À Bordeaux, une expérience pilote pour prévenir la radicalisation

Publié le 5 avril 2016 à 9h33 - par

À Bordeaux, le Centre d’action et de prévention contre la radicalisation des individus (Capri) est le premier en France à assurer un suivi pluridisciplinaire des personnes séduites par l’idéologie jihadiste.

À Bordeaux, une expérience pilote pour prévenir la radicalisation
Georges GOBET / Copyright © AFP

L’initiative semble faire école en Belgique: Rachid Madrane, ministre belge de l’Aide à la Jeunesse, visitera le dispositif en juin en vue d’un projet similaire à Bruxelles, précise à l’AFP Marik Fetouh, chargé du projet à la mairie de Bordeaux. Un rendez-vous calé avant les attentats de Bruxelles, qui ont fait 31 morts et quelque 300 blessés.

L’adresse des locaux ultra-sécurisés du Capri est confidentielle et plusieurs intervenants refusent de s’exprimer. Pas seulement pour des raisons de sécurité : l’association, active depuis fin 2015, « tient à protéger les familles et les jeunes de toute exposition médiatique pour préserver le lien de confiance », explique Marik Fetouh.

« Le Capri s’intéresse aux cas les plus fragiles, en rupture, qui sont des proies faciles pour les recruteurs, ou à ceux qui tiennent un discours radical », selon cet élu centriste, « né d’un père musulman non-pratiquant et d’une mère catholique ».

La structure a pour objectifs de déconstruire les argumentaires radicaux, former les acteurs psycho-sociaux à la reconnaissance des signes de radicalisation et accompagner les personnes signalées et leurs proches.

Elle suit une trentaine de jeunes de moins de 25 ans, dont deux mineurs. Majoritairement des hommes (70 %), plus de la moitié sont sans emploi.

Tous ont été signalés par les services de sécurité ou leurs proches, selon Simon Bertoux, directeur de cabinet à la préfecture de la région. L’État, dit-il, finance avec les collectivités cette association (loi 1901) mais il « n’est là qu’en observateur ».

Imams, psychanalystes, psychiatres, éducateurs, travailleurs sociaux : pour ses animateurs, « la force du Capri tient à sa pluridisciplinarité ».

Inspirés de modèles britannique et scandinave, les fondateurs du projet ont mutualisé les savoir-faire de la Fédération musulmane de Gironde, de la mairie de Bordeaux, qui voulait créer un « comité de vigilance sur la radicalisation », et de la Société de recherche et d’analyse en emprise mentale (Sfraem), présidée par un avocat spécialiste des dérives sectaires, Daniel Picotin.

Diagnostic collégial

La démarche s’appuie sur une « pré-analyse » collégiale pour un « diagnostic éventuel de radicalisation ».

Même si elle n’est pas nécessairement liée à une radicalisation, « une rupture scolaire familiale et sociale peut amener à s’interroger », selon le Dr Bernard Antoniol, pilote du volet psychiatrique. Mais, nuance-t-il, « 15 à 20 % – peut-être plus – des sujets signalés au Capri relèvent exclusivement de la psychiatrie ».

Tel ce patient suivi régulièrement à l’hôpital, qui à chaque rechute, se proclame « salafiste ». À son image, certains jeunes « trouvent sur internet et les réseaux sociaux confirmation de leurs idées délirantes. Ils ne sont convertis par personne… mais le sont surtout par eux-mêmes », observe le psychiatre, expert des tribunaux.

Un discours de soutien à Daech (acronyme arabe de l’organisation État islamique) peut être un critère plus explicite et conduire à poser la question de l’endoctrinement.

Mais là encore, « tout candidat au jihad n’est pas obligatoirement sous emprise mentale ». D’où la nécessité de poser « ensemble le bon diagnostic », selon Me Picotin. Il distingue « les cas psychiatriques, les identitaires par choix idéologique et les personnes manipulées ». Lui n’intervient qu’auprès de cette dernière catégorie, car « le radicalisme peut suivre le même processus que l’embrigadement sectaire : séduction, dépersonnalisation et reconstruction d’une identité ».

Dans son combat contre l’emprise mentale, Me Picotin fait appel à des psychanalystes pour « créer le déclic » de libération.

Enfin, le Capri s’appuie sur « l’expertise théologique » de l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, très actif sur internet pour diffuser le « contre-discours à la propagande jihadiste ».

À ses côtés, le secrétaire général du Conseil régional du culte musulman (CRCM), Fouad Saanadi, soutient ardemment l’idée de « théologie préventive ». « Nous sommes assez armés pour déconstruire – par des réponses individuelles à ces jeunes aux profils très divers – les aberrations que l’on peut entendre sur le Coran et le jihad », assure cet aumônier musulman des hôpitaux.

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