La modification du paysage institutionnel
À l’heure actuelle, le secteur social et médico-social est l’objet, direct et indirect, de profondes mutations qui impliquent de nouvelles modalités de gestion.
Les dernières réformes, politiques autant qu’économiques, incitent fortement à la restructuration du secteur en imposant de nouveaux outils tels que la contractualisation avec les autorités tarificatrices (contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens [CPOM]) et la coopération sous toutes ses formes.
Les groupements hospitaliers de territoire (GHT), bien que balbutiants, représentent aujourd’hui la forme la plus aboutie de ces coopérations et augurent certainement, sous couvert de la mutualisation de certaines fonctions, des impacts forts en matière de management des ressources humaines : restructuration des équipes ; émergence de nouveaux métiers ; mobilités fonctionnelles, voire géographiques, etc.
La situation financière et structurelle des Ehpad
Le contexte budgétaire des dernières années se caractérise par les déficits record du régime général de la Sécurité sociale autant que du budget de l’État.
Parallèlement, dans ce contexte de contraintes budgétaires de plus en plus fortes, la demande et le besoin d’accompagnement social augmentent. Cela crée un décalage entre le besoin d’accompagnement des usagers, la qualité de cet accompagnement et les moyens qui y sont alloués. Plus que jamais règne aujourd’hui le paradoxe du « faire plus avec moins ».
Dorénavant, une logique financière et comptable domine. Les éléments économiques font pression sur le fonctionnement des Ehpad et les hommes et les femmes qui l’animent.
C’est une révolution culturelle que vivent aujourd’hui les Ehpad, passant d’une logique de « besoins » à une logique de « ressources », fondée sur des tarifs plafonds et des coûts cibles avec, comme instrument budgétaire, l’état prévisionnel des recettes et des dépenses (EPRD).
Les conséquences sur les ressources humaines
Les contraintes budgétaires fortes qui pèsent sur les Ehpad, dont en moyenne 70 à 80 % du budget relèvent de la masse salariale, ont pour effet directement induit la réduction des effectifs et/ou des exigences de productivité accrues qui équivalent à demander au personnel d’augmenter sa charge de travail.
Les reportages télévisés relatifs à la productivité des Ehpad fleurissent dans l’actualité récente en l’illustrant par le chronométrage des toilettes ou des repas expéditifs, par exemple. Ainsi, s’il faut impérativement veiller à ne pas tomber dans la caricature misérabiliste, ces manifestations sont le signe d’un mal-être au travail qui se généralise chez les agents. Car cette notion de rentabilité/productivité, longtemps taboue dans le secteur médico-social, est aujourd’hui inéluctable. Il en résulte deux conséquences majeures : la perte de sens des professionnels d’un secteur fondé sur des valeurs humanistes et qui ne souffrait préalablement pas la confrontation au capital ; la plus grande fatigabilité des personnels. La conjoncture de ces deux états de fait génère des indicateurs sociaux médiocres qui se confirment dans la majorité des bilans et baromètres sociaux : des risques physiques et psychologiques accrus, des relations interprofessionnelles parfois conflictuelles, un absentéisme fort et souvent croissant.
L’ubérisation de la prise en charge des personnes âgées
L’ubérisation fait non seulement référence à une transformation rapide de certains services, via leur numérisation, induite par un ou plusieurs acteurs innovants, mais véhicule également l’idée que cette transformation est dans l’intérêt de l’usager.
Ainsi, le secteur des personnes âgées dépendantes n’échappe pas à cette tendance, entrée par le biais des services à la personne et qui infiltre aussi l’hospitalisation à domicile (HAD). Tandis que la demande augmente structurellement sur ce segment d’activité concurrentiel aux Ehpad et que les politiques publiques se montrent volontaristes sur le sujet, le marché repose encore sur des bases fragiles car les emplois créés, en plus d’être rares, restent précaires et morcelés. L’activité des opérateurs reste en outre bridée par le poids du travail au noir et par la menace du gré à gré, favorisée par l’essor des plateformes d’intermédiation. Ces mêmes plateformes d’intermédiation sont elles-mêmes fragilisées par les revendications des travailleurs indépendants.
Toutefois, les sociétés protagonistes se structurent en matière de gestion des ressources humaines et proposent des formules de plus en plus séduisantes pour les nouveaux travailleurs qui intègrent le marché.
Les Ehpad devront-ils penser à ubériser une partie de leur offre de service pour plaire aux salariés autant qu’aux usagers de demain ?