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Cour Administrative d'Appel de Marseille, 5ème chambre - formation à 3, 13/02/2015, 13MA03728, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. BOCQUET

Rapporteur : Mme Marie-Laure HAMELINE

Commissaire du gouvernement : M. REVERT

Avocat : SELARL CLEMENT - DELPIANO


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 3 septembre 2013 au greffe de la cour administrative d'appel de Marseille sous le n° 13MA03728 présentée pour Mme A...C...demeurant... par Me B...;

Mme C...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200276 du tribunal administratif de Bastia en date du 4 juillet 2013 en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation solidaire de l'Etat et a limité la réparation de son préjudice aux troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de condamner solidairement la commune de Carcheto-Brustico et l'Etat à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices causés par la divagation d'animaux sur les parcelles dont elle est propriétaire pour un montant de 140 633,89 euros majoré des intérêts de droit, ces intérêts étant capitalisés ;

3°) de condamner en outre solidairement la commune de Carcheto-Brustico et l'Etat à lui verser une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi qu'à supporter les entiers dépens ;

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Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code civil ;

Vu le code rural ;

Vu le code de justice administrative ;


Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;


Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 23 janvier 2015 :

- le rapport de Mme Hameline, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Revert, rapporteur public ;

- et les observations de MeD..., pour Mme C...;


Après avoir pris connaissance de :

- la note en délibéré, enregistrée le 23 janvier 2015, présentée pour Mme C...;

- la note en délibéré, enregistrée le 30 janvier 2015, présentée pour la compagnie GAN Assurances ;

1. Considérant que Mme A...C..., usufruitière de parcelles sur le territoire de la commune de Carcheto-Brustico (Haute-Corse), a demandé réparation à cette commune et à l'Etat en décembre 2011 des conséquences dommageables qu'elle estime résulter de la divagation d'animaux errants sur ses terrains pour un montant total de 140 633,89 euros ; que ses réclamations ont été implicitement rejetées ; que, par jugement du 4 juillet 2013, le tribunal administratif de Bastia, après avoir relevé une faute dans l'exercice par le maire de ses pouvoirs de police, a condamné la commune de Carcheto-Brustico à verser à Mme C...une somme de 1 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires, et a condamné la société AXA, assureur de la commune, à garantir cette dernière des condamnations prononcées ; que le tribunal administratif a, par ailleurs, mis hors de cause l'Etat dont la condamnation solidaire était également demandée à raison du non exercice par le préfet de la Haute-Corse de son pouvoir de substitution, et a rejeté l'appel en garantie formé par la commune de Carcheto-Brustico contre la compagnie Gan Assurances ; que Mme C...demande à la Cour d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande de condamnation solidaire de l'Etat et a limité la réparation de son préjudice aux troubles dans les conditions d'existence ; que la commune de Carcheto-Brustico, la société AXA France et la compagnie Gan Assurances, présentent par la voie de l'appel incident des conclusions tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il a condamné la commune à indemniser Mme C...et au rejet de la totalité de la demande de première instance de cette dernière ;

Sur la recevabilité de la demande de Mme C...devant le tribunal administratif :

2. Considérant que les intimées font valoir à nouveau devant la Cour que la requérante n'a pas démontré par la production d'un titre les droits qu'elle allègue détenir sur les terrains situés dans la commune de Carcheto-Brustico ; que toutefois il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges et il n'est d'ailleurs pas sérieusement contesté que Mme C...est usufruitière de la parcelle enregistrée au cadastre sous le n° C52 dans cette commune sur laquelle elle affirme que des dommages ont été causés par la divagation des animaux, et qu'elle a formé une réclamation de ce fait ; que, par suite, la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de l'intéressée a été écartée à bon droit par les premiers juges ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Carcheto-Brustico :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 7° Le soin d'obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces (...)." ;

4. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1385 du code civil : " Le propriétaire d'un animal ou celui qui s'en sert pendant qu'il est à son usage est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé " et qu'aux termes de l'article L. 211-1 du code rural : " Lorsque des animaux non gardés ou dont le gardien est inconnu ont causé du dommage, le propriétaire lésé a le droit de les conduire sans retard au lieu de dépôt désigné par le maire qui, s'il connaît la personne responsable du dommage aux termes de l'article 1385 du code civil, lui en donne immédiatement avis. Si les animaux ne sont pas réclamés, et si le dommage n'est pas réparé dans la huitaine du jour où il a été commis, il est procédé à la vente sur ordonnance du juge compétent de l'ordre judiciaire qui évalue les dommages (...). " ;

5. Considérant que les dispositions précitées du 7° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales confient à l'autorité de police municipale le soin de prendre et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour faire cesser les troubles à l'ordre public et les dommages résultant de l'errance d'animaux sur le territoire de la commune ; que ces mesures peuvent inclure, notamment, l'organisation du dépôt dans un lieu désigné du bétail en état de divagation, même hors du cas visé par l'article L. 211-1 précité du code rural où un dommage a déjà préalablement été causé par les animaux concernés ;


