, dès la rentrée 2010, une expérimentation de manuels scolaires numériques dans 9 lycées. Il s’agissait de contenus pour les classes de seconde en SVT, anglais et mathématiques. Ces ressources numérisées ne visent pas à remplacer les livres scolaires mais à permettre une meilleure interactivité dans la démarche d’acquisition des savoirs, avec une assistance pédagogique renforcée. La présence d’enseignants – correctement formés – est donc importante pour le développement des TICE tant pour le TNI que pour les ENT. En parallèle des efforts considérables des régions, il faudrait que l’État mette également des moyens supplémentaires.

Weka.fr : Pour les TICE, la suppression des postes d’enseignants est-elle aussi un problème ?

François Bonneau : Quand le gouvernement rappelle qu’il ne veut pas déroger à la règle du non-remplacement de 1 fonctionnaire sur 2 partant à la retraite, les conséquences se font sentir notamment sur l’assistance, sur la maintenance, sur l’accompagnement et la formation aux outils numériques. Nous craignons d’ailleurs, quand le Président de la République lui-même vient geler les suppressions de postes dans les écoles primaires, que ce soit au niveau des lycées que la purge soit la plus sévère. Dans ce cas, il n’y aura vraiment plus de moyens dans les lycées. Déjà, depuis plusieurs années, les chefs d’établissement tirent la sonnette d’alarme face à la diminution des moyens d’enseignement et aux remplacements mal assurés. Avec les nouvelles diminutions annoncées, c’est le fonctionnement même de l’enseignement qui risque d’être remis en cause.

Weka.fr : Plus largement, les régions n’ont-elles pas un rôle d’accompagnement social ?

François Bonneau : Très concrètement, en matière de manuels scolaires par exemple, les régions se sont engagées, dès 1998 et plus globalement depuis 2004, dans la gratuité ou la quasi-gratuité des livres. C’est important car ce coût atteint en moyenne de 180 à 230 euros par an et par élève : une charge non négligeable pour une famille avec deux enfants scolarisés, par exemple. De la même façon que les communes payent ces manuels dans les écoles primaires, ou que l’État les prend en charge pour les collèges, il était nécessaire que la gratuité des manuels soit assurée en lycée et lycée professionnel. Face au refus de l’État d’y pourvoir, les régions s’y sont engagées. À nouveau sur ce point, l’État met les finances des régions dans une situation difficile avec le changement brutal des programmes qui a conduit au renouvellement de tous les manuels scolaires en classe de seconde à la rentrée dernière et qui aura les mêmes conséquences pour les classes de premières pour cette rentrée 2011.
Les régions ont cependant maintenu leurs dispositifs d’aide et ont parfois même augmenté sensiblement leur effort. Nous avons demandé au ministre Luc Chatel une participation de l’État et un étalement du renouvellement des manuels, malheureusement sans succès…

Weka.fr : Pour les jeunes, les régions interviennent-elles sur d’autres champs que le scolaire ?

François Bonneau : Certaines régions engagent des aides à la mobilité. Trans’Europe Centre, par exemple, permet d’envoyer les lycéens et apprentis gratuitement, une fois durant leur scolarité en séjour éducatif en Europe, en supprimant, pour les familles, tout obstacle financier. D’autres régions interviennent pour l’éducation à la santé : les régions Poitou-Charentes, Île-de-France, Champagne-Ardenne et Rhône-Alpes ont ainsi mis en place un Pass’contraception. D’autres encore ont un rôle social dans l’accès à la restauration scolaire ou à l’internat.
Ce sont des actions qui visent à faire en sorte que, dans la grave crise que traverse notre pays, les jeunes ne soient pas conduits à se déscolariser ou à se priver de cantine ou de logement pour des raisons économiques.

Weka.fr : Les régions ne participent-elles pas finalement à l’innovation pédagogique ?

François Bonneau : Ce sont les professeurs qui lancent les projets, par exemple dans le cas des voyages scolaires en Europe, déjà évoqués. Dans le cadre du développement des pratiques artistiques, la région Centre a aussi lancé l’opération « Aux Arts Lycéens ! » qui permet d’accueillir un artiste en résidence en lien avec les enseignants d’arts plastiques mais aussi d’autres disciplines. Il existe aussi, ailleurs, des dispositifs pour la connaissance des enjeux du développement durable.
Sur tous ces projets, les régions favorisent l’innovation pédagogique et participent à l’insertion des jeunes dans le monde économique, social et culturel. Parallèlement à l’implication croissante des régions dans le champ de l’éducation rendu nécessaire par le désengagement financier de l’État, nous assistons à une remise en cause de la décentralisation avec un gouvernement qui, par exemple, place l’élaboration de la carte des formations, pourtant confiée aux conseils régionaux par la loi de décentralisation, sous le double contrôle du préfet et du recteur !

Alan Kerhel

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