Les élus locaux ont constamment demandé à l’État d’être associés à la relance de l’économie dans le contexte de la crise sanitaire. Quelle est leur plus-value ?
Les collectivités territoriales et leurs groupements sont davantage dans une approche micro-économique que l’État qui, lui, est dans une approche plus macro-économique. Les élus locaux et leurs agents sont, en effet, en contact direct avec l’ensemble des acteurs. Or, un peu comme en médecine, plus on connait les antécédents du patient, plus c’est facile de lui proposer un traitement adapté.
C’est la grande force des États décentralisés que d’offrir un cadre institutionnel permettant d’apporter des réponses sur-mesure qui tiennent compte des réalités locales. Or, la France n’a pas encore atteint ce statut, même si on a enclenché une décentralisation, car le processus est loin d’être abouti ; il y a encore des choses à réformer.
J’ai le souvenir en tête de ce fleuriste qui m’a appelé au cœur de la crise parce qu’il ne pouvait plus ouvrir son commerce à cause de la Covid, dans la mesure où son magasin est attenant à un centre commercial. On lui avait dit de fermer alors que sa devanture donne à l’extérieur. Il a fallu remonter la problématique au ministre compétent pour débloquer cette situation pour le moins ubuesque.
Notre capacité à solutionner ce genre de « petits loupés » a fait que notre action a été complémentaire de celle de l’État. On s’est efforcé, avec le président Nicolas Mayer-Rossignol, de faire remonter les difficultés d’application et les manques des lois votées en cohérence avec la réalité du terrain pour créer de la fluidité et éviter des réponses en « silo » un peu trop hors sol.
Afin d’identifier les blocages, il a été créé au niveau de la métropole un conseil de défense économique qui a rassemblé l’ensemble des forces publiques et privées : État, région, chambres consulaires, mais aussi députés, représentants des filières, etc. Grâce à lui, les élus de la métropole étaient en contact direct avec les entreprises. Ce conseil s’est réuni toutes les semaines au cœur de la crise. Ce qui nous a permis d’être réactif et au plus proche des sujets.
Il fonctionne toujours, mais les réunions sont plus espacées puisqu’on le réunit actuellement tous les 15 jours. L’objectif est toutefois encore le même : réguler par son intermédiaire les réponses publiques à la crise et faire remonter les difficultés rencontrées par les opérateurs économiques quand les solutions apportées s’avèrent inefficaces. Cette approche a jusque-là été une vraie réussite. Cela a aussi été le lieu de partage d’expériences et d’écoute afin de dimensionner la série d’aides que la Métropole Rouen Normandie a mis en place pour les entreprises en difficulté.
Comment vos initiatives se sont-elles articulées avec celles des sous-préfets à la relance ?
Quand le plan de relance a été lancé, son contenu était flou. Mais on avait compris qu’il y aurait des prêts, des subventions qui seraient ventilés à plusieurs niveaux du millefeuille territorial, qu’il y aurait une dimension publique et privée et que les collectivités locales pourraient faire des demandes. Aussi la métropole a mobilisé l’ensemble de ses équipes pour contacter les entreprises afin de les prévenir des opportunités les concernant.
L’opération n’a pas été sans certaines déconvenues, puisqu’on a, par exemple, découvert qu’une société appartenant à un groupe n’avait droit à aucune aide quand une autre entreprise du même groupe en avait déjà bénéficié. Lorsque le sous-préfet à la relance est venu à notre rencontre, je lui ai fait part de cette difficulté. Je lui ai également fait part des lacunes entourant la communication autour du plan. J’ai enfin souligné auprès de lui les insuffisances du plan au regard de nos spécificités locales : s’agissant d’un territoire industrialisé, il aurait été normal que la région Normandie, en général, et la Métropole de Rouen, en particulier, aient plus de moyens. La Normandie dans son ensemble ne profite ainsi pas du plan à la hauteur de ses besoins.
Un point d’inquiétude reste la capacité à consommer les crédits du plan de relance rapidement. Comment faites-vous pour atteindre cet objectif ?
Dépenser l’argent du plan le plus rapidement possible est effectivement un défi. Il faut qu’à minima les crédits soient engagés avant fin 2022. Or, sur les gros projets, il faut habituellement faire procéder à des études préalables qui prennent du temps. Ce que l’on n’a pas. La perte de temps est donc un vrai risque.
Pour l’éviter, le choix a été fait au niveau de la Métropole de Rouen d’accélérer les projets déjà enclenchés et de travailler main dans la main avec les trois aires urbaines de l’axe Seine. Elles doivent travailler ensemble pour bien articuler leur réponse et optimiser les chances d’avoir des fonds européens.
