Analyse des spécialistes / Fonction publique

Qu’en est-il du report du congé annuel payé non pris du fait de la maladie ?

Publié le 24 mai 2017 à 9h00 - par

Si le droit de l’Union européenne est souvent perçu comme étant insuffisamment protecteur des droits des salariés, celui-ci apporte toutefois une garantie supplémentaire aux travailleurs en leur ouvrant le droit de reporter leur congé annuel payé non pris en raison d’un arrêt maladie.

Qu’en est-il du report du congé annuel payé non pris du fait de la maladie ?
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut
Donatien de Bailliencourt

Cette protection est implicitement prévue dans la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Mais son intégration en droit interne pour les fonctionnaires et agents publics a soulevé certaines interrogations auxquelles le Conseil d’État a récemment répondu par un avis contentieux du 26 avril 2017 (n° 406009).

Si la Haute Juridiction confirme le droit pour tout agent public de reporter son congé annuel payé non pris du fait d’un congé de maladie, elle en a néanmoins limité sensiblement la portée.

La confirmation du droit au report du congé annuel payé non pris en raison de l’obtention d’un congé de maladie

L’article 7 de la directive précitée du 4 novembre 2003 impose aux États membres de prévoir, dans leur législation nationale, le droit pour tout travailleur de bénéficier d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, étant précisé que cette période minimale de congé payé ne peut être remplacée par une indemnité financière sauf en cas de fin de relation de travail.

Par un arrêt C-350/06 et C-520/06 du 20 janvier 2009, la Cour de Justice des Communautés Européennes a interprété cet article comme faisant obstacle à l’extinction du droit au congé annuel payé à l’expiration d’une certaine période lorsque le travailleur a été en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période.

Cet article, tel qu’interprété par la jurisprudence de la CJCE, s’est heurté au droit national et plus particulièrement au droit de la fonction publique qui ne prévoit aucun droit au report du congé annuel payé.

En effet, une disposition similaire aux trois fonctions publiques précise que le congé annuel dû pour une année de service accomplie « ne peut se reporter sur l’année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service »1.

Parce que le report de ce congé annuel n’était envisagé qu’à titre exceptionnel et demeurait fermé pour les agents publics placés dans l’impossibilité de le prendre en raison d’un congé de maladie, cette disposition de droit interne a été jugée par le Conseil d’État, en 2012, incompatible avec l’article 7 de la directive2.

Le juge judiciaire s’était, quant à lui, très rapidement conformé à la jurisprudence de la CJCE puisque, dès le 24 février 2009, la Cour de Cassation avait jugé, sur le même fondement communautaire, que les congés payés acquis devaient être reportés après la date de reprise du travail lorsqu’un salarié s’était trouvé dans l’impossibilité de les prendre au cours de l’année prévue par le Code du travail ou une convention collective en raison d’absence liée à une maladie, à un accident du travail ou à une maladie professionnelle3.

Aux termes de son avis du 26 avril 2017, le Conseil d’État a fait une stricte application de sa jurisprudence, en rappelant l’incompatibilité des dispositions statutaires avec celles de l’article 7 de la directive et, par suite, leur illégalité, au motif que ces dispositions règlementaires « ne prévoient le report des congés pris au cours d’une année de service qu’à titre exceptionnel sans réserver le cas des agents qui avaient été dans l’impossibilité de prendre leur congés annuels en raison d’un congé de maladie ».

La reconnaissance du droit au report du congé annuel payé non pris en raison de l’obtention d’un congé de maladie constitue à l’évidence une avancée pour l’ensemble des fonctionnaires et agents publics.

Cependant, le Conseil d’État en a encadré strictement l’exercice.

La double limite apportée à l’exercice du droit au report du congé annuel payé non pris en raison d’un congé de maladie

Dans le cadre de l’avis contentieux du 26 avril 2017, le Conseil d’État a été consulté par la Cour administrative d’appel de Bordeaux sur les modalités d’exercice de ce droit au report.

Plus précisément, un fonctionnaire d’État avait saisi le tribunal administratif de Pau d’une action portant notamment sur l’indemnisation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de l’absence de paiement de jours de congé non pris au cours d’une longue période où il avait été placé en congés de maladie ordinaire.

Par un jugement n° 1300677 du 16 octobre 2014, le tribunal administratif de Pau avait condamné l’État à verser à ce fonctionnaire une indemnité représentative des congés annuels non pris correspondant à cette période.

