« La fonction publique n’est pas épargnée par l’individualisme qui traverse notre époque »

Publié le 21 mai 2013 à 0h00 - par

Entretien avec Luc Maillard, ergonome en collectivité territoriale.

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Weka : Luc Maillard, quels sont les principaux risques qui pèsent sur la santé des agents territoriaux ? Y a-t-il une prédominance des risques psychosociaux, ou des troubles musculo-squelettiques ?

Luc Maillard : L’impact des risques psychosociaux (RPS) est à peu près le même que dans le privé. Ils sont bien souvent cachés par des arrêts maladie ordinaire, derrière lesquels vont apparaître mal-être au travail, dépression, troubles du comportement. Il est difficile de dire si les RPS sont fréquents ou non dans la fonction publique territoriale (FPT). Néanmoins, on constate qu’ils sont bien réels. Les progrès en sensibilisation, la mise en place d’un plan national en santé et sécurité au travail, ont contribué à développer les démarches d’analyse et la prévention des risques psychosociaux (RPS). On repère donc désormais mieux les situations d’où découlent les RPS.

Pour ce que j’ai pu observer au cours de ma carrière, les RPS peuvent découler de nombreux facteurs dont le management fait partie : un management mal adapté à la FPT, à ses métiers, sera source de difficultés. Typiquement, positionner en tant que chef de service l’agent le plus ancien du service, sans se questionner sur ses capacités à animer une réunion ou mener un entretien, autrement dit à gérer ce que l’on nomme le facteur humain, va très probablement impliquer des dysfonctionnements, et favoriser l’émergence d’une souffrance psychologique au travail.

D’autant plus que le déroulement de carrière de certaines catégories d’emploi de la FPT n’aide pas à se projeter dans l’avenir, l’évolution professionnelle y étant complexe, échelonnée, très procédurale.

La fonction publique n’est pas épargnée non plus par cette tendance à l’individualisme qui traverse notre époque. La réalité sur le terrain c’est que sans projet fédérateur, il est difficile de maintenir une cohésion. Nombreux sont les agents chez qui s’accroît un sentiment de perte de  sens dans le travail : « Pourquoi je fais ça ? », « quels sont mes objectifs, quelle est ma place ? ». Phénomène face auquel les lignes managériales font aveu d’impuissance en apportant des réponses bien souvent maladroites et inadaptées.

Concernant les troubles musculo-squelettiques (TMS), il s’agit d’une problématique majeure, puisque cela représente plus de 80 % des maladies professionnelles en proportion, en jours d’arrêts et en coûts, et ce à l’échelle de la population active. Il s’agit là encore de maladies plus reconnaissables qu’avant, et dont les déclarations augmentent, sous l’effet de facteurs sociologiques : ce qui n’était pas reconnu comme TMS il y a dix ans l’est désormais, avec les absences et coûts qui en découlent.

Sachant qu’une maladie professionnelle représente en moyenne cent jours d’absence, payé plein pot. Et souvent à un stade d’évolution très avancé, avec des agents qui ne peuvent plus exercer leur emploi, et qu’il faut donc reclasser, ce qui est loin d’être évident dans une fonction publique où la plupart des postes sont dits techniques, et impliquent des gestes répétitifs, de l’effort physique, ainsi que des manutentions de charges parfois lourdes et/ou répétitives.

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Weka : Comment  agir sur ces problématiques de santé au travail ?

Luc Maillard : Il n’y a pas de solution toute faite. Concernant les RPS, il faut déjà passer par une phase d’analyse, identifier les facteurs engendrant des RPS, via des entretiens individuels ou encore des mises en débat. Ensuite, une fois les risques identifiés, on peut travailler sur les pistes d’amélioration : redonner du sens au travail, aux métiers, au statut de fonctionnaire, relancer ou dynamiser la cohésion d’équipe en faisant réfléchir les agents collectivement de façon à impliquer chacun d’entre eux, à les faire verbaliser sur leur quotidien professionnel. Il s’agit de les refédérer autour d’un projet commun : permettre de prendre du recul, de rediscuter les pratiques de façon à ce qu’ils s’approprient les changements éventuels et que ceux-ci soient pérennes.

Concernant les TMS, l’amélioration des conditions de travail passe par trois facteurs. Le facteur matériel : les outils sont-ils obsolètes ? Leur manipulation difficile ? Ne sont-ils pas trop lourds ? Peut-on les remplacer ? Le facteur organisationnel : s’intéresser aux modes opératoires (seul ou en équipe, rotation des agents au poste pour restreindre la pénibilité). Et enfin, le facteur humain : enseigner les comportements sécuritaires au travail (bon gestes et bonnes postures) et s’assurer qu’ils sont compris et intégrés par les agents.

Chacun de ces facteurs doit être pris en compte pour qu’une politique de prévention puisse atteindre ses objectifs, à savoir limiter l’impact sur la santé des agents. Prendre en compte un seul des trois n’aurait aucun effet à long terme. Après, la solution idéale, mais qui n’est pour l’instant mise en place nulle part, consisterait à réfléchir en terme de durée d’occupation de poste en fonction de leur impact sur la santé, afin d’intégrer dans la gestion des carrières la composante « gestion prévisionnelle de la santé ». En partant du principe que certains métiers sont intrinsèquement pénibles, et donc impossibles à tenir tout le long d’une carrière, et qu’il faut pour y remédier prévoir des parcours professionnels adaptés en amont. En d’autres termes, envisager la carrière d’un fonctionnaire comme une succession de métiers ou de transitions professionnelles lui permettant de changer de poste de travail avant que les effets sur la santé qui en découlent soient irrémédiables car les seuils d’exposition au risque TMS auraient été dépassés (trop longtemps et trop fréquemment).
 

Weka : Vous participez au nouveau service documentaire de Weka Santé et sécurité au travail en collectivité territoriale. Quelles réponses apporte-t-il à ces questions ?

Luc Maillard : Il aborde des thématiques très diversifiées, tout ce qui est susceptible d’intéresser les collectivités territoriales, à travers notamment des schémas synthétiques. C’est un outil d’information et de méthodologie très pertinent pour les collectivités territoriales, apportant des réponses concrètes, rédigées par des personnels de la FPT, avec des anecdotes propres à la FPT, ce qui permet de s’identifier en lisant les fiches. Un ouvrage représentatif des problématiques des collectivités territoriales en termes de santé et de sécurité au quotidien.
 

Propos recueillis par Bruno Decottignies

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