L’administration dispose encore, et toujours, du privilège du préalable

Publié le 16 mars 2016 à 14h58 - par

Le Conseil d’État vient de rappeler que les personnes publiques peuvent recouvrer leurs créances sans recourir au juge.

Le département de l’Eure en première ligne contentieuse

En principe, les personnes publiques ne peuvent pas recourir au juge lorsqu’elles ont le pouvoir de contraindre une personne privée. Ce principe est identifié, depuis plus d’un siècle, par un arrêt du Conseil d’État, préfet l’Eure, du 30 mai 1913. Il constitue l’autre face du « privilège du préalable », selon lequel l’administration, dans le cadre des compétences qu’elle exerce dans un but d’intérêt général, peut imposer des sujétions aux administrés.

Le principe, en ces temps de mise en question des pouvoirs administratifs, vient d’être solennellement réaffirmé par le Conseil d’État, dans une décision du 24 février 2016, n° 395194, département de L’Eure ; on n’ose dire « malicieusement ». Ainsi, rappelle le Conseil d’État, « une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l’encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement de leur créance ». Mais, comme tout principe, il comporte des exceptions.

En matière contractuelle, le principe ne s’applique pas

Lorsque la créance est contractuelle, l’administration peut émettre un titre exécutoire. Mais elle n’y est pas contrainte. La décision du 24 février juge ainsi que « toutefois, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d’émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d’une demande tendant à son recouvrement, notamment dans le cadre d’un référé-provision engagé sur le fondement de l’article R. 541-1 du code de justice administrative ».

Ces rappels ne sont, à vrai dire, que des confirmations, même s’il n’est pas indifférent qu’ils le soient fortement. En revanche, il est utile de souligner que le Conseil d’État et la cour administrative n’ont pas eu la même appréciation de la situation ; là est le principal intérêt de la décision. La cour avait en effet considéré que le département recherchait la responsabilité quasi délictuelle des personnes privées qui s’étaient rendus coupables de manœuvre ayant eu pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché. Elle en avait déduit que la dérogation à la jurisprudence préfet de l’Eure en matière contractuelle ne pouvait trouver application et avait donc rejeté pour irrecevabilité la demande de condamnation des entreprises formulée devant le juge.

Le Conseil d’État censure le raisonnement au motif que l’action tend en fait à la réparation d’un préjudice né des stipulations du contrat lui-même, même s’il résulte de manœuvres dolosives, ces dernières ayant eu pour effet de payer un prix de marché supérieur à ce qu’il aurait dû être.

Laurent Marcovici


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