Enfant handicapé : quelle indemnisation pour avoir été privé de la chance de ne pas naître ?

Publié le 16 mars 2011 à 0h00 - par

Comment une telle affirmation peut-elle ne pas déchaîner les passions ? Onze ans après l’arrêt Perruche, les jurisprudences successives et la révision de la loi de bioéthique du 15 février 2011 parviennent difficilement à apaiser les esprits. Comment les juges ou les parlementaires prennent-ils leurs décisions pour faire évoluer la loi ?

L’arrêt Perruche du 17 novembre 2000 consacre « le droit à réparation de l’enfant handicapé privé de la chance de ne pas naître en raison d’une faute du médecin ». Le médecin n’avait pas informé la mère de l’enfant, alors qu’elle était enceinte, de son infection rubéolique. L’enfant avait développé de graves séquelles consécutives à cette atteinte in utero par la rubéole. En n’informant pas la mère, le médecin l’a privée de son choix d’avoir recours à une interruption thépeutique de grossesse.

La Cour de Cassation étend le bénéfice de l’arrêt Perruche à l’enfant trisomique en lui permettant d’obtenir une réparation de l’intégralité de son handicap. Le risque de responsabilités mis à la charge des professionnels de santé a provoqué la plus grande inquiétude de la part des assureurs, le coût de chaque sinistre pouvant être estimé à plusieurs millions d’euros.

Le 20 décembre 2010, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (article 66) modifiait l’article L.1142-21-1 du Code de la santé publique, disposant que :

« Lorsqu’un médecin régi, au moment des faits, par la convention nationale mentionnée à l’article L.162-5 du code de la sécurité sociale ou le règlement arbitral mentionné à l’article L.162-14-2 du même code et exerçant, dans un établissement de santé, une spécialité chirurgicale, obstétricale ou d’anesthésie-réanimation, ou lorsque qu’une sage-femme, régie au moment des faits par la convention nationale mentionnée à l’article L.162-9 du même code, et exerçant dans un établissement de santé, est condamné par une juridiction à réparer les dommages subis par la victime à l’occasion d’un acte lié à la naissance, que la couverture d’assurance prévue à l’article L.1142-2 du présent code est épuisée, et que la victime ne peut obtenir l’exécution intégrale de la décision de justice auprès du professionnel concerné, cette victime peut saisir l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux institué à l’article L.1142-22 en vue d’obtenir le règlement de la part d’indemnisation non versée par le professionnel au-delà des indemnités prises en charge par l’assureur dans le cadre des contrats souscrits en application de l’article L.1142-2. Le professionnel doit alors à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux remboursement de la créance correspondante, sauf dans le cas où le délai de validité de la couverture d’assurance garantie par le cinquième alinéa de l’article L.251-2 du code des assurances est expiré ou que le juge compétent a constaté l’incompatibilité du règlement de la créance avec la solvabilité du professionnel. »

Pour élargir le débat, le 15 février 2011, les députés ont voté, dans le cadre des débats pour l’actualisation des Lois « Bioéthique » un amendement du rapporteur UMP, Jean Léonetti, par ailleurs président de la Fédération Hospitalière de France, sur le dépistage prénatal de la trisomie 21. Les gynécologues sont furieux.

D’après l’article 9 de la loi sur la bioéthique, toutes les femmes peuvent demander le dépistage de la trisomie 21, mais Jean Léonetti, soutenu par Bernard Debré, estime qu’il appartient au médecin de décider d’un diagnostic prénatal. Il ajoute : « On ne peut pas tout faire, à tout le monde, dans tout les cas… si on commence à faire des examens sur tout, là, on va aller vers l’eugénisme […] Quand il y a un soupçon, la femme est informée. »

Pour les obstétriciens, les sages-femmes et le Collège national d’échographie fœtale, le texte ne respecte pas les droits du patient. Au nom de convictions idéologiques et religieuses certains députés estiment qu’il n’est pas utile d’informer une femme de 20 ans sur les risques de trisomie 21, ce qui est d’autant plus préoccupant que l’on sait que 70 % des enfants trisomiques naissent de mères de moins de 38 ans, pour des raisons statistiques. Le Sénat doit prochainement statuer sur cet amendement.

Un tel débat illustre à l’évidence les risques de confusion entre morale, droit et éthique dans le débat idéologique et l’approche nécessairement pragmatique des lobbies des compagnies d’assurance. Certains courants de pensée conservateurs viennent ici, sous le rideau de fumée d’un discours « éthique », faire prévaloir leurs conceptions morales et religieuses en faveur d’un droit absolu à la vie, remettant en cause la dépénalisation de l’IVG. Si la liberté d’opinion autorise naturellement l’expression de telles convictions, encore convient-il, dans un État laïque, qu’elles ne viennent pas affecter le périmètre de liberté de tous ceux dont l’expression de valeurs prend d’autres formes et d’autres orientations. Dans le champ de l’éthique, ce débat devrait avoir pour seul objet de rechercher un consensus relatif, fondé sur un compromis. Tel n’est pas le cas si la démarche se fonde sur les seules valeurs morales, nécessairement dogmatiques. Peut paraître le plus choquant encore l’étonnante convergence d’intérêts entre le discours fondé sur la morale traditionnelle et les éminentes préoccupations financières des compagnies d’assurances en charge de la réparation des dommages, sans doute fort satisfaites du plafonnement de leurs obligations dès lors qu’au-delà de ce plafond, ce n’est plus le patrimoine de l’auteur de la faute qui est menacé. La collectivité publique, au titre de la « solidarité nationale », par le biais de l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) vient ainsi au secours du système au risque d’altérer le sens profond de la responsabilité des acteurs de santé en cas de faute. Morale ou cynisme ?


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