Le fonctionnaire et le philosophe : « Réfléchir sur le sens de l’action publique »

Publié le 28 juin 2017 à 7h19 - par

Ancien directeur de l’Ira de Metz, François Chambon a croisé de nombreux futurs cadres territoriaux qui chacun faisait l’éloge de l’intérêt général. Mais qu’en est-il au juste de cette notion ? Pourquoi s’engage-t-on dans la fonction publique aujourd’hui ? En échangeant avec le philosophe Martin Steffens, François Chambon ouvre le débat sur la fonction publique de demain.

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François Chambon
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WEKA : Pourquoi cette rencontre philosophe fonctionnaire ?

François Chambon : Dans toute rencontre, il y a une part d’aléa. Celle qui m’a permis de faire la connaissance de Martin Steffens, professeur de philosophie en classe prépa et auteur, déjà reconnu, de plusieurs ouvrages dont Petit traité de la joie. Mais pourquoi avoir voulu ce dialogue ? Il m’a semblé qu’à l’heure où les philosophes sont de plus en plus souvent sollicités pour décrypter l’actualité politique et les questions de société « à la une » des hebdomadaires, la fonction publique valait bien aussi un dialogue avec un philosophe.

Depuis plus de quinze ans, les administrations publiques sont en  effet mobilisées sur la question des moyens, soucieuses d’une gestion efficiente. Cette préoccupation légitime n’en comporte pas moins le risque d’en venir parfois à négliger la question des fins. Au-delà des tableaux de bord, des indicateurs de résultats et des dialogues de gestion, il paraît utile de prendre le temps d’un dialogue sur le sens et les finalités de l’action publique. Dialogue qui dans la tradition philosophique s’apparente à un croisement de logos. En l’occurrence une rencontre entre la logique d’un administrateur et celle d’un manieur de concepts à la recherche des bonnes articulations susceptibles de révéler le sens de nos actions quotidiennes.

WEKA : Que veut dire être un fonctionnaire aujourd’hui ?

François Chambon : Aujourd’hui comme hier, au sens juridique du terme, être fonctionnaire signifie avoir été rendu titulaire de l’un des grades de l’un des corps de la fonction publique à la suite généralement de la réussite d’un concours et d’une période de formation probatoire autorisant la titularisation. Mais être fonctionnaire c’est d’abord et surtout concourir à l’intérêt général. Notion qui est l’objet central de ce dialogue. En soi, définir le fonctionnaire par rapport à l’intérêt général n’est pas nouveau.

Mais aujourd’hui la notion d’intérêt général est plus complexe, plus difficile à cerner. D’abord parce que l’État et ses commis n’en ont plus l’exclusivité. S’il conserve le monopole des prérogatives de puissance publique, l’État n’est plus au centre des réalités économiques et sociales. Du fait de la mondialisation, de la décentralisation, de la libéralisation de l’économie, de l’individualisme, il a subi, depuis ces dernières années, une succession de décentrements.

Le fonctionnaire d’aujourd’hui n’est plus seul. Il lui appartient de travailler en réseau, de créer des synergies et de s’engager dans des partenariats. Il lui faut être un facilitateur. La logique verticale toujours en vigueur dans les organigrammes doit intégrer des démarches horizontales. Management de projet, direction de projet… autant de termes qui témoignent que le fonctionnaire doit désormais incarner cette horizontalité.

Être fonctionnaire, aujourd’hui, c’est être à la fois détenteur d’une expertise, d’un métier correspondant à l’une des facettes de l’action publique mais c’est aussi incarner une magistrature qui transcende les techniques spécifiques et les intérêts particuliers. Cette dernière posture suppose que le fonctionnaire porte des valeurs telles que celles récemment énoncées dans le statut général de la fonction publique : dignité, impartialité, probité, intégrité, neutralité et laïcité.

WEKA : Quels seront les gros enjeux de l’action publique demain ? Comment rendre l’action publique plus attractive, notamment auprès des plus jeunes ?

François Chambon : Dans ce contexte, l’un des enjeux majeurs est de déterminer au quotidien les voies et moyens de l’intérêt général. Si la France a longtemps vécu sur une approche universaliste d’un intérêt général transcendant les intérêts particuliers, l’intérêt général devient de plus en plus souvent l’addition des intérêts particuliers selon une logique plus utilitariste. L’enjeu pour les fonctionnaires est de réaliser cet ajustement entre la loi, expression de la volonté générale, et les réalités singulières du terrain.

C’est ce qui fait le sel de l’action publique. Le fonctionnaire sera de moins en moins souvent celui qui rétorquera à l’usager : « Voici la circulaire. Circulez y a rien à voir ! » mais celui qui s’enquerra de la situation personnelle de ce dernier. Car désormais la loi et sa circulaire d’application prennent de plus en compte les réalités singulières des territoires et des populations.

 

Propos recueillis par Hugues Perinel

 

Ancien élève de l’ENA, administrateur général, François Chambon, a dirigé pendant huit ans une école de service public, l’Institut régional d’administration de Metz. Co-auteur d’un ouvrage sur la déontologie administrative et les valeurs de la fonction publique, il anime périodiquement des ateliers et des formations sur le management et la fonction publique.

Professeur agrégé de philosophie, Martin Steffens, enseigne en classes préparatoires et anime de nombreuses conférences. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages Petit traité de la joie ; La vie en bleue ; Le nouvel âge des pères ; Rien que l’amour.

 


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