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CAA de DOUAI, 1re chambre - formation à 3, 09/07/2015, 13DA02129, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. Yeznikian

Rapporteur : M. Jean-Marc Guyau

Commissaire du gouvernement : Mme Hamon

Avocat : PACCIONI


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS JLI, société par actions simplifiée, a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler l'accord-cadre du département de l'Eure relatif au service adapté de transport d'élèves et d'étudiants handicapés vers leurs établissements scolaires ayant fait l'objet d'un avis d'attribution publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) n° 142C le 23 juillet 2011 et, d'autre part, de condamner le département de l'Eure à lui verser la somme de 4 180 000 euros.

Par un jugement n° 1102306 du 5 novembre 2013, le tribunal administratif de Rouen a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 20 décembre 2013 et 11 juin 2014, la SAS JLI, représentée par Me C...E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement et l'accord-cadre ;

2°) de condamner le département de l'Eure à lui verser la somme de 4 180 000 euros ;

3°) de mettre à la charge du département de l'Eure la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il existe une rupture d'égalité entre les concurrents soumis à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du 21 décembre 1950 et ceux qui n'en relèvent pas ;
- il existe une rupture d'égalité entre les entreprises dites " sortantes " et les entreprises dites " entrantes ", qui sont soumises à l'accord du 7 juillet 2009 ;
- compte tenu de la portée du cahier des clauses particulières sur la désignation des conducteurs dédiés à l'exécution du service qui n'appelle pas d'interprétation, il ne pouvait être exigé d'elle qu'elle fournisse des informations erronées s'agissant des conducteurs susceptibles d'intervenir en produisant la copie de leurs permis de conduire, cette situation constituant une manoeuvre dolosive et étant pénalement répréhensible ;
- la rupture d'égalité entre les candidats est constitutive d'une faute ;
- en n'informant pas les candidats sur l'obligation de reprise des conducteurs des entreprises précédemment attributaires des lots, le département de l'Eure a également manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
- qu'ayant été empêchée de concourir, elle a perdu une chance d'obtenir les marchés conclus ultérieurement ;
- son manque à gagner est en lien avec la faute du département ;
- la chance d'obtenir les marchés étant sérieuse compte tenu de la valeur technique de son offre au regard de ses références nationales dans le domaine du transport scolaire d'enfants handicapés et de la valeur économique de son offre au regard des tarifs compétitifs qu'elle proposait, elle peut prétendre à l'indemnisation de l'intégralité de son manque à gagner sur les douze lots pour lesquels elle a candidaté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2014, et un nouveau mémoire, enregistré le 29 juillet 2014, le département de l'Eure, représenté par Me B...D..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS JLI une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :
- il n'a pas agi comme entité adjudicatrice, en application de l'article 169 du code des marchés publics, mais comme pouvoir adjudicateur ;
- le règlement de consultation n'est entaché d'aucune discrimination entre les candidats à l'accord-cadre ;
- il n'a pas entendu favoriser les transporteurs locaux ou les taxis ;
- la différence de situation entre les transporteurs ne résulte pas de la clause incriminée ;
- la société n'était pas dans l'impossibilité matérielle de fournir les documents exigés par le règlement de consultation ;
- l'accord du 7 juillet 2009 n'impose pas que les chauffeurs repris soient affectés aux mêmes circuits ;
- les informations sur les conducteurs devant être éventuellement repris au titre d'une succession d'entreprises de transport sur un même marché n'avaient pas à être fournies dans la mesure où, en état de cause, il lui était impossible de communiquer cette information aux candidats au stade de l'accord-cadre faute de connaître précisément les circuits de transport ;
- ce vice est, en tout état de cause, sans lien avec l'éviction prononcée ;
- l'offre de la société étant irrégulière en application de l'article 35 du code des marchés publics et au regard de l'article 4-2 du règlement de consultation, il était tenu de la rejeter sauf à commettre une faute ;
- il en résulte que la société qui était dépourvue de toute chance d'être attributaire d'un des marchés et d'être retenue au stade de l'accord-cadre, ne peut prétendre à aucune indemnisation ;
- l'éviction d'un accord-cadre ne se traduit pas par un manque à gagner ;
- la société ne justifie pas du caractère sérieux de ses chances d'emporter les marchés pris en application de l'accord-cadre et d'un lien de causalité entre son éviction, à la supposer irrégulière, et le manque à gagner dont elle fait état ;
- une indemnisation ne peut porter que sur la marge nette ;
- la société requérante ne démontre pas avoir proposé des prix compétitifs.

Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- l'accord du 7 juillet 2009 sur la garantie d'emploi et la poursuite des relations de travail en cas de changement de prestataire dans les transports interurbains de voyageurs ;
- l'arrêté du 22 juillet 2010 portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-Marc Guyau, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Perrine Hamon, rapporteur public,
- et les observations de Me B...D..., représentant le département de l'Eure.


1. Considérant que le département de l'Eure a lancé le 4 mars 2011 une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de passer un accord-cadre avec plusieurs prestataires ; que cet accord-cadre portait sur l'attribution de douze lots, dont onze correspondaient à des secteurs géographiques et un dernier au transport d'élèves internes, définis pour la passation de marchés ultérieurs, dits " marchés subséquents ", en vue d'assurer le service adapté de transport d'élèves et d'étudiants handicapés vers leurs établissements scolaires par petits véhicules ; que l'avis indiquant les entreprises retenues par cette consultation a été publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) n° 142C le 23 juillet 2011 ; que la SAS JLI, candidate évincée, relève appel du jugement du 5 novembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'accord-cadre et, d'autre part, à l'indemnisation de son manque à gagner résultant de son éviction irrégulière ;


Sur la validité du contrat :

2. Considérant que, indépendamment des actions dont les parties au contrat disposent devant le juge du contrat, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant ce même juge un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles, assorti, le cas échéant, de demandes indemnitaires ;

3. Considérant qu'en vertu de l'article 4-1-2 du règlement de la consultation du marché figurent au nombre des " documents liés à la candidature ", les licences de transport intérieur de personnes par route ou la licence communautaire et en vertu de l'article 4-2 du même règlement au titre des " documents liés à l'offre " " le mémoire technique (un mémoire par véhicule) dûment complété, daté et signé comportant l'ensemble des documents qui y sont mentionnés à savoir " notamment " la photocopie des permis de conduire et des cartes vertes professionnelles des conducteurs dédiés à l'exécution des prestations " ; qu'en vertu de l'article 5-1-1, inséré dans la partie relative à l'examen des candidatures, les candidatures des opérateurs économiques n'ayant pas fourni l'ensemble des pièces mentionnées à l'article 4 du règlement de consultation du marché seront éliminées ;

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article 45 du code des marchés publics :

4. Considérant que le I de l'article 45 du code des marchés publics prévoit que : " Le pouvoir adjudicateur ne peut exiger des candidats que des renseignements ou documents permettant d'évaluer leur expérience, leurs capacités professionnelles, techniques et financières ainsi que des documents relatifs aux pouvoirs des personnes habilitées à les engager. (...) / La liste de ces renseignements et documents est fixée par arrêté du ministre chargé de l'économie. / (...) " ;

5. Considérant qu'alors même que les documents exigés par l'article 4-2 du règlement de la consultation du marché cité au point 3 ne sont pas destinés à évaluer les capacités professionnelles ou techniques des candidats en application de l'article 45 du code des marchés publics, ils sont au nombre de ceux qui pouvaient être demandés de produire dans le dossier du candidat pour permettre ultérieurement l'appréciation de ses offres ; qu'ainsi, l'absence de production des permis de conduire et des cartes vertes professionnelles des conducteurs de la société dédiés à l'exécution des tâches, ne permettait pas de regarder le dossier comme complet en application de l'article 5-1-1 du même règlement ; que, par suite, le moyen tiré de la violation de l'article 45 du code des marchés publics doit être écarté ;

En ce qui concerne la rupture d'égalité entre les candidats soumis à la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires et ceux qui n'y sont pas soumis :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 2.3 de l'accord du 7 juillet 2009 sur la garantie d'emploi et la poursuite des relations de travail en cas de changement de prestataire dans les transports interurbains de voyageurs qui a été étendu à tous les employeurs du secteur par l'arrêté du 22 juillet 2010 portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des transports routiers et des activités auxiliaires du transport : " Le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise lorsqu'il remplit les conditions cumulatives suivantes : / appartenir expressément soit à une catégorie de conducteur et être affecté au moins à 65 % de son temps de travail calculé sur la base de la durée contractuelle, hors heures supplémentaires et complémentaires (...) pour le compte de l'entreprise sortante sur le marché concerné (...) ; / être affecté sur le marché depuis au moins 6 mois et ne pas être absent depuis 4 mois ou plus à la date d'expiration du contrat. / Ces conditions s'apprécient à la date de fin du marché " ;

