Innover à l’hôpital grâce aux technologies numériques

Publié le 18 juin 2012 à 0h00 - par

Aude Montmayeur-Brouat, responsable de la coordination R&D de la Direction du système d’information et de l’informatique aux Hospices civils de Lyon, a déployé de nouvelles technologies afin d’améliorer la qualité des soins médicaux.

Weka.fr : En octobre dernier, les Hospices civils de Lyon (HCL) fêtaient leur 4 000e lit informatisé. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

Aude Montmayeur-Brouat : Le CHU de Lyon est le second centre hospitalier de France, avec 25 000 salariés qui accueillent et soignent chaque année plus d’un million de patients. Conscient des enjeux liés à l’informatisation des unités de soins, l’hôpital a lancé en 2005 le projet innovant et ambitieux d’informatisation du circuit du médicament avec le logiciel OPIUM, module de la suite Cristal-Net développée par la communauté du logiciel libre en santé COLIBRIS.

Le déploiement du logiciel a été pris en charge par une équipe pluridisciplinaire de 15 personnes qui a rencontré toutes les unités de soins pour les accompagner individuellement dans ce changement. Le déploiement s’est donc fait « unité par unité » et même « lit par lit » au sein des unités. En informatisant le 4 000e lit sur les 5 500 que compte l’hôpital, cela marque la fin des déploiements. Les lits restants relèvent des hôpitaux de jour, des urgences ou de la réanimation, et sont informatisés par un autre logiciel.

Weka.fr : Concrètement, comment cela se passe-t-il ?

Aude Montmayeur-Brouat : Dans le cadre de l’informatisation de la prescription, c’est tout le circuit du médicament qui est informatisé : les médecins prescrivent dans l’outil, les pharmaciens dispensent dans l’outil, puis les infirmières tracent les prises de médicaments dans l’outil informatique. Dans cette chaîne d’acteurs, il en manquait un : l’aide-soignant. Dès le lancement, les Hospices civils de Lyon ont eu le souci de l’inclure dans le projet. L’aide-soignant joue un rôle important dans le recueil d’informations auprès du malade du fait de sa relation privilégiée avec ce dernier et du temps passé auprès de lui en soins quotidiens. Il est notamment chargé de la saisie des paramètres vitaux, du suivi de la douleur, mais aussi de nombreux soins de base et de confort. Classiquement, ces informations sont transmises par oral ou saisies sur papier avant d’être recopiées a posteriori dans le dossier patient informatisé, quand il existe.

Ce fonctionnement, qui introduit des retards voire des absences d’information, constitue une source d’erreur importante et peut entraîner une perte de chance pour le patient. Or les premiers essais de l’outil institutionnel par les aides-soignants ont été décevants car rien n’avait été conçu spécifiquement pour eux. Les aides-soignants devaient utiliser les mêmes écrans que les infirmières, avec les mêmes habilitations, et concrètement, peu d’entre eux avaient abandonné le papier malgré quelques évolutions apportées par l’éditeur. En 2007, le projet restait toujours peu ergonomique : la mobilité étant réduite de par le chariot transportant l’ordinateur et les contraintes de connexion peu adaptées à leurs tâches de recueil rapide d’une chambre à l’autre.

Pour autant, l’institution ne pouvait supporter durablement que les paramètres vitaux du patient soient peu saisis, ou seulement sur papier, alors même que tout le reste du dossier était devenu numérique. L’équipe de Recherche et Développement de la Direction du système d’information et de l’informatique (DSII) a donc été mandatée pour trouver un support permettant une grande mobilité, capable de séduire du personnel à la culture informatique faible, supportant une application ergonomique et pour autant totalement connectée au dossier patient en temps réel. Fin 2009, le projet mobil-ASD est donc lancé, avec pour objectif de tester si l’iPod Touch d’Apple® pouvait apporter le même service qu’un ordinateur portable tout en apportant des avantages de légèreté et de mobilité.

Weka.fr : Quels ont été les résultats ?

