Base de données juridiques

Effectuer une recherche

Conseil d'État, 1ère et 6ème sous-sections réunies, 20/02/2013, 351316, Inédit au recueil Lebon

  • Favori

    Ajoutez ce texte à vos favoris et attribuez lui des libellés et annotations personnels

    Libellés

    Séparez les libellés par une virgule

    Annotations

  • Partager
  • Imprimer

Rapporteur : M. Didier-Roland Tabuteau

Commissaire du gouvernement : M. Alexandre Lallet


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu, 1° sous le n° 351316, la requête, enregistrée le 27 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT, dont le siège est 263, rue de Paris à Montreuil (93515 Cedex) ; l'union requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 5 et 10 de l'arrêté interministériel du 27 mai 2011 relatif à l'organisation du temps de travail dans les directions départementales interministérielles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;


Vu, 2° sous le n° 351317, la requête, enregistrée le 27 juillet 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la même Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT, qui demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté interministériel du 27 mai 2011 relatif aux cas de recours aux astreintes dans les directions départementales interministérielles ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la charte sociale européenne révisée faite à Strasbourg le 3 mai 1996 ;

Vu la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

Vu la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;

Vu le décret n° 2000-815 du 25 août 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier-Roland Tabuteau, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;





1. Considérant que les requêtes de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;

Sur la légalité de l'arrêté du 27 mai 2011 relatif à l'organisation du temps de travail dans les directions départementales interministérielles :

En ce qui concerne l'article 5 :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature : " Sans préjudice des dispositions de l'article 3, le régime de travail de personnels chargés soit de fonctions d'encadrement, soit de fonctions de conception lorsqu'ils bénéficient d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail ou sont soumis à de fréquents déplacements de longue durée peut, le cas échéant, faire l'objet de dispositions spécifiques adaptées à la nature et à l'organisation du service ainsi qu'au contenu des missions de ces personnels. Ces dispositions sont adoptées par arrêté du ministre intéressé, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, pris après avis du comité technique ministériel " ;

3. Considérant que l'article 5 de l'arrêté attaqué soumet à un régime de décompte en jours de la durée annuelle du travail effectif, " les personnels de direction : directeur départemental et directeur départemental adjoint et chefs de service placés directement sous leur autorité ", " les personnels des corps des ministères chargés de la jeunesse et des sports exerçant des missions éducatives, techniques et pédagogiques " et " les personnels bénéficiant d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail, à leur demande expresse et après accord du directeur départemental " ;

Quant aux personnels de direction :

4. Considérant, en premier lieu, que les directeurs départementaux et les directeurs départementaux adjoints, ainsi que les chefs de service placés directement sous leur autorité, exercent des fonctions d'encadrement et pouvaient ainsi légalement, eu égard aux missions qu'ils exercent, être soumis, en vertu des dispositions de l'article 10 du décret du 25 août 2000, à des règles spécifiques, consistant dans le décompte en jours de la durée annuelle du travail effectif, adaptées à la nature et à l'organisation du service ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que s'il appartient à l'administration de veiller au respect des temps de travail maximum et des temps de repos minimum, l'arrêté attaqué n'était pas tenu de prévoir les dispositifs permettant de garantir le respect de ces règles ;

6. Considérant, en troisième lieu, que les personnels mentionnés ci-dessus sont dans une situation différente de celle des agents du même grade exerçant d'autres fonctions ; que la différence de traitement qui résulte de l'arrêté attaqué est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et n'est pas manifestement disproportionnée au regard de la nécessité d'adapter le régime de travail des personnels de direction à la nature et à l'organisation du service ainsi qu'au contenu des missions de ces personnels ; qu'ainsi, l'union requérante n'est pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le principe d'égalité ;

Quant aux autres personnels mentionnés par l'article 5 :

7. Considérant que, s'il était loisible aux auteurs de l'arrêté de soumettre les personnels de direction au régime dérogatoire prévu par l'article 5 de l'arrêté attaqué, ils ne pouvaient, en revanche, imposer les mêmes dispositions à l'ensemble des personnels des corps des ministères chargés de la jeunesse et des sports exerçant des missions éducatives, techniques et pédagogiques sans méconnaître les dispositions de l'article 10 du décret du 25 août 2000, qui réservent ce régime aux personnels chargés soit de fonctions d'encadrement, soit de fonctions de conception lorsqu'ils bénéficient d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail ou sont soumis à de fréquents déplacements de longue durée ; que, de même, l'arrêté ne pouvait légalement prévoir l'application de ce régime à des personnels bénéficiant d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail, mais qui ne seraient pas chargés de fonctions de conception, alors même que cette application serait subordonnée à la demande expresse des intéressés ; que, par suite, l'article 5 de l'arrêté attaqué doit être annulé en tant qu'il soumet ces deux catégories de personnels à un régime de décompte en jours de la durée annuelle du travail effectif ;

En ce qui concerne l'article 10 :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret du 25 août 2000 mentionné ci-dessus : " La durée du travail effectif s'entend comme le temps pendant lequel les agents sont à la disposition de leur employeur et doivent se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 5 du même décret : " Une période d'astreinte s'entend comme une période pendant laquelle l'agent, sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'administration, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif " ; qu'aux termes de l'article 9 de ce décret : " Des arrêtés du ministre intéressé, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget définissent, après avis du comité technique ministériel concerné, les autres situations dans lesquelles des obligations liées au travail sont imposées aux agents sans qu'il y ait travail effectif ou astreinte, ainsi que les modalités de leur rémunération ou de leur compensation " ;

