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La présence d’une croix sur le portail d’un cimetière communal est-elle une atteinte au principe de laïcité ?

Publié le 28 septembre 2017 à 7h14 - par

Le tribunal administratif de Poitiers a été saisi par un administré d’un recours en annulation dirigé contre la décision d’un maire de rejeter sa demande tendant à ce que la croix ornant le portail du cimetière communal soit déposée.

La présence d'une croix sur le portail d'un cimetière communal est-elle une atteinte au principe de laïcité ?
Donatien de Bailliencourt avocat collaborateur Granrut
Donatien de Bailliencourt

Estimant que ce recours soulevait deux questions relevant des dispositions de l’article L. 113-1 du Code de justice administrative1, le tribunal administratif de Poitiers a alors saisi le Conseil d’État en lui demandant :

  • d’une part, si une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière doit, par principe, être regardée comme un signe ou emblème religieux dont l’installation est interdite depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 ou, au contraire, si elle est susceptible de revêtir une pluralité de significations de sorte qu’il appartient au juge de rechercher, dans chaque espèce, si cette croix constitue simplement un élément visant à signaler de manière traditionnelle la présence d’un cimetière ou si elle revêt le caractère d’un signe ou emblème religieux ;
  • et, d’autre part, en cas de recours en annulation contre la décision d’une personne publique refusant de procéder à la dépose d’un signe ou emblème religieux installé sur un monument public ou en quelque lieu public que ce soit, si le requérant doit établir que ce signe ou emblème a été apposé postérieurement à l’entrée en vigueur de loi du 9 décembre 1905 ou s’il appartient, à l’inverse, à la personne publique d’établir que ce signe ou emblème a été élevé antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi.

Par son avis contentieux rendu le 28 juillet 2017 (n° 408920), le Conseil d’État s’est borné à répondre à la première question, en rappelant que, bien que soumis aux principes de laïcité et de neutralité religieuse, le cimetière communal peut être un lieu d’expression des convictions religieuses et, par exception, accueillir des signes et emblèmes religieux2.

Le cimetière communal, dépendance domaniale soumise aux principes de laïcité et de neutralité religieuse

Dans l’avis du 28 juillet dernier, le Conseil d’État précise que le cimetière communal constitue une dépendance du domaine public de la commune et que cette qualification juridique implique sa soumission aux principes de laïcité et de neutralité religieuse.

Le caractère de dépendance domaniale ne fait pas débat, puisque le juge administratif a déjà eu l’occasion de retenir cette qualification pour des cimetières communaux3.

En tant qu’équipement public, le cimetière communal n’échappe pas à l’application des principes de laïcité et de neutralité religieuse, tels qu’ils sont énoncés par la Constitution4 et par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État.

À cet égard, l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 dispose que « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ».

Et selon les termes de l’article 2 de cette même loi, « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Dans son avis, le Conseil d’État rappelle que ces dispositions législatives imposent aux personnes publiques, d’une part, d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes et, d’autre part, de veiller à la neutralité des agents publics et de services publics à l’égard des cultes.

Se fondant sur l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 – lequel prévoit que « Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacements publics que ce soit, à l’exception des édifices servant aux cultes, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires ainsi que des musées ou expositions » –, la Haute juridiction reprend ensuite le considérant de principe résultant de ses deux décisions rendues à propos des crèches de Noël dans les équipements publics5.

Dans ces arrêts, le Conseil d’État a en effet considéré que les dispositions de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ont pour objet d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes et s’opposent donc à l’installation par celles-ci, dans un emplacement public, d’un signe ou emblème manifestant la reconnaissance d’un culte ou marquant une préférence religieuse, sauf exceptions6.

La première question posée par le tribunal administratif de Poitiers au Conseil d’État renvoie ainsi directement à ces deux décisions d’Assemblée et vise à déterminer si la solution dégagée pour les crèches de Noël dans les équipements publics est transposable au cas d’une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière communal.

Or, le Conseil d’État fait, sur cette question particulière, jouer l’exception prévue par l’article 28 précité.