La Métropole de Rouen occupant une place centrale sur cet axe, c’est dans l’intérêt de tous de coopérer, notamment pour anticiper la conversion de l’industrie à l’hydrogène, mais aussi les besoins logistiques à venir : il ne faut pas oublier que cet axe offre un bassin de consommation important dont l’un des atouts est d’avoir un port à Rouen, au Havre et à Paris.
Quelle était la stratégie de développement économique de la métropole lorsque la crise sanitaire a éclaté ?
Le conseil métropolitain actuel a été élu au cœur de la crise. Sans attendre notre prise de fonction, nous avions imaginé, entre mars et juillet 2020, comment il fallait retravailler notre programme électoral pour tenir compte des défis de la crise mais, aussi – il ne faut pas l’oublier ! – du Brexit.
Nous avons orienté notre action sur la préparation de la sortie de crise, la reprise et du développement économique avec un prisme fort sur le développement durable.
Comment la métropole s’est-elle organisée pour faire face aux évènements ?
Nous avons élaboré une stratégie économique en trois points : il s’agit – en premier point – de minimiser l’impact de la crise ; d’être – en deuxième point – à l’écoute pour aider psychologiquement les chefs d’entreprises avec les chambres consulaires et tous ceux qui peuvent y contribuer. Enfin – en troisième point – il s’agit de préparer la sortie de crise car cela s’anticipe dans la crise.
Pour atteindre ces objectifs, la politique métropolitaine a été organisée autour de trois actions :
- Il s’est agi tout d’abord d’être attentif à ce que l’État pouvait proposer comme aide et à ce que la région pouvait faire en face. À défaut d’être en capacité d’aider directement sur tous les sujets, on a voulu être chef d’orchestre des initiatives prises pour faciliter leur mise en musique.
- Il s’est ensuite agi de mettre en place le conseil de défense économique dont je parlais tout à l’heure. Il a été un accélérateur de partage des savoirs entre des professionnels qui se côtoyaient mais ne partageaient pas forcément les informations entre eux. Ce conseil a bien fonctionné. À tel point qu’on a même eu des élans de solidarité : le secteur de la chimie, qui n’a pas beaucoup souffert de la crise, a ouvert un certain nombre de commandes pour soutenir le commerce local ; une boite de com’ a proposé ses services pour aider les commerçants à se convertir au « Click & collect ». Pour notre part, on a accéléré la mise en œuvre des travaux publics, qu’on avait en chantier ou programmé, pour montrer l’exemple et profité du confinement pour faire ceux qui auraient pu pénaliser les commerces de proximité lors de leur réouverture.
- Enfin, il s’est agi, pour préparer la sortie de crise, d’aider les entreprises. Pour ce faire, on a développé des aides au loyer et des kits de télétravail, sous forme de fonds pour l’achat soit de matériel informatique, soit de logiciels, soit de formations. On a en effet développé des formations en ligne gratuite sur le site de la plateforme (Métropole Position), par exemple pour aider les commerçant à se convertir au « Pick & collect » dont je parlais précédemment. Cette forme d’aide, qui consiste pour nous à jouer un rôle de « go between » en mettant en relation des opérateurs économiques locaux, a été très appréciée. De même, on a agi en faveur de l’ESS dans la mesure où il s’agit d’un tissu économique émergent qui a un fort potentiel de croissance sur notre territoire. D’autant qu’il est en plein essor auprès d’une population très jeune.
Justement, l’ESS, qui semblait devoir s’imposer comme un tiers secteur à part entière quand la crise a éclaté, pourra-t-elle lui survivre ?
Il faut voir la crise comme l’accélérateur de beaucoup de choses : elle catalyse la difficulté des entreprises déjà fragiles ; l’essor du télétravail qui était déjà en gestation. De la même façon, elle peut constituer le salut de l’ESS pour l’avenir, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
Car la crise a donné à chacun l’occasion de s’interroger sur ses fondamentaux. Beaucoup de personnes aspirent désormais à un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle au nom de leur bien-être. La période qui s’ouvre va être, je le crois, celle d’une quête de sens accru. Or, c’est justement la raison d’être de l’ESS que de redonner du sens à notre mode de vie.
Pour cette raison, le secteur devrait faire preuve de résilience. À la Métropole de Rouen, on s’efforce en tous cas de créer le réceptacle qui offrira les conditions favorables à son épanouissement. Je suis moi-même en contact avec ses acteurs. C’est un milieu que je découvre mais qui est en pleine mutation.
Sans doute, le secteur a un petit coup de mou du fait de la crise. Mais ses acteurs sont en train de se rapprocher pour davantage collaborer entre eux et se doter d’un business model viable à l’avenir. Une dynamique porteuse de sens et de valeur est donc en train de s’enclencher pour la consolidation de l’ESS de mon point de vue.
Propos recueillis par Fabien Bottini, consultant qualifié aux fonctions de Professeur des Universités