Une ordonnance devrait renforcer la négociation collective dans la fonction publique

Publié le 5 juin 2020 à 8h10 - par

La mission Esch, qui a examiné sous quelles conditions donner une force opposable aux accords collectifs dans la fonction publique, vient de rendre son rapport. Cette innovation juridique majeure sera la base d’une future ordonnance gouvernementale.

Une ordonnance devrait renforcer la négociation collective dans la fonction publique

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Loi de transformation de la fonction publique
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Doter les accords collectifs dans la fonction publique d’une force juridique les rendant opposables aux parties, pour améliorer la qualité et la densité du dialogue social : tel sera l’objectif d’une future ordonnance, le gouvernement ayant été habilité par la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 (article 14). La mission Esch*, chargée d’examiner les questions juridiques posées par cette réforme juridique innovante majeure, a précisé le contexte qui devrait l’accompagner dans un rapport, remis le 25 mai au secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des comptes publics, Olivier Dussopt. Sa réflexion se concrétise par vingt-neuf propositions et un premier projet d’ordonnance.

« Si la validité des accords collectifs dans la fonction publique a été reconnue dès 2010, le législateur n’est pas allé jusqu’à leur conférer des effets juridiques. Cette réforme n’a produit que des effets limités : le faible nombre d’accords et pratique unilatérale dominante », précise ainsi le rapport pour justifier que des accords collectifs puissent déterminer des normes juridiques opposables, à caractère général. Ils devront s’insérer dans la hiérarchie des normes, et respecter la Constitution, les lois et les actes unilatéraux émanant d’une autorité supérieure à celle du niveau auquel un accord aura été signé, ainsi que les normes de nature contractuelle établies à un niveau supérieur. En outre, les instances consultatives – comités techniques et futurs comités sociaux – devront être parties prenantes du processus de négociation et de conclusion. Pour en apprécier la validité, il conviendra de se référer à la composition du comité social dont le périmètre est le plus proche de celui de la population concernée par l’accord ; l’employeur signataire compétent sera celui qui a le pouvoir de prendre l’acte unilatéral ayant le même objet. Un processus d’homologation des accords ne s’imposera pas sauf si, par exception, l’accord intervient dans un domaine qui dépasse la compétence du seul employeur signataire. Pour la fonction publique territoriale (FPT), ce principe sera toutefois « doublement tempéré » : par les attributions de l’assemblée délibérante (elle devra, dans la plupart des cas, valider l’accord finalisé par le chef de l’exécutif territorial), et par le contrôle de légalité sur les délibérations de l’assemblée délibérante, dans les conditions du droit commun.

Pour la FPT, la mission suggère également d’étendre le rôle des centres de gestion, auxquels la collectivité donnerait un mandat de négociation.

Par ailleurs, selon la mission, l’habilitation législative ne permet pas de revenir sur le principe de l’accord majoritaire, que de nombreux employeurs trouvent difficile à obtenir mais une réflexion pourrait être conduite avec les organisations syndicales sur le recours à un accord « minoritaire sauf opposition majoritaire ». Le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT) le voit comme « une piste intéressante à conduire ».

Les seuls thèmes pouvant faire l’objet d’accords opposables normatifs pourraient être fixés par l’article 8 bis de la loi du 13 juillet 1983, actualisé et enrichi. En outre, les domaines traités par le nouveau dispositif relatif aux lignes directrices de gestion, introduit par la loi de transformation de la fonction publique, ne pourront pas faire l’objet d’accords collectifs. Une obligation déclarative et un système informatisé devront assurer la bonne information sur les accords conclus et l’état du dialogue social qu’ils révèlent.

Malgré tout, octroyer une portée juridique aux accords collectifs ne suffira pas à rénover le dialogue social dans les fonctions publiques, estime la mission Esch qui prône une évolution plus profonde de la culture du dialogue social. Par exemple : recherche d’accords de méthode en préalable à une négociation et d’accords sur les agendas sociaux par les partenaires sociaux ; obligation de négocier sur certains thèmes prioritaires (conditions de travail et égalité professionnelle…), à un rythme fixé par accord collectif ou, à défaut, par la loi, en s’inspirant du Code du travail.

La direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) pourrait créer un réseau de médiateurs aptes à accompagner un processus de négociation en difficulté ou aider à le débloquer. Enfin, la mission met l’accent sur l’utilité de développer la formation au dialogue social et à la négociation collective.

Satisfait des préconisations du rapport, le SNDGCT déplore toutefois le retard pris par la mission et sans doute par l’ordonnance, dû au contexte sanitaire : « les collectivités ne pourront pas disposer des outils nécessaires pour sa mise en application dans les délais imposés qui n’ont pas été reportés ».

Marie Gasnier

* Confiée à Marie-Odile Esch, chargée de mission à la fédération nationale de la CFDT, membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Christian Vigouroux, président adjoint de la section sociale et Jean-Louis Rouquette, inspecteur général des finances