Les psychiatres en milieu pénitentiaire craignent une confusion croissante entre peine et soins

Publié le 24 mars 2015 à 15h33 - par

HOSPIMEDIA-Les 24es journées annuelles des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire se sont tenues à Nantes les 19 et 20 mars. Psychiatres et professionnels des secteurs médico-social, judiciaire et pénitentiaire ont réfléchi ensemble à leurs pratiques et au suivi psychiatrique des personnes détenues pendant leur peine et après leur sortie de prison.

psychiatrie

Omniprésente dans le système carcéral, la psychiatrie est de plus en plus sollicitée dans les procédures pénales. Face à ce constat, les professionnels du secteur des champs médico-social, judiciaire et carcéral ont réfléchi ensemble à l’ « articulation dedans-dehors » lors des 24es journées annuelles des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, qui se sont déroulées à Nantes les 19 et 20 mars derniers. Ainsi, les avis des psychiatres ont un poids croissant dans l’ensemble de la chaîne judiciaire et des décisions avec le risque que leur soit de moins en mois demandé de soigner. Une situation qu’ils dénoncent mais à laquelle ils tentent de réfléchir afin de trouver leur place. « Dans notre relation avec le patient, un tiers est toujours là, la pénitentiaire ou le judiciaire », rappelle le Dr Michel David, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP).

Incarcérer une personne condamnée à une peine exécutée en milieu ouvert, sursis ou contrainte pénale (instaurée par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines, dite « réforme pénale »), assortie d’une obligation ou d’une injonction de soin, ou réincarcérer un sortant pour le non-respect de ces mesures sont des procédures qui créent une confusion entre le soin et la contrainte voire la sanction, regrettent nombre de psychiatres. De la même manière, lier l’aménagement de la peine à l’acceptation d’une prise en charge pendant la période d’incarcération, place les soins au cœur du dispositif pénal plus que médical.

Le sentiment de servir davantage les juges que les soins

Face à ces dispositifs, les personnels médicaux et soignants ont bien souvent le sentiment d’être finalement plus au service du juge que des soins. Un constat qui conduit Virginie Gaudron, maître de conférence en droit pénal et sciences criminelles, directrice adjointe du laboratoire droit et changement social à Nantes, de qualifier le juge de « prescripteur médical » et le médecin « d’auxiliaire de justice ». Cette problématique qui interroge l’articulation entre psychiatrie et judiciaire amène aujourd’hui les praticiens à se poser la question de leur identité professionnelle : comment répondre aux demandes des juges, de l’administration pénitentiaire mais aussi de la société de plus en plus préoccupée par la dangerosité ? Sans compter que les psychiatres se disent submergés par les demandes d’attestation de suivie qui perturbent le fonctionnement de leur service, une conséquence selon eux des dérives sécuritaires.

Si les professionnels ont tenté avant le 19e siècle de se partager les tâches et de déterminer ce qui relevait de la justice et de la psychiatrie, il faut se souvenir que, dès 1790, la prison est considérée comme l' »infirmerie du crime » avec pour mission de guérir les délinquants, rappelle Virginie Gaudron. Cet objectif a généré des interactions croissantes entre l’ensemble des acteurs exerçant dans les différents champs. Une évolution qui n’est pas sans effets pervers dont l’un est la tentation de placer les personnes atteintes de troubles mentaux en prison plutôt qu’à l’hôpital. Ainsi, le Dr Olivier Giron, chef de service du service médico-psychologique régional (SMPR) de Nantes, souligne que « l’existence de SMPR dans les centres de détention présente le risque de légitimer l’incarcération de personnes malades, les excluant de fait d’une prise en charge par la psychiatrie de secteur et créant une forme de filiarisation ».

Pour rappel, il n’est pas possible d’imposer à une personne incarcérée de se soigner, toute prise en charge nécessitant son consentement. En prison, les détenus ont ainsi accès à des consultations médicales générales et spécialisées et à l’hospitalisation de jour effectuée dans les SMPR, au nombre de 26 en France. « Mais l’offre de soin est très inégale sur le territoire et il est très difficile de faire un état des lieux du secteur, constate le Dr Michel David. Il y a des maisons d’arrêt qui n’ont plus de psychiatre. » Si l’hospitalisation sous contrainte existe, elle suit une procédure spécifique de soins sans consentement et se déroule dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) ou une unité pour malade difficile dont la sécurité est renforcée (UMD), chacune étant située à l’hôpital.

Construire des passerelles entre services pour assurer le suivi des sortants

Mais comment assurer le suivi psychiatrique de la personne détenue après sa sortie de prison ? En dehors des procédures de soins obligatoires, il n’existe en effet pas de parcours prédéfini et coordonné. L’organisation de la prise en charge est laissée aux professionnels de santé, ce qui a certes l’avantage de ne pas la soumettre au contrôle judiciaire et pénitentiaire, mais peut conduire à des ruptures de soins, explique le Dr Michel David. D’autant que la continuité avec les CMP est parfois difficile à établir du fait de blocage administratif ou des réticences de certains personnels à accueillir d’ex-détenus. Le CH Sainte-Anne à Paris a ainsi mis en place une consultation extra-carcérale. Cette création explique le Dr Myriam Zaks, psychiatre, prend appui sur différents textes dont l’arrêté du 14 décembre 1986 qui stipule que « l’équipe du SMPR doit contribuer à assurer la continuité des soins à l’extérieur de l’établissement pénitentiaire en mettant en œuvre des modalités de coopération avec les secteurs de psychiatrie générale et infanto-juvénile dont dépendent les patients faisant l’objet d’une prise en charge par le service ».

Conçue comme une passerelle, la consultation extra-carcérale fait ainsi « le relai avec les structures de soin de droit commun » avec toujours le souci de ne pas créer « une filière ségrégative », précise le Dr Myriam Zaks. La psychiatre espère également qu’elle deviendra « un centre de ressource sur les parcours de soin ». Le service assure donc la continuité des soins ou permet leur reprise car de nombreux sortants tombent dans une « trappe ». « Beaucoup de sortants bien que dehors restent hors du droit commun car ils n’arrivent pas à obtenir de rendez-vous ou n’ont pas les documents administratifs nécessaires ». Une structure que la psychiatre souhaiterait voir se développer. « Ce n’est pas parce que le droit ne prévoit rien, qu’il n’y a pas besoin ce type de structure », conclut-elle.

Aude Malaret

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