Aude Montmayeur-Brouat : Avec mobil-ASD, l’iPod est devenu le garant d’une plus grande sécurité des soins délivrés aux patients et d’une meilleure traçabilité des actes : les informations sont capturées et saisies en temps réel dans la chambre du patient. Il n’y a plus ni oubli, ni retranscription, ni transmission orale. Des paramètres aussi basiques que le poids sont mesurés et vont intervenir directement dans la posologie des médicaments. La douleur du patient n’est plus une plainte sourde mais un paramètre évaluable de jour en jour.

Les équipes y voient également un avantage en termes de confidentialité : l’iPod est affecté à une personne qui se connecte pour lire et saisir ses données, contrairement aux pratiques de l’ordinateur portable partagé par l’équipe soignante qui ne permet pas la traçabilité fine. Et nous constatons tous les jours que des ordinateurs portables restent allumés dans le couloir sur l’écran des soins à administrer au patient, ce qui peut attirer des regards indiscrets, contrairement à l’iPod qui reste dans la poche du soignant.

Du côté des patients, les enquêtes ont montré qu’ils se sentaient « rassurés ». L’aide-soignant doté de son iPod donne l’image d’un personnel bien équipé. Et la saisie informatique en temps réel dans la chambre leur donne davantage confiance que le petit carnet papier utilisé précédemment par les aides-soignants.

Mais mobil-ASD a aussi permis d’aller encore plus loin dans la qualité des soins. Par exemple, dans le cadre du dépistage des troubles nutritionnels de l’adulte (un des indicateurs qualité de l’institution), les HCL ont souhaité améliorer le suivi de ce paramètre et son évaluation, en rendant la saisie du poids et de la taille obligatoire dans tous les logiciels. Devant le succès des premiers déploiements de mobil-ASD et compte tenu du développement réalisé en interne, les HCL se sont tournés vers l’équipe de Recherche et Développement avec une interrogation simple : est-ce que le périmètre de mobil-ASD ne pouvait pas être élargi pour faire de l’application le vecteur de la démarche qualité ? La réponse fut positive et quelques semaines après la demande, l’évolution a été implémentée : des contrôles ont été ajoutés pour imposer à l’aide-soignant de saisir des données lorsqu’aucune valeur n’a été trouvée en amont dans le dossier numérique.

Weka.fr : Comment les Hospices civils de Lyon sont-il arrivés à cela ?

Aude Montmayeur-Brouat : Tout a démarré en 2010 avec la création de l’équipe de Recherche et de Développement. Elle a été créée dans l’objectif d’innover. En étant d’un côté à l’écoute des collègues soignants, de l’autre en veille sur les nouvelles technologies matérielles et de développement informatique, on arrive très vite à lancer des idées de nouveaux outils informatiques. Ensuite, du fait de la proximité géographique avec les unités de soins, nous mettons en place des expérimentations dans des services pilotes. Elles nous permettent alors soit d’abandonner cette idée qui semblait géniale, soit au contraire de l’étoffer par un processus de « co-construction locale » et on arrive ainsi à des projets tels que ceux cités.

Weka.fr : L’équipe Recherche et Développement de la Direction des services informatiques du CHU démarre une étude d’opportunité autour de l’iPad. Où en est-elle ? Quelle serait son utilisation ?

Aude Montmayeur-Brouat : Après avoir testé sept tablettes en 2011, nous avons retenu l’iPad2 pour 2012. Il est destiné tout d’abord aux médecins pour lesquels nous avons développé une version mobile du dossier patient. Nous travaillons également à une application destinée aux patients hospitalisés.

Weka.fr : Enfin, avez-vous d’autres projets en termes de nouvelles technologies ?

Aude Montmayeur-Brouat : Nous sommes en veille technologique permanente sur les tablettes pour essayer de remplacer le poste fixe du médecin dans son bureau par une tablette mobile connectable à un dock par exemple. Nous sommes également en veille sur les technologies de développement : nous surveillons ce qui se fait et se dit sur CSS3 et HTML5 notamment.


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