Christophe Hardy : “Les communes n’ont pas de place dans la signature des CRTE” (2/2)

Publiée le 2 décembre 2021 à 15h15 - par

Focus sur l'action des communes en matière économique et l'articulation des compétences entre les différentes échelles territoriales, ainsi que sur la question de la transition écologique. Deuxième partie de notre entretien avec Christophe Hardy, Directeur Général des Services de la ville de Tournefeuille (31).
Christophe Hardy : « La ville, le centre-ville, le cœur de ville sont réapparus essentiels » (1/2)

Votre commune est la 3e commune la plus peuplée de Haute-Garonne mais elle se situe dans l’aire urbaine de Toulouse. Est-ce un atout ou un handicap pour une ville de près de 27 000 habitants d’être dans la périphérie de celle d’une ville de plus de 470 000 habitants au plan économique ?

Le débat se situe à une autre échelle selon moi. La force de ma ville réside dans sa capacité à avoir un engagement fort pour le service à la population : on pense à l’offre de soins mais aussi à la culture ; grâce à une double programmation dans deux salles de spectacle et des liens solides avec de nombreuses associations culturelles. On pense également à la médiathèque avec des ouvertures plus amples ou encore aux services aux personnes âgées : nous avons deux résidences autonomie et travaillons à l’implantation d’une résidence services. Or, ces activités participent d’un double objectif : à savoir attirer de nouvelles populations par cette qualité de vie et maintenir les « anciens » Tournefeuillais dans leur ville de cœur. L’impact de la flambée immobilière en est une des conséquences. Ce travail est facilité par un tissu associatif riche, une programmation culturelle extraordinaire, un rayonnement sportif impressionnant et un service à la famille performant. Sans oublier la solidarité quatrième atout de Tournefeuille. Si toutes ces actions contribuent à un savant équilibre pour le développement économique, ce qui guide notre rayonnement ne réside toutefois pas dans la concurrence de l’offre proposée mais dans sa complémentarité avec celle des autres acteurs du territoire. Je pense notamment ici à la complémentarité de la programmation culturelle ou encore à la création d’un pas d’escalade qui a permis de faire en 2019 le tournoi préolympique avec les retombées positives que l’on imagine pour le commerce local de la commune mais aussi de ses environs.

On entend souvent dire que les réformes territoriales de ces 10 dernières années ont progressivement dépossédé les communes de leurs moyens et compétences en matière économique au profit de la région et des EPCI. Partagez-vous ce constat à votre échelle ?

Force est de constater que le législateur a tout mis en œuvre pour déposséder les communes de cette compétence parmi tant d’autres, en transférant toujours plus de responsabilités à l’intercommunalité en matière d’urbanisme – de droit du sol notamment, de voirie… – mais aussi de propreté urbaine. Certes, le transfert des aides économiques aux régions n’a pas concerné l’immobilier d’entreprise mais le maintien de cette compétence pour les communes s’accompagne parfois du fléau d’en avoir tous les désagréments.

S’il peut y avoir un intérêt pour l’équilibre de l’offre économique proposée sur un territoire à prendre les décisions à un niveau de strate plus élevé, cet avantage est vite balayé par l’éloignement de la prise de décision. Car il favorise des réponses inadaptées du fait de la méconnaissance des atouts des territoires concernés. On peut à ce titre regretter le manque de vision programmatique et stratégique à moyen et long terme sur certains sujets. Certaines politiques publiques se construisant essentiellement sur du court terme. Je ne sais pas s’il faut aller jusqu’à parler de gaspillage de deniers publics mais cela génère très certainement plus d’inefficience de l’action publique locale. Les intermédiaires sont trop nombreux et cela ralentit et délaye la décision. Notre attention doit être guidée et portée par un rééquilibrage territorial visant à un maillage plus optimal et performant en termes d’offres économiques.

Concrètement, Tournefeuille développe cette vision prospective équilibrée et diversifiée en menant des réflexions sur ses équipements publics, notamment ceux des écoles et les maisons de quartier, véritables lieu de vie et poumon de l’action municipale et atouts en termes d’attractivité du territoire.

Dans tous les cas, l’heure serait à une certaine « remunicipalisation » de l’action publique à en croire certains. La constatez-vous à votre niveau et quelles sont ses conséquences ou devraient selon vous être ses conséquences en matière économique pour les années à venir ?

J’aimerais partager cette vision de remunicipalisation de l’action publique mais le constat est tout autre. J’aurai tendance à évoquer de plus en plus de démunicipalisation au profit des EPCI, laissant aux communes les services régaliens n’apportant pas de valeurs ajoutées aux services rendus. J’évoque souvent l’éloignement du « pouvoir » de l’usager, le laissant au milieu de ses questionnements et exposant la commune à faire face à des orientations non choisies.

