Analyse des spécialistes / Statut

Changement d’affectation : la frontière étroite entre mesure d’ordre intérieur et sanction

Publié le 13 janvier 2016 à 9h00 - par

Si le changement d’affectation peut émaner de l’agent lui-même, peu de difficulté se pose. Il en va différemment lorsque ce changement d’affectation est à l’initiative de l’employeur public.

Changement d'affectation : la frontière étroite entre mesure d'ordre intérieur et sanction

Mathilde Peraldi Avocat

Mathilde Peraldi, Avocat

Le changement d’affectation peut avoir pour effet de déplacer l’agent de son poste sur le même lieu de travail voire sur un lieu de travail distinct et engendrer un déménagement. Le changement d’affectation est en principe une mesure d’ordre intérieur, c’est-à-dire une mesure d’organisation du service, qui ne faisant pas grief à l’agent, est insusceptible de recours et doit être exécuté par lui.

La mesure d’ordre intérieur ne portant pas grief à l’agent n’a pas à respecter un formalisme particulier, pas de motivation, pas de communication du dossier à l’agent, pas de mise en œuvre d’une procédure disciplinaire. C’est bien là tout l’intérêt de la qualification de mesure d’ordre intérieur : aucun formalisme et pas de recours contentieux ou tout le moins un recours jugé irrecevable ne pouvant pas aboutir à l’annulation de la mesure. Or, si ce changement d’affectation venait à ne pas être qualifié de mesure d’ordre intérieur, mais de sanction disciplinaire ou de mesure prise en considération de la personne, le recours contentieux devant le juge administratif deviendrait recevable et une telle décision pourrait encourir l’annulation en particulier pour un vice de procédure.

Tel serait le cas de l’employeur public, qui pensant prendre une mesure d’ordre intérieur, n’a pas mis en œuvre les garanties de l’agent, tenant par exemple à la communication de son dossier administratif, à la mise en œuvre d’une procédure disciplinaire ; mesures obligatoirement mises en œuvre en cas de sanction ou lorsque la décision est prise en considération de la personne mais dispensées en cas de mesure d’ordre intérieur.

C’est pourquoi, l’employeur public, lorsqu’il envisage la prise d’une telle mesure doit être très vigilant et en particulier s’assurer de la validité des motifs l’ayant conduit à prendre cette décision et procéder à l’analyse des conséquences sur la situation de l’agent.

La mesure d’ordre intérieur motivée par l’intérêt du service

1. L’intérêt du service peut justifier une mesure d’ordre intérieur mais pas toujours

Le plus souvent, la décision de changement d’affectation est motivée par l’intérêt du service dans un but d’organisation du service. C’est par exemple l’hypothèse dans laquelle un infirmier est transféré d’une unité de soins vers une autre au sein d’un même établissement hospitalier (Conseil d’État, 7 juillet 2008, n° 295944).

Mais parfois, la décision prise dans l’intérêt du service peut se révéler être une décision prise en considération de la personne et de ce fait, ne plus constituer une mesure d’ordre intérieur, mais une mesure faisant grief pouvant être contestée devant le juge administratif. C’est le cas d’un agent qui a été changé d’affectation aux motifs que ce dernier présentait un défaut d’organisation et qu’une aggravation de ces difficultés et une dégradation du climat de travail était la cause de ce changement d’affectation (Conseil d’État, 28 décembre 2005, n° 267646).

Compte tenu des raisons liées au comportement de l’agent et à ses aptitudes, le changement d’affectation n’est plus une mesure d’ordre intérieur. Elle peut donc être contestée devant le juge.

 

2. Si la mesure est prise dans le but de punir, elle n’est plus une mesure d’ordre intérieur

S’il ressort de l’instruction que le changement d’affectation a été décidé dans un but punitif (CAA Paris, 16 juillet 2015, n° 14PA03692 ; voir également CAA Versailles, 13 mai 2015, n° 13VE02936), elle relève du droit disciplinaire et plus de la simple organisation du service.

Mais au-delà des motivations ayant conduit le changement d’affectation, il convient de déterminer si ce changement a eu des conséquences sur les droits statutaires de l’agent.

Pas d’atteinte aux droits et garanties statutaires : pas de grief

En effet, quand bien même le changement d’affectation peut être justifié par l’intérêt du service encore faut-il qu’il ne porte pas atteinte aux droits et garanties statutaires de l’agent. Pour ce faire, le juge administratif opère un contrôle des conséquences de la mesure sur l’agent.

Dans un arrêt très intéressant en la matière (CE, 25 septembre 2015, n° 372624), le Conseil d’État a jugé que l’agent concerné n’avait pas fait l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’une décision prise en considération de sa personne aux motifs que la mesure ne diminuait pas ses responsabilités, n’emportait pas de perte de rémunération, intervenait dans la même commune, ne portait pas atteinte à ses droits statutaires ni à une liberté fondamentale jugeant ainsi la requête irrecevable.

Mesure d’ordre intérieur et sanction disciplinaire, la frontière est mince, employeurs publics soyez vigilants.

 

Mathilde Peraldi, Avocat


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Ressources Humaines »

Voir toutes les ressources numériques Ressources Humaines