7. Considérant que, si les artisans taxis ne sont pas soumis à l'obligation de reprise de personnel qui s'impose aux entreprises de transport de passagers relevant de la convention collective nationale citée au point 5, la différence de situation entre les différentes catégories de transporteurs a pour origine non la clause incriminée mais l'existence de règles professionnelles différentes qui régissent l'exercice de leur profession respective ;

En ce qui concerne la rupture d'égalité entre les entreprises dites " sortantes " et les entreprises dites " entrantes ", soumises à l'accord du 7 juillet 2009 :

8. Considérant que si un accord professionnel applicable aux entreprises de transport de passagers impose la reprise de conducteurs entre les entreprises se succédant lors de l'exécution d'un marché public, cette situation ne plaçait pas les entreprises dites " sortantes " dans une situation privilégiée par rapport aux entreprises dites " entrantes " dans la mesure où l'état des besoins et la désignation des circuits de transport susceptibles d'être mis en place n'étaient pas connus à la date de dépôt des offres ; qu'en outre, tous les candidats à la consultation se trouvaient dans la même situation au regard de l'obligation qui pesait sur eux de justifier des qualifications professionnelles de leurs employés, ce qu'ils ont d'ailleurs tous fait à l'exception de la société JLI ; qu'enfin et contrairement à ce que soutient cette société, la désignation des conducteurs au stade de la présentation de ses offres n'était pas de nature à l'inciter à présenter des informations erronées ou des faux au pouvoir adjudicateur et à commettre une action pénalement répréhensible, et ce, alors même que la société pouvait devoir garantir l'emploi d'un personnel déjà affecté au marché faisant l'objet de la reprise ; que l'article 42 du règlement du marché permet d'ailleurs le changement de conducteur, selon les modalités prévues par l'article 6 du cahier des clauses particulières ; qu'au demeurant, la reprise des salariés n'impose pas qu'ils soient maintenus au même poste de travail ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que les stipulations de l'article 4-2 du règlement des offres n'a pas créé les conditions d'une rupture d'égalité entre les différentes catégories de candidats ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les offres de la SAS JLI, qui ne comportaient pas toutes les pièces requises par les dispositions de l'article 4 du règlement de la consultation du marché, devaient être rejetées en application de l'article 5-1-1 du règlement de consultation du marché ;


Sur les conclusions indemnitaires :

11. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 10, que la candidature présentée par la SAS JLI devait être éliminée comme incomplète ; que, de ce seul fait, cette entreprise n'est pas susceptible d'avoir été lésée par la sélection d'offres concurrentes ; que, si la société avait également invoqué devant le tribunal administratif un manquement aux obligations de publicité et de concurrence relatif au niveau de la masse salariale des employés susceptibles d'être repris, affectant la validité de l'accord-cadre et si cette juridiction a estimé ce moyen fondé mais sans en tirer toutefois de conséquences sur la validité des marchés subséquents, un tel vice, qui n'a exercé aucun rôle au stade de la sélection des candidatures, est demeuré sans lien avec le préjudice invoqué par la SAS JLI ; qu'ainsi, ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices que lui aurait causés la perte d'attribution des lots pour lesquels elle avait présenté une offre doivent être rejetées ;

12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS JLI n'est pas fondée à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de la SAS JLI au titre des frais exposés par le département de l'Eure et non compris dans les dépens ;



DÉCIDE :



Article 1er : La requête de la SAS JLI est rejetée.

Article 2 : La SAS JLI versera au département de l'Eure une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS JLI et au département de l'Eure.

Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Eure.

Délibéré après l'audience publique du 25 juin 2015 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Marc Guyau, premier conseiller.

Lu en audience publique le 9 juillet 2015.

Le rapporteur,
Signé : J.-M. A...Le président de chambre,
Signé : O. YEZNIKIAN
Le greffier,
Signé : S. DUPUIS
La République mande et ordonne au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.


Pour expédition conforme
Le greffier
Sylviane Dupuis
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N°13DA02129 5



Abstrats

39-02-02 Marchés et contrats administratifs. Formation des contrats et marchés. Mode de passation des contrats.

Source : DILA, 20/07/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Douai

Date : 09/07/2015