Le régime de responsabilité des décideurs publics, tel qu’il résulte de l’ordonnance de 2022, conduit à des mises en causes injustifiées ? Quel est le contexte ?
Tout d’abord, le périmètre de responsabilité des directeurs généraux des services (DGS) et des directeurs généraux adjoints (DGA) n’est pas clairement défini. Les syndicats alertent depuis plusieurs années sur ce point. Le régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ouvre le champ à une responsabilité renforcée des directeurs territoriaux. Et, comme il y a un flou sur les périmètres directs d’action des directeurs généraux, c’est la jurisprudence qui dessine les contours de la responsabilité… Les décisions récentes confirment une responsabilité où les dirigeants sont mis en cause. Je peux vous citer l’exemple d’une secrétaire générale de mairie, condamnée parce qu’elle n’avait pas transmis les arrêts maladie à la compagnie d’assurance. Le tribunal a considéré qu’il y avait une perte potentielle pour les agents, bien qu’elle n’ait pas commis de malveillance et qu’elle n’ait pas eu l’intention de manquer à ses obligations. Autre exemple : celui d’un DGS qui venait de prendre son poste, mis en cause pour n’avoir pas respecté certains délais de paiement. Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance de 2022, nous surveillons la jurisprudence : ce type de décisions, provenant de chambres différentes, semblent se multiplier. Pourtant, avec une chaîne de responsabilités diverses et variées, on peut passer à côté de certains points sans qu’il s’agisse de malveillance ou de faute.
Ces décideurs territoriaux mis en cause ne bénéficient pas de la protection fonctionnelle de la collectivité ?
Aujourd’hui, en l’état des textes, il est en effet impossible de recourir à la protection fonctionnelle. C’est le cas, dans leur exercice professionnel, pour les dirigeants territoriaux et toute la chaîne hiérarchique jusqu’aux agents en charge de ces sujets, alors même qu’il n’y a pas de faute, de malversation ou d’intention malveillante. Concrètement, les agents sont rendus personnellement responsables, intuitu personæ, avec de très fortes amendes potentielles, sur leur propres deniers. Et cette responsabilité n’est pas couverte par l’assurance ou lorsqu’elle l’est, c’est sur des montants qui n’ont rien à voir avec l’importance des sommes qui peuvent être mises en cause. En réalité, je constate que le régime de responsabilité – qui dans l’absolu va dans le bon sens – se construit par la jurisprudence, avec une forme d’automatisation.
Vous appelez donc le gouvernement à prendre des mesures immédiates pour éviter les risques d’inertie et de renoncement au sein des services publics territoriaux ?
Je demande en urgence qu’il soit possible de recourir à la protection fonctionnelle, en vérifiant bien entendu l’absence d’intention malveillante et de fautes. C’est impératif. Ensuite, nous devons travailler avec les autres associations de territoriaux et avec les associations d’élus, pour préciser les conditions d’exonération et de modulation de la sanction : il faut prendre en compte la cause, les circonstances qui fondent la sanction, l’élément de l’intention et ne pas ignorer le droit à l’erreur. Aujourd’hui, en l’état actuel, on a des menaces tous azimuts, auxquelles je n’échappe pas. Car on ne peut pas tout maîtriser partout tout le temps sur tout. Soit, on aboutit à un système contre-productif, en revenant à un fonctionnement très pyramidal, avec de l’inertie et des ordres écrits sur toute la chaîne hiérarchique. Ou alors, on essaye d’avoir une position équilibrée et on a une épée de Damoclès sur la tête, qui pour certains collègues n’est pas supportable, et pour d’autres est un repoussoir à la fonction de direction générale. Sans compter la charge mentale et morale des DG qui doivent sécuriser « à 360 » l’ensemble des actes de la collectivité, sécuriser la tête de l’exécutif et les élus et aussi sécuriser les équipes.
Un amendement au projet de loi de simplification de la vie économique, déposé par des députés socialistes, visait à étendre la protection fonctionnelle à la responsabilité financière des gestionnaires publics. Qu’en est-il ?
L’amendement, considéré comme un cavalier législatif, n’a pas été retenu. Le ministre de l’Action et de la fonction publiques, Laurent Marcangeli est sensibilisé à cette question. Lorsque je l’ai rencontré début février, il a évoqué la possibilité de le réintroduire rapidement. Mais ce n’est pas suffisant. Nous considérons qu’il conviendrait de penser et de définir, clairement et légalement, le périmètre de responsabilité des dirigeants territoriaux. Car sinon, le flou est permis, les autres grilles sont des sujets d’ambiguïté et de risques pour l’organisation, y compris pour les élus.
Quelles actions envisagez-vous ?
Outre Laurent Marcangeli, j’ai également écrit au Premier ministre François Bayrou, au ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen et à la ministre chargée de la ruralité, Françoise Gatel. Nous saisissons aussi les sénateurs et certains élus particulièrement sensibilisés à cette question. Mais, après avoir lancé l’alerte, nous allons désormais nous mettre autour de la table pour travailler avec toutes les associations de territoriaux, et avec les employeurs territoriaux ; en effet, les élus sont très mobilisés car leur responsabilité peut être mise en cause, et le sujet concerne l’action publique et des paralysies ou des inerties potentielles. Notre objectif sera de structurer des propositions communes très concrètes.
Propos recueillis par Martine Courgnaud – Del Ry
Parmi ses recommandations, le rapport « Sécuriser l’action des autorités publiques dans le respect de la légalité et des principes du droit », remis le 13 mars 2025 au Premier ministre par Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d’État, contient certaines propositions sur le régime de responsabilité des décideurs publics. |