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Cour administrative d'appel de Paris, 4ème chambre, 05/05/2015, 13PA01871, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme COËNT-BOCHARD

Rapporteur : M. Christophe CANTIE

Commissaire du gouvernement : M. ROUSSET

Avocat : QUINQUIS


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 28 mai 2013, présentée pour la Société Electricité de Tahiti (EDT), dont le siège est route de Puurai Faa'a BP 8021 RC n° 53 3B à Papeete (98713), par la Selarl Jurispol ; la société EDT demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1200615 du 19 mars 2013 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser les sommes de 3 509 974 F CFP au titre des prestations effectuées dans le cadre du marché n° 8/14, de 7 911 617 F CFP au titre de factures émises sur des prestations réalisées hors marché et de 339 398 F CFP au titre des prestations fournies d'avril à décembre 2008 et payées avec retard ;

2°) de condamner la Polynésie française à lui payer la somme de 3 509 974 F CFP au titre des prestations effectuées dans le cadre du marché n° 8/14, assortie des intérêts moratoires, la somme de 7 911 617 F CFP au titre de factures émises sur des prestations réalisées hors marché, assortie des intérêts moratoires, et la somme de 339 398 F CFP au titre des prestations fournies d'avril à décembre 2008 et payées avec retard ;

3°) de dire que les intérêts seront capitalisés ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française le versement de la somme de 220 000 F CFP sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- elle a réalisé des prestations de décembre 2008 à mars 2009 sans avoir été payée ;
- un décompte même définitif peut être utilement contesté dans les conditions prévues par l'article 1269 du code de procédure civile applicable en métropole reprises à l'article 613 du code de procédure civile applicable en Polynésie française ;
- les premiers juges n'ont pas examiné le moyen relatif à la contestation du décompte sur le fondement de l'article 613 du code de procédure civile applicable en Polynésie française ;
- la Polynésie française a omis par erreur ou par fraude d'indiquer qu'elle n'avait jamais procédé au mandatement des sommes dues ;
- il n'y a jamais eu d'ordre de service d'affermissement de la tranche conditionnelle ;
- elle a été incitée par la Polynésie française à poursuivre ses prestations dans l'attente de la régularisation du marché ;
- elle est fondée à demander à être indemnisée sur le fondement de la faute commise par l'administration ou, à défaut, au titre de l'enrichissement sans cause et de la faute quasi-délictuelle ;
- elle n'a pas commis de faute en réalisant des prestations nécessaires à la sécurité publique ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2014, présenté pour la Polynésie française, représentée par son président en exercice, par MeA..., qui conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société EDT du versement de la somme de 2 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle fait valoir que :
- la société EDT n'a pas formé de réclamation dans les conditions prévues à l'article 7.2 du cahier des clauses administratives générales ; le décompte est ainsi devenu définitif ; dès lors, la demande présentée par la société est irrecevable ;
- seules les erreurs matérielles peuvent justifier une rectification du décompte ; la fraude alléguée n'est pas démontrée ;
- aucun intérêt moratoire sur les prestations d'avril 2008 à mars 2009 ne peut être réclamé ; le solde du décompte étant établi à zéro, aucun intérêt moratoire n'est dû ; en tout état de cause, la société n'a pas notifié ses projets de décompte conformément aux règles applicables ;
- les prestations réalisées sur le territoire d'une commune ne peuvent enrichir que le patrimoine de cette commune ; un certain nombre d'interventions n'a pas été réalisé ; le montant dû devrait être ramené aux seules dépenses utiles ; la preuve de l'utilité des dépenses incombe à la société requérante ;
- la société Electricité de Tahiti connaissait les conditions d'affermissement susceptibles d'engager l'administration ; elle n'a jamais saisi la personne responsable du marché ; la faute de la société exonère l'administration de sa responsabilité recherchée sur le terrain quasi-délictuel ;
- les intérêts susceptibles d'être dus ne peuvent courir qu'à compter du 25 octobre 2012 ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 18 novembre 2014, présenté pour la société EDT, par la Selarl Jurispol qui confirme ses précédentes écritures ;
Elle soutient, en outre, que le moyen tiré de ce que les premiers juges ont omis d'examiner un moyen caractérise l'irrégularité du jugement, et que les travaux ont été réalisés avec l'assentiment de l'administration et présentent un caractère utile ;

Vu l'ordonnance du 23 décembre 2014 fixant la clôture de l'instruction au 15 janvier 2015 à 12 :00 heures, sur le fondement de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 15 janvier 2015, présenté pour la Polynésie française, par Me A...qui confirme ses précédentes écritures et porte à 3 200 euros le montant réclamé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, ensemble la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;

Vu le code des marchés publics de toute nature passés au nom du territoire de la Polynésie française et de ses établissements publics ;

Vu la délibération n° 2001-200 APF du 4 décembre 2001 portant code de procédure civile de Polynésie française ;

