Du DMP Personnel au DMP Partagé : Dérive Majeure Permanente !

DMP

Publié le 1 juillet 2014 à 0h00 - par

Dans un discours du 19 juin, Marisol Touraine a annoncé que le Dossier Médical Personnel allait devenir Dossier Médical Partagé, et que sa gestion serait confiée « à l’assurance maladie ».

L’origine du DMP

Rassembler toutes les données détenues par les médecins, les hôpitaux, les laboratoires… concernant la santé du patient n’est pas une idée neuve, mais les moyens technologiques d’aujourd’hui en donnent la possibilité. Via l’informatisation, la dématérialisation, la centralisation, toutes les informations concernant la santé d’un individu devraient à terme se retrouver au même endroit et, mieux, être immédiatement accessibles par tous ceux qui en ont besoin. Tel était le but avoué du Dossier Médical Personnel avec une incidence financière attendue de rationalisation : chaque intervenant médical pouvant connaître exactement les antécédents du patient, la génération d’examens déjà préalablement réalisés devenait inutile, le diagnostic, l’adaptation du traitement devenaient meilleurs ou plus aisés, les interactions médicamenteuses étaient diminuées, un archivage devenait plus simple, les accès à des résultats d’examens plus rapides…

Le contenu du DMP

Le DMP est structuré en 6 grandes parties :

  • données d’identification : du titulaire du dossier (état civil, identifiants, médecin traitant…),
  • données générales : antécédents médicaux et chirurgicaux, historique des consultations médicales et chirurgicales, vaccinations, allergies,
  • données de soins : résultats d’examens biologiques, diagnostics, comptes rendus d’actes de soin, pathologies en cours, traitements prescrits ou administrés,
  • données de prévention : facteurs de risques individuels, diagnostics à but préventif, comptes rendus d’actes de soins préventifs, traitements préventifs,
  • données image : radios, scanners, IRM, échographies…,
  • expression personnelle du titulaire : par exemple, position sur le don d’organes, coordonnées de la personne à prévenir en cas d’accident…

Chaque dossier est identifié par un numéro unique de 22 caractères, issu du numéro de SS (NIR) par un codage le rendant anonyme.

Le DMP est aussi un vaste chantier informatique se basant sur des connections sécurisées avec des accès basés sur les cartes professionnelles de santé (CPS), des normes d’échanges des données et des résultats, des hébergeurs de données agréés… Les responsables espéraient qu’au bout de quatre ans, 80 % des utilisateurs potentiels auraient ouvert un dossier et que le DMP dégagerait près d’un milliard d’euros de gains de productivité (diminution des accidents consécutifs à une mauvaise information sur le patient, diminution des prescriptions ou des examens inutiles ou redondants, gain de temps…).

L’historique et la dérive de ce dossier

Adopté à la suite d’une loi préparée par Philippe Douste-Blazy en 2004, le Dossier Médical Personnel a été expérimenté au deuxième semestre 2006. Relancé par Roselyne Bachelot à partir de 2008, il ne devient effectif que fin 2010. En 2011, le GIP-DMP qui avait été créé pour développer le DMP disparaît et la gestion du DMP est confiée à l’ASIP Santé (Agence des Systèmes d’Information Partagés de Santé), placée sous l’égide du ministère en charge de la Santé.

La Cour des comptes en 2012 critique « le pilotage défaillant » par l’État du développement du DMP et avance dans un rapport publié en 2013 une insuffisance grave du suivi financier, une multiplication d’expérimentations sans lendemain, une incompatibilité des outils informatiques entre hôpitaux… et un coût estimé depuis 2005 de 210 millions d’euros. L’Asip Santé recensait le 12 août 2013 exactement 368 424 DMP, 364 établissements utilisateurs, 4 965 professionnels de santé libéraux utilisateurs. Moins de 180 000 dossiers ont été créés en un an.

400 000 dossiers à moitié vides, 500 millions d’euros

La prévision contractuelle passée avec la société privée hébergeant le DMP et annoncée publiquement était de 5 millions de dossiers DMP fin 2013. 418 011 dossiers ont été créés au 2 janvier 2014. 7 millions d’euros supplémentaires doivent être versés en 2014 pour continuer d’héberger ces quelque 400 000 dossiers existants. Plus alarmant, un rapport indique que seulement 47 % des dossiers créés au niveau national contenaient, au 31 décembre 2012, au minimum un document. Ainsi plus de la moitié des dossiers créés à cette date étaient vides et le sont toujours.

En novembre 2013, l’actuelle ministre de la Santé Marisol Touraine a remplacé le directeur de l’ASIP Santé et s’est engagée à lancer un DMP de 2e génération, plus efficace. Le 4 janvier de cette année, Le Parisien déclare avoir consulté un document interne du « Conseil national de la qualité et de la coordination des soins », chargé d’arbitrer les financements destinés à l’amélioration de la médecine de ville, dans lequel « le coût estimé du DMP a été chiffré à 500 millions d’euros depuis 2004 ». L’ASIP, en réponse, avance un montant de 187 millions d’euros mais en ne prenant en compte que les versements effectués par la CNAM. Le député Gérard Bapt, député PS de Haute-Garonne et président du Groupe d’études « Numérique et santé » à l’Assemblée nationale, ajoute alors que le dérapage des coûts reste sous-estimé : « On peut aussi ajouter les coûts induits par l’adaptation du dossier informatisé dans les hôpitaux, les heures de formation, toutes ces dépenses qui ne concernent pas directement l’élaboration du dossier mais qui sont bien réelles. On peut très bien atteindre le milliard d’euros ! »

Devant ce fiasco, la vie du DMP au sein de l’ASIP Santé était scellé.

500 millions pour rien ? D’une loi à une autre : retour à la case départ ?

La gestion du dossier DMP par la CNAM en tant que maître d’œuvre aurait pu être menée dès l’origine, comme de nombreuses voix l’ont suggéré à l’époque. Si l’on suppose que l’Assurance maladie – à la croisée des médecins, des pharmaciens et des patients – peut remédier à la faible ampleur d’utilisation du DMP et a les moyens de les renseigner, un accord avec l’Assurance maladie aurait pu être trouvé et aurait économisé une grande part de cette dépense conséquente. Il semble aujourd’hui difficile et risqué pour nos décideurs d’arrêter la machine emballée DMP et les annonces du ministère, en recentrant sur le partage des résultats – volets médicaux de synthèse, résultats d’analyse, comptes rendus de soins hospitaliers – et non plus sur le contenu à visée personnelle du dossier de santé, visent à sauver ce qui peut l’être encore. À cela s’ajoutera un volet technique de sécurisation des messageries des acteurs de la santé ainsi qu’un thésaurus de connaissances actualisées afin d’accéder aux « dernières données de la science ».

Les nouveaux contenu et dénomination doivent être inscrits dans la future loi Santé annoncée. Des débats en perspective…

DT.


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