Délégation de vaccination aux pharmaciens ?

Publié le 17 novembre 2014 à 0h00 - par

Les médecins et leurs organisations syndicales sont opposés à cette délégation de pratique qui figure dans le projet de loi de Santé.

« Nous devons inventer les délégations de tâches » a déclaré le Président de la République devant le Conseil de l’Ordre des médecins le 16 novembre. La première action de délégation envisagée consisterait à autoriser les pharmaciens et les sages-femmes à pratiquer certaines vaccinations, notamment prochainement celle contre la grippe hivernale. L’objectif annoncé est de faire progresser le nombre de vaccinations.

Un rapport du Haut Conseil de la Santé Publique daté de mars 2014 intitulé « Efficacité de la vaccination contre la grippe saisonnière chez les personnes âgées et les professionnels de santé » indique : « La grippe saisonnière touche annuellement 2 à 8 millions de personnes en France et entraîne le décès de plusieurs milliers de personnes, essentiellement des personnes de plus de 65 ans. Le HCSP a revu les données récentes – notamment les méta-analyses – relatives à la vaccination contre la grippe des personnes âgées, le risque particulier de grippe chez les professionnels de santé, le risque de grippe nosocomiale liée aux soignants ainsi que les études relatives à l’intérêt de vacciner les soignants pour protéger les patients…

Un stratégie complémentaire, visant à la protection indirecte des personnes les plus à risque de complications, en vaccinant les enfants de leur entourage, pourrait être envisagée. Ceci nécessiterait une mise à disposition du vaccin grippal vivant nasal, une étude indépendante d’acceptabilité auprès des professionnels de santé et du grand public, et une modalité d’administration du vaccin permettant l’obtention d’une couverture vaccinale élevée.

Malgré de puissantes campagnes de communication, le taux de couverture de vaccination reste faible. « Sur le vaccin contre la grippe, chez les plus de 65 ans, un Français sur deux seulement se vaccine », a indiqué Marisol Touraine. La raison principale en est la méfiance du public, mais une autre raison avancée est le fait que les personnes doivent aller voir un médecin, une infirmière ou un centre de vaccination spécialisé pour cet acte simple.

Qui vaccine ?

C’est le médecin qui réalise la vaccination via une consultation facturée à 23 euros, spécifique à la vaccination ou non. Cependant, le médecin ne possède pas de stocks de vaccins. Il faut se rendre chez son médecin pour se faire prescrire le vaccin, puis se le procurer à la pharmacie et retourner au cabinet médical pour l’injection.

Les infirmières ont obtenu en 2007 la délégation pour les vaccinations anti-grippales, à l’exception de la première injection, au tarif de 6,30 euros (mais de 3,15 euros pour un autre vaccin).

Les sages-femmes se sont également vu accorder le droit de prescrire et d’administrer des vaccins sous des conditions strictes et pour un nombre limité de vaccins.

La délégation aux pharmaciens

Les pharmaciens sont plus accessibles que les médecins. Un tarif moindre de l’acte (10 euros ?) permettrait d’effectuer des économies substantielles. Les pharmaciens sont intéressés par la réalisation de cet acte médical, sous réserve de définir la rémunération et d’obtenir une formation adaptée. À leur crédit, ce transfert d’actes est déjà réalisé au Portugal où les pharmaciens peuvent depuis 2007 pratiquer les vaccinations. Dans ce pays, 80 % des pharmaciens vaccineraient aujourd’hui leurs patients, notamment contre la grippe. Il en est de même en Grande-Bretagne et dans 5 cantons suisses pour 400 pharmacies.

Le réseau de 22 438 pharmacies ainsi mis à contribution permettrait d’étendre la couverture vaccinale : « chaque jour, 3,5 millions de personnes poussent la porte d’une de nos officines. Nous sommes donc bien placés pour amener à la vaccination des personnes qui vont très peu souvent chez le médecin », indique Philippe Besset, vice-président de la Fédération des syndicats pharamaceutiques de France (FSPF).

La réponse des organisations de médecins

Les syndicats de médecins cependant sont fermement opposés à une telle mesure. Le président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) Jean-Paul Ortiz indique que « vacciner n’est pas un acte anodin » et craint une banalisation de l’acte au prétexte de vouloir étendre la vaccination. Cette organisation indique que « le fort courant anti-vaccin spécifique à la France nécessite une discussion des patients avec les médecins. Peut-être que la banalisation qui a été faite lors de l’épisode de H1N1 n’est pas étrangère à la méfiance ».

MG France s’élève contre ce projet ; « d’une part, ce n’est pas le métier des pharmaciens, ensuite, cela va désorganiser la vaccination car les médecins, censés assurer une traçabilité et prévoir la suite pour leurs patients, ne seront destinataires d’aucun retour ».

L’Union nationale des omnipraticiens français (UNOF) a annoncé sa volonté de faire grève durant les fêtes de fin d’année.

Annick Touba, la Présidente du Snill, un syndicat d’infirmières libérales, indique qu’« injecter un produit dans le corps humain demande une compétence spécifique qui est du ressort des médecins et des infirmières ».

Une proposition qui n’est pas neuve

L’Académie de Pharmacie indiquait dès 2009 que la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST) « fournit plusieurs fondements potentiels pour l’administration du vaccin par le pharmacien même ». Un rapport de cette institution intitulé « Le rôle des pharmaciens dans la prise en charge de la vaccination » en 2011, établi à la demande du ministère de la Santé de l’époque, recommandait déjà d’étendre la capacité de vacciner aux officines pharmaceutiques. Le 23 avril 2013, la ministre de la Santé évoquait au Sénat la possibilité d’élargir le nombre de professionnels autorisés à prendre en charge les vaccinations, notamment « autoriser une vaccination par un infirmier au sein d’une pharmacie ». En octobre 2014, le projet de loi propose d’étendre le droit de vacciner aux pharmaciens.

De la loi HPST de 2009 au projet de loi Santé discuté au Parlement début 2015, la continuité semble sur ce point bien assurée.

DT.

Pour aller plus loin :


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Santé »

Voir toutes les ressources numériques Santé