6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que, malgré les troubles causés depuis plusieurs années par le bétail que des éleveurs laissent divaguer librement sur le territoire de la commune de Carcheto-Brustico, le maire de cette commune s'est borné, durant la période antérieure à la demande de réparation de MmeC..., à prendre des mesures réglementaires interdisant la divagation des animaux, qui ont été dépourvues de tout effet ; que dans ces conditions, en n'engageant aucune démarche pour tenter d'assurer le respect effectif de cette interdiction par les éleveurs et d'empêcher la survenance de dégradations, nuisances et risques pour la sécurité publique du fait de la divagation répétée des bovins et de porcins, le maire a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune, comme l'a relevé à bon droit le tribunal administratif ;


En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :


7. Considérant qu'aux termes du 1° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales aux termes duquel : " La police municipale est assurée par le maire, toutefois : / 1° Le représentant de l'Etat dans le département peut prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d'entre elles, et dans tous les cas où il n'y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques. Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l'Etat dans le département à l'égard d'une seule commune qu'après une mise en demeure au maire restée sans résultat. " ;


8. Considérant qu'à la date à laquelle Mme C...a formé sa demande d'indemnisation, les services de l'Etat en Haute-Corse étaient avertis depuis de nombreuses années des dommages et des risques pour la sécurité et la salubrité publiques causés par les animaux que des éleveurs laissent divaguer librement sur le territoire de certaines communes du département, ainsi que des effets limités de l'intervention des maires des communes rurales face à ce phénomène, cette intervention étant rendue plus difficile par la faiblesse des moyens dont certaines de ces collectivités disposent et par l'impossibilité, dans la plus grande partie des cas, d'identifier les propriétaires des animaux divagants ; qu'il est d'ailleurs constant que le maire de Carcheto-Brustico a lui-même demandé au préfet par courrier du 9 décembre 2009 de se substituer à lui dans l'exercice des attributions de police municipale sur ce point ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que les services de l'Etat ont mené entre 2002 et 2012 diverses actions destinées à aider les maires concernés à faire cesser ces troubles ; qu'une " cellule divagation " a été créée au sein de la direction départementale de l'agriculture et de la forêt de la Haute-Corse, et que des réunions périodiques ont été organisées par les services préfectoraux avec les divers interlocuteurs locaux concernés par le problème ; que l'Etat a par ailleurs apporté une aide ponctuelle au financement de lieux de dépôts où peuvent être menés et gardés les animaux par le biais de la dotation générale d'équipement ; que le préfet de la Haute-Corse a rappelé l'obligation juridique de clôturer les terrains de pacage au titre des règles minimales d'entretien des terres prévues par l'arrêté annuel fixant les bonnes conditions agricoles et environnementales ; que les services de l'Etat ont également procédé à des contrôles en vue de remédier aux pratiques de fraude concernant les élevages bovins ; que, dans ces conditions, et eu égard par ailleurs à la nature des dommages occasionnés par la divagation des animaux durant la période concernée, l'absence de mise en oeuvre par le préfet de ses pouvoirs de substitution ne révèle pas de faute lourde, seule de nature à engager la responsabilité l'Etat ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme C...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a écarté la responsabilité de l'Etat à raison des dommages causés par la divagation des animaux sur la parcelle en cause ; que la commune de Carcheto-Brustico, la société AXA France et la compagnie Gan Assurances ne sont pas davantage fondées à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont déclaré la commune responsable des conséquences dommageables de la divagation d'animaux sur le terrain de la requérante ;


En ce qui concerne le préjudice ouvrant droit à réparation :

10. Considérant, en premier lieu, que la divagation répétée de bovins et de porcins sur le terrain de Mme C...à Carcheto-Brustico résulte des pièces du dossier soumises aux premiers juges ; que, toutefois, Mme C...n'apporte pas davantage en appel que devant le tribunal administratif la preuve du caractère réel et certain des préjudices matériels dont elle demande réparation et qui résultent, selon elle, de la remise en état de murets et de clôtures dégradés sur le terrain, à défaut notamment de toute précision sur la consistance et l'état de ces ouvrages ; que la production devant le tribunal administratif d'un devis de construction de murs de clôture réalisé en 2011 n'apporte pas de preuve de son préjudice sur ce point ; que, par ailleurs, la perte de valeur du sol et des boisements et la perte alléguée de cultures, dues à la divagation animale sur les parcelles appartenant à la requérante ne peuvent être regardées comme suffisamment démontrées par les seules indications du rapport établi le 14 mars 2011 par un expert forestier à la demande de plusieurs propriétaires, lequel se borne à appliquer des coefficients aux terrains en proportion de leur surface sans préciser ni quantitativement ni qualitativement les préjudices affectant chacune des parcelles en cause ; que, par suite, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande afférente à ces chefs de préjudice ;

11. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, la réalité de troubles dans les conditions d'existence de Mme C...du fait de la divagation répétée d'animaux sur ses parcelles faisant obstacle à l'usage et à la jouissance paisible de celles-ci durant une période de plusieurs années résulte suffisamment de l'instruction, et notamment des divers documents joints par la requérante à sa demande de première instance, alors d'ailleurs qu'il est constant que l'intéressée a été attaquée par un taureau ; que la réalité de ces troubles n'est au demeurant pas sérieusement contredite par la commune de Carcheto-Brustico ni par l'Etat qui n'en discutent pas non plus l'évaluation faite par les premiers juges à un montant de 1 000 euros ; qu'enfin, l'exception de risque accepté ne saurait être retenue en l'espèce pour exclure tout droit de Mme C...à réparation dès lors qu'un particulier, qui n'est tenu par aucune obligation juridique de clôturer une propriété rurale, ne peut être regardé comme ayant lui-même été défaillant en ne prenant pas, à ses frais, des mesures de protection susceptibles d'empêcher efficacement l'intrusion d'animaux tels que des taureaux ou des groupes de porcins de grande taille ; que, par suite, les intimés ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'erreur sur ce point ;


En ce qui concerne l'appel en garantie formé par la commune de Carcheto-Brustico contre la société AXA France :

12. Considérant qu'aux termes de l'article 2 de loi du 11 décembre 2001 : " Les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs " ; que les services d'assurances ont été soumis aux dispositions du code des marchés publics par l'article 1er du décret du 27 février 1998 modifiant le code des marchés publics en ce qui concerne les règles de mise en concurrence et de publicité des marchés de services et codifié sur ce point à l'article 29 du code des marchés publics ; que, si l'action directe ouverte par l'article L. 124-3 du code des assurances à la victime d'un dommage, ou à l'assureur de celle-ci subrogé dans ses droits, contre l'assureur de l'auteur responsable du sinistre, tend à la réparation du préjudice subi par la victime, elle poursuit l'exécution de l'obligation de réparer qui pèse sur l'assureur en vertu du contrat d'assurance ; qu'elle relève par suite, comme l'action en garantie exercée, le cas échéant, par l'auteur du dommage contre son assureur, de la compétence de la juridiction administrative, dès lors que le contrat d'assurance présente le caractère d'un contrat administratif et que le litige n'a pas été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 11 décembre 2001 ;

13. Considérant que le contrat d'assurance conclu en 1999 entre la société AXA France et la commune de Carcheto-Brustico, en vigueur à la date où le fait dommageable a été connu de l'assurée, était soumis au code des marchés publics et présente donc un caractère administratif en vertu des dispositions précitées de la loi du 11 décembre 2001 ; qu'il ne résulte d'aucune pièce du dossier que le litige ait été porté devant une juridiction judiciaire avant la date d'entrée en vigueur de ladite loi ; qu'il relève donc, contrairement à ce que soutient la société AXA France devant la Cour, de la compétence de la juridiction administrative ;

14. Considérant qu'en l'espèce, le fait dommageable est constitué ainsi qu'il a été dit ci-dessus par la carence fautive du maire de Carcheto-Brustico dans l'exercice de ses pouvoirs de police ; qu'il revient ainsi à la société AXA France de garantir la commune, sur demande de cette dernière, de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre, ainsi que l'ont indiqué à bon droit les premiers juges ;

15. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les parties ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a condamné la commune de Carcheto-Brustico à verser une somme de 1 000 euros à Mme C..., a condamné la société AXA France à garantir la commune de cette condamnation, et a rejeté le surplus des prétentions dont il était saisi ; que, par suite, les conclusions présentées par les différentes parties tendant à l'annulation dudit jugement doivent être rejetées ; qu'il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions présentées par la commune de Carcheto-Brustico à fin de reversement par Mme C...des sommes qui lui ont été réglées en exécution de la décision du tribunal administratif du 4 juillet 2013 ;


Sur les dépens :

16. Considérant qu'il y a lieu de laisser la contribution à l'aide juridique acquittée par la requérante dans le cadre de la présente instance en application de l'article 1635 bis Q du code général des impôts à la charge de cette dernière ;



Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'une ou l'autre des parties à l'instance au titre de ces dispositions ;

D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par les autres parties à l'instance est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C..., à la commune de Carcheto-Brustico, à la société AXA France, à la compagnie GAN Assurances et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.
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N° 13MA03728




Abstrats

54-07-01-04-02 Procédure. Pouvoirs et devoirs du juge. Questions générales. Moyens. Moyens irrecevables.
60-02-03-02 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services de police. Police municipale.

Source : DILA, 19/02/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Marseille

Date : 13/02/2015