Analyse des spécialistes / Santé et sécurité au travail

Le droit de retrait des fonctionnaires

Publié le 13 mai 2014 à 13h43 - par

Droit de retrait et harcèlement dans la fonction publique : malgré les textes et la volonté affichée des partenaires sociaux, l’exercice du droit de retrait reste délicat même en situation de harcèlement avérée. Toute probabilité n’est cependant pas à écarter.

Le droit de retrait des fonctionnaires

Issu du droit communautaire, reconnu en droit du travail depuis la loi du 23 décembre 1982, le droit de retrait a été consacré tardivement dans la fonction publique d’État (1995), et dans la fonction publique territoriale (2000)1, pour ne citer que les principaux textes. Toutefois, auparavant, le juge administratif reconnaissait le droit de retrait, en l’absence de disposition, comme un « principe général du droit dont s’inspire l’article L. 2318-1 du Code du travail2 ».

Le droit de retrait a trouvé très peu d’hypothèses d’application dans la fonction publique, certaines médiatiques comme le cas des agents des transports en commun en cas d’agression subie par l’un des leurs. Mais même dans ce cas, il convient de vérifier que les conditions légales sont réunies pour que l’exercice du retrait soit valide3, surtout si l’employeur a pris des mesures. La jurisprudence administrative est riche d’exemples dans lesquels l’exercice du droit de retrait n’a pas été admis4.

Les textes exigent 4 conditions cumulatives.

Un agent peut se retirer s’il a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger (1°) grave (2°) et imminent (3°) pour sa vie ou sa santé et que l’exercice de ce droit ne place pas autrui dans une situation de danger grave et imminent (4°).

L’initiative appartient donc à l’agent, chronologiquement le 1er à affronter le danger, son employeur parfois ni conscient ni informé du caractère dangereux des conditions de travail.

L’employeur conserve en outre la possibilité de porter une appréciation différente de celle de l’agent sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser. C’est lui qui arrête les mesures à prendre, après avis du CHSCT compétent réuni en urgence dans les 24 heures. Or, lorsque raison est donnée à l’administration contre l’agent, celui-ci se retrouve dans une situation délicate, exposé à des retenues sur traitement voire à une sanction disciplinaire5.

De plus, la reprise de service du fonctionnaire est liée à la fin de la situation ayant motivé son retrait et n’est pas subordonnée à une information préalable de l’employeur sur les mesures prises pour supprimer le danger ou à une invitation à la reprise du service. La jurisprudence considère donc le retrait et sa fin comme une appréciation personnelle du fonctionnaire6.

La situation est encore plus délicate quand l’agent estime être en situation de  danger pour des faits de harcèlement. Le harcèlement implique des éléments constitutifs réunissant plusieurs faits et leur répétition dans le temps ; il peut difficilement servir de fondement au retrait qui suppose un danger imminent et jusqu’ici la jurisprudence ne l’a pas admis7. Pour autant, on peut penser que l’accumulation de faits entrainant une dégradation des conditions de travail et surtout de la santé de l’agent permettrait de qualifier l’existence d’un danger grave et imminent dès lors que l’agent aurait atteint les limites de sa résistance. Il est à souhaiter que l’agent conserve alors assez de lucidité pour exercer le droit de retrait plutôt que le suicide…

Encore récemment, la circulaire n° SE1 2014-1 du 4 mars 2014 adoptée dans le cadre du protocole d’accord du 8 mars 2013 relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes dans  la fonction publique, signé avec l’ensemble des organisations syndicales et des représentants des employeurs publics pour la prévention de toutes les violences faites aux agents sur leur lieu de travail et la lutte contre le harcèlement sexuel et le harcèlement moral, sans l’exclure, reste prudente sur la possibilité d’exercer le droit de retrait dans de telles situations.

Philippe NUGUE, Avocat associé au sein du cabinet Adamas

Textes de référence :

1. Décret n° 95-680 du 9 mai 1995 modifiant le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail, ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique et Décret n° 2000-542 du 16 juin 2000 modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale

2. CAA Bordeaux, n° 05BX00282, 8 novembre 2007

3. CAA Paris, n° 99PA35411, 26 avril 2001

4. CAA Paris, n° 03PA04675, 21 mars 2007 ; Nantes, n° 07NT01812, 7 mai 2008 ; Bordeaux, n° 9BX00691, 3 novembre 2009 ; Lyon, n° 09LY00879, 12 juillet 2010 ; Bordeaux, n° 12BX00568, 23 avril 2013 ; Versailles, n° 11VE03357, 30 décembre 2013

5. CAA Nancy, n° 05NC00043, 27 janvier 2007 ; Conseil d’État, n° 320935, 2 juin 2010

6. Conseil d’État, n° 320935, 2 juin 2010, recueil Lebon

7. TA Dijon, n° 0500720, 20 octobre 2005 ; Conseil d’État, n° 320840, 16 décembre 2009, recueil Lebon T.

 

Auteur :

Philippe NUGUE

Philippe NUGUE

Avocat associé au sein du cabinet Adamas


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