Analyse des spécialistes / Droits et obligations

Fonctionnaires : entre liberté d’expression et devoir de réserve

Publié le 28 avril 2014 à 14h03 - par

La liberté d’expression, consacrée par la déclaration des droits de l’homme, connait des atténuations particulières lorsqu’elle concerne les fonctionnaires, sous la forme du principe de neutralité dont découlent l’obligation de discrétion professionnelle et le devoir de réserve.

Fonctionnaires : entre liberté d’expression et devoir de réserve
Fabrice Lorvo, Avocat associé du cabinet FTPAFabrice LORVO Raphaël Crespelle, Avocat associé du cabinet FTPARaphaël CRESPELLE

Si la liberté d’opinion de l’individu est absolue1, le fonctionnaire, même en dehors de ses fonctions, demeure un fonctionnaire qui est soumis à une obligation de dignité en toutes circonstances : Internet, ses blogs et réseaux sociaux sont donc un terrain d’expression de cette liberté et de ses limites dont les frontières ont été, depuis une décennie dessinées par le juge.

1. Principes généraux

En tant qu’individu, le fonctionnaire s’expose à des sanctions pénales en cas d’abus de la liberté d’expression (diffamation ou injure). En tant que fonctionnaire, il s’expose, en plus, à des sanctions disciplinaires. Les limites de la liberté d’expression du fonctionnaire dépendent du moment où il s’exprime.

Pendant l’exécution du service, cette liberté a pour limite, outre la nécessaire continuité du service public, l’exigence de neutralité dudit service, le respect du public et celui de l’autorité hiérarchique.

Le fonctionnaire doit en outre être lanceur d’alerte : il a l’obligation (article 40 du Code de procédure pénale) de dénoncer les faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions.

De plus, le fonctionnaire, en sa qualité d’agent public, est soumis à un principe de neutralité dont découlent diverses obligations qui sont de nature à restreindre sa liberté d’expression :

L’obligation de secret2 interdit à l’agent public la divulgation d’informations dont il a connaissance du fait de ses fonctions (sanctions pénales : un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende3).

L’obligation de discrétion professionnelle4 interdit à l’agent public la divulgation d’informations relatives au fonctionnement de l’administration dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions. (secret défense, secret de l’instruction etc.).

– Pendant comme en dehors du service, la liberté d’expression du fonctionnaire a pour limite le respect d’un devoir de réserve qui varie selon le statut particulier régissant son corps, la nature de ses fonctions, son rang hiérarchique, les circonstances de temps et de lieux, le sujet abordé et enfin la nature de la publicité donnée aux propos tenus.

Ce devoir de réserve est une construction du juge administratif, liée au principe de neutralité, principe fondamental du service public reconnu par le Conseil constitutionnel5. À ce titre, tout fonctionnaire doit faire preuve de réserve et de mesure dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles à l’égard des administrés et des autres agents publics.

L’ingérence des autorités publiques au titre du contrôle de la liberté d’expression des fonctionnaires sera d’autant plus régulière qu’il aura eu des propos de défiance envers son employeur public, c’est-à-dire qu’un lien avec le service pourra être établi.

Plus encore que le fond de ce qui est exprimé, c’est la manière dont l’opinion va être émise, la publicité qui va lui être donnée qui la rendra sanctionnable au titre du devoir de réserve.

 

2. Liberté d’expression et liberté d’opinion confrontées au devoir de réserve du fonctionnaire sur Internet

S’agissant de la messagerie électronique, toute utilisation d’une adresse professionnelle relève du champ professionnel et reste à tout moment opposable par l’administration au fonctionnaire. En conséquence, a été sanctionné, pour atteinte aux principes de neutralité et de laïcité, un agent qui a utilisé son adresse électronique professionnelle à des fins personnelles en qualité de membre d’une association religieuse6.

S’agissant des réseaux sociaux, constitue un manquement au devoir de réserve des commentaires diffamatoires, grossiers et injurieux notamment à l’égard de la hiérarchie ou de l’administration, postés sur un réseau social7. À l’inverse, des critiques d’ordre général sur la mondialisation publiées par un agent communal n’ont pas été sanctionnées8.

S’agissant de la publication d’article, un sous-préfet a été sanctionné pour avoir publié, sous sa signature, un article dans lequel il s’exprimait de manière vivement polémique à l’égard tant de différentes personnalités françaises que d’un État étranger, et ce, même si aucune référence n’avait été faite à sa qualité de fonctionnaire dans l’article ou que le sujet traité n’avait aucun lien avec ses fonctions ou que la publicité avait été réduite (site internet très spécialisé, non officiel et confidentiel)9.

Fabrice LORVO, Avocat en droit des médias et de la communication,
et Raphaël CRESPELLE, Avocat en droit public
Avocats associés au sein du cabinet FTPA

 

Textes de référence :

1. Article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et article 6 du Statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires)

2. Article 27 du Statut général des fonctionnaires

3. Article 226-13 du Code pénal

4. Article 27 du Statut général des fonctionnaires

5. Conseil constitutionnel, DC n° 86-217 du 18 septembre 1986

6. CE, 15 oct. 2003, Odent c/ ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, n° 24442

7. TA Dijon, ordonnance du 17 novembre 2003

8. TA de Paris, ordonnance du 24 juin 2011, n° 1107723/9/1, Monsieur D

9. CE, 23 avril 2009, Guigue, n° 3216862


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