Monnaies locales : les initiatives se multiplient mais leur rayonnement reste limité

Publié le 17 mai 2016 à 7h04 - par

Abeille, sol-violette, eusko, pêche, beunèze, gonette et bientôt, la lignière : les projets de monnaie locale complémentaire fleurissent en France depuis six ans, mais ils peinent pour le moment à dépasser une audience confidentielle.

Monnaies locales : les initiatives se multiplient mais leur rayonnement reste limité

La monnaie locale la plus utilisée en France, l’eusko, revendique ainsi 3 000 adhérents sur un bassin de 300 000 habitants dans les 12 cantons basques des Pyrénées-Atlantiques, soit 1 % de la population visée.

« C’est peu, mais ça fait seulement trois ans qu’on est là », plaide auprès de l’AFP Dante Edme-Sanjurjo, co-président de l’association Euskal Moneta. « On n’en est qu’aux prémices, c’est un projet sur 0-20 ans » qui requiert beaucoup d’information et de pédagogie, assure-t-il.

Changer ses euros pour une monnaie locale complémentaire (MLC) « demande un changement profond dans la relation à l’argent » et dans ses habitudes de consommation, souligne aussi à l’AFP Françoise Lenoble, à l’origine de l’abeille, la doyenne de ces monnaies, créée en 2010 dans le Lot-et-Garonne.

Dans cette zone rurale, l’association dénombre quelque 160 professionnels chez qui on peut payer en abeilles et 400 adhérents, mais seulement 80 à 100 utilisateurs réguliers.

En moyenne, les monnaies alternatives qui circulent en France comptent 450 utilisateurs et 90 commerçants ou producteurs, pour l’équivalent de 26 000 euros en circulation, selon le rapport sur le sujet remis en avril 2015 au gouvernement.

Mais, pour Françoise Lenoble, « le nombre de prestataires et d’utilisateurs est secondaire. Ce qui compte, c’est que ça prend un  peu partout en France. Ça montre que ça répond à une attente des citoyens, qui ont envie de consommer autrement, avec une monnaie qui ait du sens », argumente-t-elle.

De fait, six ans après le lancement de l’abeille, une trentaine d’équivalents sont nés et presque autant de projets sont en gestation. Lundi 16 mai, la lignière a été baptisée dans le Cher, lors des 13e Rencontres nationales des MLC.

Valoriser les circuits courts et l’économie locale, éviter la spéculation et la thésaurisation, désacraliser la monnaie, telles sont les motivations les plus citées par leurs promoteurs.

De plus en plus, les collectivités locales s’y intéressent, subventionnant les projets, mettant à disposition des moyens administratifs ou adhérant aux associations.

Un facteur clé, selon Bruno de Menin, coordinateur du projet toulousain du sol-violette, qui fêtera ses cinq ans en juin et compte 2 200 utilisateurs et 209 commerces agréés, pour une agglomération de 700 000 habitants. « Avoir un partenaire institutionnel fait gagner en crédibilité un projet qui s’attaque à un sujet extrêmement sérieux, la monnaie, qui peut générer autant d’enthousiasme que de méfiance », explique-t-il.

« On manque encore de fournisseurs »

Un autre coup de pouce est venu de la loi sur l’économie sociale et solidaire, votée en juillet 2014, qui reconnaît le statut de titre de paiement à ces monnaies et ouvre la porte à leur acceptation par  le Trésor public.

L’association Euskal Moneta a ainsi entrepris les démarches pour que l’on puisse payer demain la piscine municipale, le cinéma, voire sa facture d’eau en euskos.

Car la diversité des lieux d’utilisation de sa monnaie est clé pour son développement.

À Montreuil (Seine-Saint-Denis), où la première MLC d’Île-de-France a été lancée il y a deux ans, on peut payer en pêche au supermarché bio Les Nouveaux Robinson, à la brasserie locale La Montreuilloise, mais aussi à la librairie, chez un ostéopathe ou encore chez le réparateur de vélos et une quarantaine de professionnels au total.

Mais « il faudrait plus de commerces de proximité, de boulangeries, de produits du quotidien », avance Fanny Toumayan, gérante du dépôt-vente de vêtements pour enfants Saperlipopette. Car pour le moment, lorsqu’elle propose aux clients venant déposer des vêtements d’être payés en partie en pêches, elle se heurte généralement à un refus.

« Même nous, on est un peu bloqués : nos fournisseurs n’acceptent pas d’être payés en pêches, le loyer n’est pas payable en pêches », souligne-t-elle.

Or pour repasser aux euros, la plupart des MLC pratiquent une pénalité – 5% pour la pêche – suffisamment dissuasive.

« On manque encore de fournisseurs » pour que les pêches continuent à circuler « sans nous revenir », reconnaît Brigitte Abel, une des dirigeantes de l’association à l’origine du projet, qui rassemblait 421 utilisateurs au 5 mars.

L’association mènera une mission sur le sujet à la rentrée et envisage de démarcher les vendeurs des marchés de la ville.

Confronté aux mêmes limites, les promoteurs de l’eusko voudraient lancer d’ici à fin 2016 une carte de paiement électronique, un projet lourd juridiquement et financièrement, mais qui pourrait débloquer les choses en faisant entrer davantage d’entreprises dans le projet, et augmenter le montant moyen des transactions, selon Dante Edme-Sanjurjo.

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