Le cimetière communal, lieu d’expression des convictions religieuses

Même s’il appartient au domaine public, le cimetière communal peut constituer, par sa fonction ou sa destination, un lieu d’expression des croyances religieuses sans que cela heurte les principes de laïcité et de neutralité.

La « vocation religieuse » d’un cimetière communal se traduit d’ailleurs par la possibilité ouverte aux maires d’y créer un ou des espaces confessionnels, en vertu de leur pouvoir de police des funérailles et des cimetières prévu à l’article L. 2213-8 du Code général des collectivités territoriales7.

L’article 28 précité de la loi du 9 décembre 1905 instaure, pour les terrains de sépulture dans les cimetières ainsi que pour les monuments funéraires, une exception à l’interdiction de faire apparaître un signe ou emblème religieux dans un emplacement public.

C’est précisément ce qu’indique le Conseil d’État dans son avis du 28 juillet 2017.

En d’autres termes, si le principe de neutralité religieuse s’impose aux cimetières communaux, ce n’est que sur leurs parties publiques ; la liberté d’expression des croyances religieuses s’exerçant pleinement sur les lieux réservés aux sépultures.

Et s’agissant des parties publiques des cimetières communaux, l’avis du Conseil d’État précise qu’en n’instituant l’interdiction que pour l’avenir, que le législateur a entendu préserver les signes et emblèmes religieux existants à la date d’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement, indépendamment même des  protections prévues par le Code du patrimoine au titre de la protection des monuments historiques.

En définitive, par cet avis, le Conseil d’État s’en tient à une lecture classique des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, en assurant la préservation des signes et emblèmes religieux – telle qu’une croix –, apposés dans les parties publiques des cimetières communaux à une époque où cette loi n’était pas encore entrée en vigueur.

Cette solution mérite d’être rapprochée d’une réponse ministérielle récente aux termes de laquelle le ministre de l’Intérieur avait estimé raisonnable de supposer que, dans les cimetières construits avant la loi de séparation des églises et de l’État, les emblèmes religieux, notamment les crucifix sur les portails et dans les allées, dataient de cette époque et avaient été maintenus lors des éventuelles précédentes rénovations ; de sorte qu’il ne s’agissait pas alors d’élever un emblème religieux, mais de conserver un patrimoine d’ordre culturel.

 

Donatien de Bailliencourt, Avocat Counsel, cabinet Granrut

 


Notes :

1. L’article L. 113-1 du Code de justice administrative dispose : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la Cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’État ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai ».

2. Le Conseil d’État a écarté la seconde question au motif qu’elle ne constitue pas une question de droit nouvelle.

3. CE Sect., 28 juin 1935, Marécar, Rec. p. 734 ; CE, 12 décembre 1986, Consorts Ferry, req. n° 47627, AJDA 1987, p. 283, obs. X. Prétot.

4. Aux termes de l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

5. CE Ass., 9 novembre 2016, Commune de Melun et Fédération de la libre pensée de Vendée, req. n° 395122 et n° 395223; v. égal. CAA Marseille, 3 avril 2017, Ligue des droits de l’Homme c/ Ville de Béziers, req. n° 15MA03863.

6. Dans ces deux décisions, le Conseil d’État a notamment estimé que, « eu égard à cette pluralité de significations, l’installation d’une crèche de Noël, à titre temporaire, à l’initiative d’une personne publique, dans un emplacement public, n’est légalement possible que lorsqu’elle présente un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer la reconnaissance d’un culte ou marquer une préférence religieuse. Pour porter cette dernière appréciation, il y a lieu de tenir compte non seulement du contexte, qui doit être dépourvu de tout élément de prosélytisme, des conditions particulières de cette installation, de l’existence ou de l’absence d’usages locaux, mais aussi du lieu de cette installation. À cet égard, la situation est différente, selon qu’il s’agit d’un bâtiment public, siège d’une collectivité publique ou d’un service public, ou d’un autre emplacement public ».

7. v. en ce sens la circulaire du ministre de l’Intérieur en date du 19 février 2008, « Police des lieux de sépultures : Aménagement des cimetières – Regroupements confessionnels des sépultures ».

8. Rép. ministérielle JOAN, 15 décembre 2015, n° 91799.


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