Vu l'arrêté n° 835 CG en date du 3 mai 1984 portant établissement du cahier des clauses administratives générales concernant les marchés publics passés au nom du territoire de la Polynésie française et de ses établissements publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 avril 2015 :

- le rapport de M. Cantié, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Rousset, rapporteur public ;


1. Considérant que, par un marché public signé le 20 février 2008, la Polynésie française a chargé la société Electricité de Tahiti (EDT) de réaliser des prestations de maintenance sur des équipements d'éclairage public positionnés sur certaines des voies de l'île de Tahiti ; que ce marché était composé d'une tranche ferme d'un an et de deux tranches conditionnelles de même durée, prenant effet le 1er avril 2008 ; que la société EDT a poursuivi ses interventions au-delà du 31 mars 2009 bien que la première tranche conditionnelle n'ait pas été affermie ; que, par un mémoire de réclamation du 7 juin 2012, elle a demandé au territoire le règlement de factures impayées au titre de la tranche ferme du marché ainsi que le paiement des prestations effectuées d'avril à décembre 2009 ; qu'elle relève appel du jugement en date du 19 mars 2013 par lequel le Tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la Polynésie française à lui verser les sommes réclamées ;


Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société EDT a, dans son mémoire en réplique enregistré au greffe du tribunal administratif le 25 février 2013, avant la clôture de l'instruction, expressément invoqué la possibilité pour le cocontractant de l'administration de contester un décompte devenu définitif en cas de fraude, en se prévalant des dispositions de l'article 613 du code de procédure civile de Polynésie française aux termes duquel : " Aucun compte amiable ou judiciaire ne peut être révisé par les juges sauf cas d'erreurs, omissions, faux ou doubles emplois " ; que les premiers juges n'ont pas répondu à ce moyen qui n'est pas inopérant ; que, dès lors, le jugement attaqué est entaché d'irrégularité et doit être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société EDT devant le Tribunal administratif de la Polynésie française ;

Sur la responsabilité contractuelle :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 2.3.3.3 du cahier des clauses administratives générales applicable au marché : " Le titulaire [du marché] doit, dans un délai de trente jours compté à partir de la notification du décompte général, le renvoyer à la personne responsable du marché, revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou faire connaître les raisons pour lesquelles il refuse de le signer. / Si la signature du décompte général est donnée sans réserve, cette acceptation lie définitivement les parties sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires ; ce décompte devient ainsi le décompte général et définitif du marché. " ;

5. Considérant que l'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché de travaux publics est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé, et dont le solde arrêté lors du décompte définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties ; que, par suite, lorsque l'entrepreneur signe sans réserve le décompte général, la règle d'intangibilité du décompte fait, en principe, obstacle à ce qu'il sollicite une indemnité à ce titre ; qu'il n'en va autrement que si les parties ont renoncé à opposer l'intangibilité du décompte ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le décompte général du marché a été notifié à la société EDT par ordre de service n°519/10 du 13 octobre 2010 ; que la société EDT a signé ce décompte le 27 octobre 2010 sans formuler aucune réserve ; qu'il n'est pas établi que l'entreprise aurait ainsi donné son consentement sur la base de fausses informations ou de manoeuvres frauduleuses de la part la Polynésie française ; que le fait pour la société d'avoir omis de formuler des réserves sur le décompte ne constitue pas une erreur ou une omission purement matérielle, au sens des dispositions de l'article 613 du code de procédure civile de Polynésie française ; que le décompte général du marché est donc devenu définitif ; que si la société a adressé, le 7 juin 2012, un mémoire de réclamation à la Polynésie française, il ne résulte pas de l'instruction que cette dernière aurait ultérieurement renoncé à opposer à l'entreprise l'intangibilité du décompte devenu définitif ;

7. Considérant que le décompte général du marché faisant apparaître un solde nul, la société EDT n'est pas fondée à réclamer une quelconque somme sur le fondement de la responsabilité contractuelle de la Polynésie française, tant au titre du solde de la tranche ferme et des intérêts moratoires y afférents que des travaux indispensables ou supplémentaires que la société soutient avoir exécutés à compter du mois d'avril 2009 ; que, par suite, les demandes de la société EDT tendant au paiement des sommes de 3 509 974 F CFP et 339 398 F CFP doivent être rejetées ;
Sur la responsabilité extracontractuelle :

8. Considérant que l'article 03.02 du cahier des clauses administratives particulières du marché stipulait que le délai limite de notification de l'ordre de service d'affermissement des tranches conditionnelles était fixé à la fin du mois de janvier de l'année correspondant à la tranche concernée ; qu'il est constant que la Polynésie française n'a notifié de décision d'affermir la première tranche conditionnelle ni avant le 31 janvier 2009, ni ultérieurement ; qu'ainsi, les relations contractuelles ont pris fin le 31 mars 2009 ; que toutefois, il résulte de l'instruction que la société EDT a poursuivi ses opérations de maintenance d'équipements d'éclairage public postérieurement à cette date, avec l'assentiment de la Polynésie française, qui a d'ailleurs rémunéré la société au titre de prestations de même nature exécutées au cours des mois de janvier à mai 2010 ;