Cela pose-t-il la question de leur survie ? Est-il crédible d’envisager une dissolution des communes dans les EPCI d’ici 5 à 10 ans ? Je ne crains pas cette dissolution mais plutôt la perte de sens de l’action publique où les villes deviendraient des arrondissements de ces EPCI. Leur existence se pose dans ses termes de qualité de services aux usagers du fait du risque de perte de la relation de proximité que j’évoquais avec certains opérateurs économiques.

Le dérèglement climatique expose chaque commune à des périls futurs (inondations, chaleur, intempéries, etc.). Quels sont ceux qui pèsent spécifiquement sur votre territoire et comment est-il possible d’en faire un levier du développement économique selon vous ?

L’un des sujets qui nous occupe est le risque d’inondations eu égard à la traversée de la ville par des cours d’eau. Cela est encadré, surveillé et organisé dans le cadre de notre plan communal de sauvegarde (PCS).

Une façon de transformer ce risque en atout pour le développement économique futur du territoire pourrait consister à le mettre en valeur au travers d’activités économiques liées au tourisme vert et aux déplacements doux et propres. Cela contribuerait à faire découvrir la commune sous un volet écologique par des moyens doux (vélos) en développant de nouveaux modes d’hébergement induits par ces pratiques.

L’autre point de préoccupation est la montée de la chaleur dont on pourrait tirer profit par des parcs photovoltaïques. Il s’agirait de produire l’énergie à partir des bâtiments communaux, de façon à alimenter nos équipements publics : l’objectif est ici aussi de faire preuve de résilience en produisant mieux pour consommer différemment, comme la loi résilience et climat d’août 2021 demande aux collectivités de le faire, grâce à la modernisation des bâtiments existants. Le décret tertiaire va dans le même sens, puisqu’il impose aux horizons 2030, 2040 et 2050 de réaliser, pour les bâtiments de 1 000 mètres carrés et plus, 40 % d’économie d’énergie en 2030 ; 50 % en 2040 et 60 % en 2050 et cela par rapport à une année de référence que la collectivité doit appréhender. Les enjeux financiers sont conséquents et  vont mobiliser les énergies et les capacités financières. On peut toutefois regretter qu’ils le fassent au détriment d’autres priorités. Cela permettra-t-il à terme de faire des économies dans les budgets de fonctionnement qu’on pourrait investir dans le financement de la transition écologique (ex. de la réalisation de certaines infrastructures de développement économique durable) ou transformer en baisse de fiscalité ? Ces questions sont à l’étude. Mais on en est qu’au stade de la réflexion de sorte que rien n’est décidé.

Dans tous les cas, les mesures du plan de relance comme le CRTE vous paraissent-elles un atout pour préparer l’avenir ou bien avez-vous constaté certains angles morts dans sa mise en œuvre ? Si oui lesquels ?

Il est toujours intéressant de voir les possibilités qui sont offertes aux collectivités et aux entreprises dans ce plan de relance. Force est de constater que, du fait du recul de leur compétence en matière économique, les communes n’ont pas de place dans la signature des CRTE car elle se fait au niveau de l’EPCI. L’intention est louable mais la mise en œuvre apparait moins aisée et surtout plus lourde du fait de la complexité de la procédure administrative à suivre. Celle-ci est différente des autres partenariats institutionnels que nous nouons d’habitude, en raison notamment de la déshumanisation de l’instruction via la plateforme services simplifiés.

Y a-t-il des angles morts dans le plan de relance ? C’est difficile à dire, dans la mesure où ce dispositif est un outil de réaction à une situation et non une action visant à faire autrement. Cela serait une belle opportunité pour les communes si le dispositif était pérenne mais quid du financement à moyen ou long terme ? Les possibilités offertes sont nombreuses mais restent ainsi limitées quant aux capacités financières des collectivités à la mise en œuvre des projets.

Comment abordez-vous la question de la transition écologique sur le long terme ?

Pour moi, résilier, c’est inventer et avoir cette capacité à bousculer. Il faut se montrer ambitieux dans cette démarche et garder à l’esprit que le développement économique ne se traite pas sous l’angle conjoncturel mais bel et bien structurel. Il en va de la sérénité de l’avenir et de la pérennité de nos organisations. Je pense que la transition écologique en tant que telle ne doit pas être une finalité de l’action publique économique mais bel et bien une ambition. Pour exemple, nous développons des ilots de fraicheur et des combrières par conviction et préservation de l’environnement avant que cela ne se concrétise en économies – même s’il est certain qu’à terme, baisser la température de la ville sera bénéfique au bon fonctionnement de certaines activités économiques.

J’aimerais finir en évoquant cette belle citation d’Henri Ford qui me sert de devise dans mon action au quotidien : « Se réunir est un début, rester ensemble est un progrès, travailler ensemble est la réussite ».

Propos recueillis par Fabien Bottini, Professeur des Universités à l’Université du Mans, Membre Sénior de l’Institut Universitaire de France, Membre du Thémis, Membre associé du LexFEIM.

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