Délai de carence : « Avant de modifier les textes, veiller à ce que ceux existants soient appliqués »

Publié le 17 novembre 2011 à 0h00 - par

Ou pourquoi instaurer un délai de carence dans le public est inutile voire dangereux.

Le gouvernement a annoncé en début de semaine vouloir instaurer un délai de carence d’une journée dans la fonction publique, et l’allonger de trois à quatre journées pour les salariés du privé. Le délai de carence, pour rappel, c’est l’entame du congé maladie pendant laquelle le salarié n’est pas payé. Ainsi un salarié lambda du privé en arrêt maladie voit ses trois premiers jours d’arrêt non rémunéré, et ne sera payé qu’à partir du quatrième jour.

Avec cette mesure gouvernementale, il faudra au salarié attendre le cinquième jour d’arrêt pour être payé, alors que les fonctionnaires, eux, découvriront ce dispositif qui leur était jusqu’alors épargné, leurs arrêts maladie étant jusqu’à présent payés dès le premier jour.

Faire des économies

Le gouvernement justifie cette mesure par la volonté de faire des économies. « Les indemnités journalières maladie, qui représentent 6,6 milliards d’euros, progressent à un rythme élevé et difficilement justifiable (+3,9% en 2010, +1,5% en 2009) ». Cette mesure permettrait donc à la sécurité sociale d’économiser 200 millions d’euros, une mesure jugée « raisonnable » par François Fillon ce mardi 15 novembre, face à des députés UMP réclamant un délai de carence plus long pour les fonctionnaires que celui proposé par le gouvernement.

« Intolérable » ou « effort d’équité » ?

Les réactions ne se sont pas fait attendre de la part des syndicats, peu friands d’apprendre de telles mesures par communiqués de presse gouvernementaux. L’UNSA affirme ainsi dans un communiqué qu’ « il est intolérable que les agents publics soient systématiquement la cible de mesures visant à réduire leur situation sociale et leur pouvoir d’achat déjà largement amputés par le gel du point d’indice et la hausse récente des cotisations de retraite », notant par ailleurs que concernant les salariés du privé, l’allongement du délai de carence à quatre jours représenterait pour les smicards une perte non négligeable de 150€ par mois.

Ce à quoi François Sauvadet, ministre de la Fonction publique, répond qu’il s’agit d’un « souci d’équité » vis-à-vis des salariés du privé, « les efforts devant être partagés par tous ».

Une mesure inutile voire dangereuse

Si des économies sont à faire, une telle mesure n’en est pas moins inutile, selon Maître Chanlair, avocate spécialisée en droit de la Fonction publique. « Les fonctionnaires et salariés du privé ont des statuts totalement différents qu’il faut dissocier l’un de l’autre. En termes de salaires et à responsabilités comparables, les fonctionnaires sont largement défavorisés par rapport aux salariés du privé. Et leurs emplois ne leurs appartenant pas, ils peuvent donc passer d’un poste à un autre selon les desideratas de leur hiérarchie. En contrepartie, ils bénéficient d’un régime de sécurité social à part, qui garantit le maintien de leur traitement ». La non-existence de délai de carence dans la fonction publique jusqu’à aujourd’hui se justifie donc comme contrebalance à une situation salariale et professionnelle beaucoup moins séduisante que dans le privé.

Des économies sont pourtant réalisables ici sans modification de la législation. « Avant de modifier les textes, il faudrait veiller à ce que ceux existants soient correctement appliqués. La loi impose le versement du traitement des agents, pas de l’ensemble de la rémunération. Les primes et autres indemnités, qui constituent une bonne part des rémunérations des agents, sont trop souvent versés pendant l’arrêt maladie par les employeurs publics alors que rien ne les y oblige », poursuit maître Chanlair.

« Les fonctionnaires bénéficient de leur traitement pendant trois mois, ce que ne connaissent pas les salariés relevant du droit du travail. Mais à l’inverse, ils ne bénéficient pas de protection complémentaire souscrite par l’employeur et incluant un complément d’indemnités journalières, via des contrat-groupe signé avec des mutuelles, et ouvrant droit à des déductions fiscales fort attractives pour les entreprises » explique-t-elle, rappelant que pour les agents des petites collectivités, les contractuels de la fonction publique ou les agents à temps non-complets, la situation est rarement avantageuse.

« Imposer un délai de carence aux fonctionnaires sans contrepartie, c’est rompre un équilibre. Ca s’inscrit dans le fantasme du fonctionnaire plein de privilèges, qu’il faudrait aligner sur le droit du travail. C’est dangereux car c’est oublier que les cadres du privé sont beaucoup mieux payés que ceux du public, et que le droit du travail est beaucoup plus favorable à l’employé qu’à l’employeur, contrairement au droit de la fonction publique. Aller aux Prud’hommes peut coûter très cher, là où le droit administratif est très avantageux pour l’employeur public, et généralement sans possibilité d’appel », conclut-elle.