Saisi en appel par le ministre de l’Intérieur, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, par un arrêt du 15 décembre 2016 (req. n° 14BX03684), rappelé l’incompatibilité des dispositions statutaires avec l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003 et saisi le Conseil d’État de deux questions portant sur les points de savoir :

  • si, en l’absence de règlementation nationale compatible avec les principes fixés par le droit européen, un agent public qui n’a pas pu prendre de congé annuel pour cause de maladie pouvait revendiquer un droit de report de son congé annuel sans limitation temporel ou s’il appartenait au juge d’apprécier, afin de préserver la finalité du congé annuel payé, le délai pendant lequel le congé non pris pour cause de maladie était reportable et, en cas de fin de relation de travail, indemnisable par l’administration ;
  • si, dans le cas où cette dernière hypothèse était retenue, pour fixer la période de report « dépassant substantiellement la durée de la période de référence » comme indiqué par la CJUE dans son arrêt du 22 novembre 2011, le juge devait faire appréciation au cas par cas, ou bien retenir comme règle une période de 15 mois dès lors que ce choix d’un autre pays a été reconnu pertinent par cet arrêt de la CJUE, ou bien encore fixer cette limite en s’inspirant du délai de 18 mois prévu par la Convention n° 132 de l’OIT du 24 juin 1970, concernant le droit des congés payés annuels, dès lors que la directive 2003/88/CE indique avoir tenu compte des principes de l’OIT en matière d’aménagement du temps de travail, ou de toute autre norme.

Pour répondre à ces questions, le Conseil d’État s’est inspiré de la solution dégagée par l’arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, aux termes duquel la CJUE a estimé que, « si la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l’agent d’exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d’un temps de repos ainsi que d’un temps de détente et de loisirs, s’oppose à ce qu’un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période ».

Le Conseil d’État a donc considéré « qu’en l’absence des dispositions législatives ou règlementaires fixant ainsi une période de report du congé annuel payé qu’un agent s’est trouvé, du fait d’un congé de maladie, dans l’impossibilité de prendre au cours d’une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d’assurer le respect des dispositions de la directive du 4 novembre 2013, que ses congés peuvent être pris au cours d’une période de 15 mois après le terme de cette année ».

Pour justifier cette durée de 15 mois, la Haute Juridiction s’appuie là encore sur l’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2011, qui a estimé qu’une telle durée, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, était compatible avec les dispositions de l’article 7 de la directive.

Il s’agit là d’une première limite, qui met par ailleurs fin à une solution retenue par la Cour administrative d’appel de Paris, qui avait considéré que l’administration ne pouvait utilement se prévaloir de l’interprétation de l’article 7 résultant de l’arrêt de la CJUE du 22 novembre 2011 dès lors que la directive n’avait, à la date de la décision administrative contestée, pas fait l’objet d’une transposition en droit interne alors que le délai de transposition imparti aux États membres était expiré, et que les dispositions en cause de cette directive n’étaient pas, s’agissant des conditions dans lesquelles pouvait être limitée la possibilité de report des congés annuels, suffisamment précises et inconditionnelles pour pouvoir être directement invoquées par l’administration dans le litige l’opposant à son fonctionnaire4.

Le Conseil d’État a défini une seconde restriction portant sur le nombre de semaines pouvant être reportées, en estimant que le droit au report s’exerçait, en l’absence de dispositions dans le droit national, dans la limite des quatre semaines prévues par l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003.

Alors que les fonctionnaires disposent statutairement d’un droit au congé annuel payé de cinq semaines, la Haute Juridiction a donc refusé d’étendre le droit au report à la totalité de ce congé annuel, se limitant au droit minimal énoncé par l’article 7 de la directive du 4 novembre 2003.

Si la reconnaissance, par le juge administratif, du droit au report du congé annuel payé non pris pour raison médicale est incontestablement une avancée statutaire pour les fonctionnaires, l’avis du Conseil d’État du 26 avril 2017 encadre ainsi l’exercice de ce droit en restreignant le nombre de semaines reportables et la période au cours de laquelle ce report peut être effectué.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut

 


Notes :

1. v. par ex. article 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l’État

2. v. CE, 26 octobre 2012, M. Lliboutry, req. n° 346648 ; CE, 26 novembre 2012, req. n° 349896 ; CAA Nantes, 6 juin 2013, req. n° 12NT00291

3. Cass. soc., 24 février 2009, CPAM de  Creil c/ K., pourvoi n° 07-44.488, Bull. civ. n° 49.

4. CAA Paris, 16 avril 2015, req. n° 14PA02218