Censure partielle de la loi sur les soins sans consentement

Publié le 25 avril 2012 à 0h00 - par

HOSPIMEDIA – Suite à l’examen par le Conseil constitutionnel de dispositions de la loi du 5 juillet 2011, les questions soulevées par les soins sans consentement hors de l’hôpital restent entières… Des acteurs du dispositif de soins sous contrainte, psychiatres, magistrats et représentants des usagers s’interrogent.

HOSPIMEDIA – Le Conseil constitutionnel a censuré le 20 avril deux dispositions de la loi sur les soins sans consentement en psychiatrie, qui organisent des procédures spécifiques pour les mainlevées de mesures de soins concernant des patients déclarés irresponsables pénalement et pour ceux pris en charge en Unité pour malades difficiles (UMD). Les sages ont statué suite à la transmission en février par le Conseil d’État de quatre Questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Cette transmission fait elle-même suite à l’examen par la haute juridiction administrative d’un recours déposé par une association, le Cercle de réflexion et de propositions d’action sur la psychiatrie (CRPA), contre le décret du 18 juillet 2011 en application de la loi.

Absence de garanties contre le risque d’arbitraire

Les dispositions jugées contraires à la Constitution sont le paragraphe II de l’article L3211-12 du code de la santé publique (CSP) et l’article L3213-8. « L’abrogation immédiate de ces dispositions aurait eu des conséquences manifestement excessives », a noté le Conseil constitutionnel dans un communiqué, reportant au 1er octobre 2013 la date de cette abrogation. Sur ces articles, le Conseil d’État a relevé des conditions de mainlevées différentes. Ainsi, lors des contrôles de plein droit des Soins sur décision du représentant de l’État (SDRE), le Juge des libertés et de la détention (JLD) doit recueillir l’avis d’un collège interne à l’établissement quand le patient a été hospitalisé en UMD et, quand le patient a été déclaré irresponsable pénalement, celui d’un collège d’experts psychiatres. Mêmes différences sur les modalités de levée par le préfet des SDRE pour ces patients.

Le Conseil constitutionnel a reconnu « à nouveau » qu’en raison de « la spécificité de la situation des personnes ayant commis des infractions pénales en état de trouble mental ou qui présentent, au cours de leur hospitalisation, une particulière dangerosité », le législateur pouvait assortir de conditions particulières la levée de la mesure. « Toutefois, il appartient alors au législateur d’adopter les garanties contre le risque d’arbitraire encadrant la mise en œuvre de ce régime particulier », ont souligné les sages.
Ils notent qu’aucune disposition législative n’encadre les formes ni ne précise les conditions dans lesquelles une décision d’admission en UMD est prise par l’administration, alors qu’elle comporte pourtant des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres patients, notamment sur la levée de ces soins. D’autre part, pour les personnes irresponsables pénalement, la transmission au préfet par l’autorité judiciaire est prévue quelles que soient la gravité et la nature de l’infraction commise. Or, une telle décision de transmission, « sans garanties légales suffisantes », entraîne aussi des règles plus rigoureuses que celles applicables aux autres personnes soumises à une obligation de soins.

Perplexité des intervenants sur le suivi ambulatoire

L’ensemble des participants à la conférence de presse* se sont félicités de cette censure partielle mais n’ont pas caché leur perplexité devant les commentaires des juges validant la constitutionnalité du dispositif de suivi ambulatoire sous contrainte, qui n’est pourtant pas soumis au contrôle du JLD. L’article incriminé prévoit qu’une personne faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement peut être pris en charge en hospitalisation complète ou « sous une autre forme incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile, dispensés par un établissement (…) et, le cas échéant, des séjours effectués dans un établissement de ce type ».

Les juges ont estimé que les patients traités en ambulatoire « ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduits ou maintenus de force » pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins. « Aucune mesure de contrainte à l’égard d’une personne prise en charge en soins ambulatoires ne peut être mise en œuvre pour imposer des soins ou des séjours en établissement sans que la prise en charge du patient ait été préalablement transformée en hospitalisation complète », commentent-ils.

Une clarification législative réclamée

André Bitton, président du CRPA, relevant que ces programmes ambulatoires « ne peuvent donc plus être effectués sous la contrainte », a estimé que « cela complexifie extraordinairement la donne ». Et « cela veut dire que les programmes de soins, pourtant obligatoires sont libres. La contrainte n’y est pas vraiment, tout en y étant », a-t-il raillé, avant de réclamer une clarification législative. « Nous demandons soit que les programmes soient absorbés dans les soins libres, de façon claire, ou qu’il y ait une judiciarisation des programmes de soins », a-t-il ajouté, avant d’inviter les intervenants à « s’engouffrer dans la brèche » ouverte par la censure pour demander « une refonte complète de la loi ».

Pour Corinne Vaillant, avocate du CRPA, « le Conseil nous dit non. Il n’y a pas de privation de liberté, car le programme de soins ambulatoire prévoit une obligation de soins mais pas de contrainte de soins pas de coercition. Donc, obligation sans contrainte. Là, nous allons pouvoir tous réfléchir ! », a-t-elle relevé. Elle a pronostiqué « des difficultés d’application » quant à l’effectivité des droits du patient. « En pratique, on va voir des gens en hospitalisation complète glisser vers un programme de soins sans le savoir la plupart du temps puisqu’ils n’en sont pas informés, et rester à l’hôpital alors qu’ils pourraient théoriquement sortir », a-t-elle poursuivi.

« Obligation sans contrainte… Comme quoi la psychiatrie rend fou, même le Conseil constitutionnel », a ironisé Mathieu Bellahsen, psychiatre, venu représenter le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire. Odile Barral, secrétaire nationale du Syndicat de la Magistrature, a estimé que l’interprétation du programme de soins ouvrait « un sacré champ de questions » et se révélait « juridiquement assez compliqué », le syndicat ayant pourtant « toujours pensé que quand on dit « soins contraints à domicile », cela signifiait de la contrainte… ». Enfin, Christine Lajugie, représentant le Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP), a plaidé pour une clarification de ces soins ambulatoires. « Qu’est-ce c’est que cette contrainte sans contrainte, avec obligation ? Ça n’a pas de sens pratique et c’est la porte ouverte à toutes les dérives dans certaines équipes qui ont parfois des références éthiques flottantes », a-t-elle averti, militant par ailleurs pour « une grande loi cadre pour la psychiatrie ».

* Étaient également présents des représentants des associations Advocacy France et Humapsy, et Hélène Franco, membre du Conseil national de campagne du Front de Gauche. Un texte envoyé à cette occasion par le Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) a également été lu.

Caroline Cordier

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