Michèle Savourey : « Le professionnel en protection de l’enfance n’est pas un tiers neutre »

Publié le 29 août 2012 à 0h00 - par

Entretien avec Michèle Savourey, psychologue clinicienne spécialisée en protection de l’enfance, thérapeute et médiatrice familiale, auteur de Re-Créer les liens familiaux et en charge de la formation L’approche médiation chez Weka formation.

Weka : Quel regard portez-vous sur la place accordée aux familles en protection de l’enfance ?

Michèle Savourey : Lorsque j’ai commencé mon exercice professionnel de psychologue clinicienne auprès des enfants, on ne se souciait guère des familles ! Les contacts avec celles-ci étaient réduits au strict nécessaire. Après cette époque « sans les parents », où nous pensions que le meilleur pour les enfants était de leur offrir un milieu substitutif, on a commencé à vouloir leur faire une place.

En allant à leur rencontre, nos représentations des familles ont évoluées. Les parents perçus jusque là essentiellement comme nocifs, pathogènes, devenaient surtout des parents en difficulté, en souffrance. Il fallait les aider, les soutenir. Mais nous étions, il faut le dire, plutôt au dessus, à les regarder, à les observer, à les analyser, à les superviser, à les synthétiser.

Depuis une décennie, nous voulons faire « avec » les familles et non plus « pour » elles. Ce n’est plus la même chose ! On nous dit, et on se dit, qu’il faut même travailler avec leurs compétences, leurs potentialités. Plus question de les juger, de les stigmatiser. Nous devons réaffirmer leur place, leurs droits, les accompagner… mais pour cela il faut apprendre à manier les paradoxes et à unir des vents contraires, ce qui n’est pas toujours facile.
 

Weka : C’est dans ce cadre qu’interviennent les processus de médiation ?

Michèle Savourey : Attention, il ne faut pas tout mélanger ! Bien sûr, les acteurs sociaux du champ de la famille posent quotidiennement des actes de médiation si l’on entend par médiation se situer à l’interface entre telle ou telle personne, telle ou telle instance.

De nombreuses initiatives se sont réclamées du champ de la médiation familiale, mais celle-ci à émergé comme une pratique spécifique, sans confusion avec d’autres métiers du champ familial. Ce n’est pas qu’une combinaison savante de savoirs, savoirs-être et savoirs-faire, mais c’est aussi du sens proposé, choisi. Du sens à travers des principes éthiques à respecter, des convictions à partager, un cadre méthodologique à vivre et à faire vivre.
 

Weka : En quoi la médiation familiale est-elle transposable dans le champ de la protection de l’enfance, compatible avec ses missions ?

Michèle Savourey : La loi de mars 2007 est axée sur le souci de prévenir les situations de danger pour les enfants et d’accompagner les parents dans la reprise en mains de leurs responsabilités. Mais nous savons tous à quel point les dispositifs d’aides peuvent aussi devenir excluants, particulièrement pour les familles les plus défavorisées. Ce sont bien les façons de penser, de voir et d’agir des équipes, des intervenants, qui font toute la différence.

C’est un point crucial : le professionnel en protection de l’enfance n’est pas un tiers neutre. Nous n’intervenons pas en tant que médiateur, nous gardons nos fonctions habituelles d’éducateur, assistant social, psychologue… mais nous travaillons différemment. Ce que je nomme « Approche-médiation », c’est l’adaptation de l’esprit et du processus de médiation familiale aux missions imparties à ce secteur.

Entre autres, le pouvoir de décision est très concrètement partagé avec les familles. Elle oblige, de fait, les intervenants sociaux à une plus grande lisibilité de leurs actions et à travailler avec la contrainte sans ambiguïté. Celle-ci doit se traduire uniquement en termes de besoins à satisfaire pour l’enfant qui devront s’articuler à ceux des parents, nommés et validés par les intéressés. Nous n’avons pas à faire comme s’ils étaient demandeurs alors qu’ils ne le sont pas le plus souvent. Il s’agit d’une manière différente de vivre la relation d’aide. Moins dissymétrique qu’habituellement.
 

Weka : L’Approche-médiation est donc un outil d’accompagnement des familles mais aussi de réflexion sur ses pratiques ?

Michèle Savourey : Bien entendu. Et il faut du courage, du renoncement, de l’humilité même, pour accepter de ne plus penser à la place des autres, pour accueillir dans une totale bienveillance leurs paroles, leurs idées et y donner du poids, de la résonance ! C’est parfois plus long, plus difficile, de cheminer « avec eux » que « pour eux ». Il faut accepter de quitter nos références, nos représentations. Il faut sans cesse, par la formation et l’analyse de pratique, remettre en cause ses à-priori, ses suppositions.

Mais chaque petit pas dans cet esprit apporte aux familles les moyens de se relever, de reprendre le contrôle de leurs vies et surtout d’apprendre ou réapprendre à croire en elles.
Je trouve très prometteur que des professionnels souvent déjà bien expérimentés, se forment puis s’engagent dans la pratique de l’Approche-médiation. Ils ouvrent la voie dans leurs équipes à de nouvelles façons d’appréhender les situations tout en gardant les prérogatives de leurs fonctions spécifiques.

Propos recueillis par Pierre Luçon

Prochaines sessions de la formation L’approche-médiation :

Formation : l’approche médiation, un nouveau modèle d’intervention en protection de l’enfance : les 10/12 septembre 2012 et 13/14 novembre 2012 à Paris.

Module de perfectionnement : 22/23 janvier 2013 à Paris.

Renseignements au 01 53 35 20 25 ou [email protected]


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