9. Considérant que l'article 10 de l'arrêté litigieux fixe les règles de compensation des déplacements professionnels effectués " en dehors du cycle de travail " par des agents soumis à un décompte horaire de leur durée du travail ; que ces dispositions prévoient une majoration du temps de déplacement comptabilisé entre 21 heures et 7 heures, de même qu'un samedi, un dimanche ou un jour férié ; que, dans les autres cas, elles prévoient que le temps de déplacement entre le domicile de l'agent et un lieu de travail qui n'est pas le lieu de travail habituel est comptabilisé pour le temps de déplacement excédant 30 minutes de trajet ;

10. Considérant qu'il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que la durée du déplacement accompli par un agent de l'Etat pour gagner le lieu d'exercice de son activité professionnelle doive être regardée comme un temps de travail effectif, sauf lorsqu'un agent est appelé à intervenir pendant une période d'astreinte ; que, dans ce cas, la totalité de la durée de l'intervention, y compris le temps de déplacement nécessaire entre son domicile et le lieu d'intervention, doit être regardée comme un temps de travail effectif ; que, dès lors que l'article 10 de l'arrêté attaqué s'applique uniquement, selon ses termes mêmes, aux déplacements mentionnés à l'article 9 du décret du 25 août 2000 et ne régit ainsi pas les situations de travail effectif ou d'astreinte, il pouvait légalement définir, comme il l'a fait, les modalités de la compensation des situations dans lesquelles des obligations liées au travail sont imposées aux agents sans qu'il y ait travail effectif ou astreinte ; que, par suite, l'union requérante n'est pas fondée à soutenir que l'article 10 de l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du décret du 25 août 2000 sur la durée de travail effectif ;

11. Considérant que ce même article 10 n'a pas, par lui-même, d'incidence sur la durée effective du travail ; qu'ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance des objectifs de limitation de la durée hebdomadaire du travail à des fins de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs résultant des articles 2 et 6 de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, repris par les articles 2 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 qui a abrogé et remplacé la directive 93/104/CE, doit être écarté ;

12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'union requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2011 relatif à l'organisation du temps de travail dans les directions départementales interministérielles en tant seulement que son article 5 soumet à un régime de décompte en jours de la durée annuelle du travail effectif les personnels des corps des ministères chargés de la jeunesse et des sports exerçant des missions éducatives, techniques et pédagogiques et, sur leur demande, les personnels bénéficiant d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail ;

Sur la légalité de l'arrêté interministériel du 27 mai 2011 relatif aux cas de recours aux astreintes dans les directions départementales interministérielles :

13. Considérant qu'aux termes du second alinéa de l'article 5 du décret du 25 août 2000 : " Des arrêtés du ministre intéressé, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, pris après consultation des comités techniques ministériels, déterminent les cas dans lesquels il est possible de recourir à des astreintes. Les modalités de leur rémunération ou de leur compensation sont précisées par décret. La liste des emplois concernés et les modalités d'organisation des astreintes sont fixées après consultation des comités techniques " ;

14. Considérant que l'arrêté attaqué se borne à définir, par son article 1er, les missions en vue desquelles il est possible de recourir à des astreintes, en distinguant trois catégories d'astreintes : les astreintes d'exploitation, les astreintes de direction et les astreintes de sécurité ; qu'aux termes de son article 2 : " L'astreinte est mise en place sur décision du directeur départemental. Les principes du recours à l'astreinte sont soumis à l'avis du comité technique paritaire compétent. La programmation de l'astreinte est portée à la connaissance des agents quinze jours calendaires, au moins, avant le début effectif de l'astreinte " ;

15. Considérant que l'arrêté litigieux n'a ni pour objet ni pour effet de permettre aux directions départementales interministérielles de méconnaître les règles résultant de l'article 3 du décret du 25 août 2000 et relatives à la durée du travail et aux périodes de repos, notamment en conduisant un salarié qui serait intervenu au cours d'une astreinte à reprendre le travail sans avoir bénéficié d'un repos minimum de onze heures consécutives, sous réserve des dispositions du II de cet article 3 prévoyant les cas et conditions dans lesquels il peut y être dérogé ; que l'union requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le décret du 25 août 2000 ou serait entaché d'incompétence négative ;

16. Considérant que l'arrêté attaqué n'a pas, par lui-même, d'incidence sur la durée effective du travail ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 2 de la charte sociale européenne et des objectifs de la directive 93/104/CE mentionnée ci-dessus, à laquelle s'est substituée la directive 2003/88/CE, ne peuvent qu'être écartés ;

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'union requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 27 mai 2011 relatif aux cas de recours aux astreintes dans les directions départementales interministérielles ;

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative :

18. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme que l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT demande au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'article 5 de l'arrêté du 27 mai 2011 relatif à l'organisation du temps de travail dans les directions départementales interministérielles est annulé en tant qu'il soumet l'ensemble des personnels des corps des ministères chargés de la jeunesse et des sports exerçant des missions éducatives, techniques et pédagogiques ainsi que, sur leur demande, les personnels des directions départementales interministérielles bénéficiant d'une large autonomie dans l'organisation de leur travail, à un régime de décompte en jours de la durée annuelle du travail effectif.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête n° 351316 et la requête n° 351317 de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et au Premier ministre.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances, à la ministre des affaires sociales et de la santé, à la ministre de l'égalité des territoires et du logement, au ministre de l'intérieur, à la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, au ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, à la ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et à la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.

Source : DILA, 23/03/2016, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

ECLI:FR:CESSR:2013:351316.20130220

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 20/02/2013