9. Considérant que la société EDT peut, sous réserve du partage de responsabilité découlant de sa propre faute, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de la Polynésie française et obtenir à ce titre, le paiement des sommes correspondant aux dépenses exposées par elle pour l'exécution des prestations hors marché et aux gains dont elle a été effectivement privée par la faute de l'administration ;

10. Considérant qu'il ressort des échanges de courriers postaux et électroniques produits par la société requérante qu'en dépit de demandes réitérées de sa part et des réponses d'attente de la Polynésie française, celle-ci n'a informé l'entreprise qu'elle renonçait à reconduire le marché au titre de la tranche conditionnelle que par une lettre du 9 décembre 2009, en lui précisant que le paiement des prestations effectuées d'avril à décembre 2009 se ferait sur factures ou par convention transactionnelle ; que cette information a été confirmée le 22 décembre 2009 par un courrier du ministre de l'équipement, en sa qualité de personne responsable du marché, précisant que les prestations d'entretien ne pourraient être effectuées dorénavant que sur réception de bons de commande ; qu'en annonçant à plusieurs reprises à la société EDT que la procédure d'affermissement de la tranche conditionnelle était en cours et en l'incitant pas là-même à poursuivre ses prestations, la Polynésie française a commis une faute de nature à engager sa responsabilité ; que si elle fait valoir que la société EDT, compte tenu de sa taille et de son expérience, ne pouvait ignorer le caractère irrégulier de ses interventions hors marché, la faute commise par l'entreprise, qui a poursuivi l'exécution des prestations de maintenance en l'absence d'affermissement de la première tranche conditionnelle du marché, n'est pas de nature à exonérer totalement l'administration de sa responsabilité ; qu'il sera fait une juste appréciation des fautes respectives du territoire et de la société EDT en déclarant la Polynésie française responsable pour moitié du préjudice indemnisable sur le terrain quasi-délictuel ;

11. Considérant que la société EDT réclame le versement de la somme de 7 911 617 F CFP au titre des travaux de maintenance effectués sur la période courant du 1er avril au 31 décembre 2009 ; qu'il ressort du mémoire de réclamation de la société que cette somme correspond au montant total hors taxes des neuf factures adressées à la Polynésie française au titre des prestations exécutées au cours de cette période ; qu'en l'absence de contestation sérieuse de la part de la Polynésie française, qui se borne à alléguer, sans fournir aucune précision, que certaines des prestations n'ont pas été réalisées, il y a lieu de retenir ce montant pour évaluer le préjudice indemnisable de la société EDT sur le fondement quasi-délictuel ; que, compte tenu du partage de responsabilité décidé au point 10, la société EDT est ainsi fondée à obtenir le versement par la Polynésie française d'une indemnité de 3 955 808,50 F CFP ; qu'elle a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 12 juin 2012, date de réception de sa réclamation par la Polynésie française ;

12. Considérant que la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année ; qu'en ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière ; que la capitalisation des intérêts a été demandée par la société EDT dans sa requête enregistrée au greffe du tribunal administratif le 25 octobre
2012 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 12 juin 2013, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société EDT, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une quelconque somme au titre des frais exposés par la Polynésie française et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des mêmes dispositions et de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société EDT et non compris dans les dépens ;


DÉCIDE :


Article 1er : Le jugement n° 1200615 du 19 mars 2013 du Tribunal administratif de la Polynésie française est annulé.

Article 2 : La Polynésie française est condamnée à verser à la société EDT la somme de 3 955 808,50 F CFP, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 juin 2012. Les intérêts échus le 12 juin 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La Polynésie française versera la somme de 2 000 euros à la société EDT sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus de la demande présentée par la société EDT devant le Tribunal administratif de la Polynésie française et des conclusions présentées par les parties devant la Cour est rejeté.

Article 5: Le présent jugement sera notifié à la société Electricité de Tahiti et à la Polynésie française.


Délibéré après l'audience du 14 avril 2015, à laquelle siégeaient :

- Mme Coënt-Bochard, président de chambre,
- M. Dellevedove, premier conseiller,
- M. Cantié, premier conseiller,


Lu en audience publique, le 5 mai 2015.
Le rapporteur,
C. CANTIÉLe président,
E. COËNT-BOCHARD
Le greffier,
A.-L. CALVAIRELa République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.


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N° 13PA01871



Abstrats

39-05-01-02 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Rémunération du co-contractant. Indemnités.
39-05-02-01 Marchés et contrats administratifs. Exécution financière du contrat. Règlement des marchés. Décompte général et définitif.

Source : DILA, 11/05/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 05/05/2015