Michel Lascombe : “La loi de finances spéciale prévue permet la continuité de l’État”

Publiée le 12 décembre 2024 à 14h50 - par

Le Conseil des ministres a examiné mercredi 11 décembre 2024 le projet de loi de finances spéciale1, lequel sera soumis à l'Assemblée nationale lundi prochain et au Sénat le 18 décembre. Quel est son contenu ? Sera-t-il adopté ? Quand la loi de finances pour 2025 suivra-t-elle ? Michel Lascombe, ancien professeur de droit public à Sciences Po Lille et rédacteur en chef adjoint de la revue Gestion et finances publiques, répond à nos questions.
Michel Lascombe : “La loi de finances spéciale prévue permet la continuité de l'État”

Le président de la République a indiqué le recours à une loi de financement spéciale (LFS) pour faire adopter le budget. Sur quels fondements juridiques et avec quelle portée ?

Les PLF spéciaux sont prévus par l’article 47 de la Constitution. L’alinéa 4 précise que « si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés ». Il s’agit là d’une loi de financement spéciale (LFS). Et on est bien dans ce cas puisque le PLF a été déposé le 10 octobre 2024, au lieu du 1er octobre, et que, même s’il n’a pas été rejeté, il ne peut être poursuivi qu’à l’initiative d’un nouveau gouvernement.
Pour appliquer l’article 47 de la Constitution, l’article 45 de la loi organique sur les lois de finances (LOLF) du 1er août 2001 a prévu deux hypothèses. Le gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de voter la première partie de la LF avant le 11 décembre, ce qui n’a pas été fait. Seconde hypothèse, le gouvernement dépose, avant le 19 décembre, devant l’Assemblée nationale, un PLF spéciale de perception des recettes jusqu’au vote de la LF pour 2025. Aussitôt la loi promulguée par le président, sans doute juste après son adoption par le Parlement, donc vers le 20-23 décembre, le gouvernement peut percevoir les impôts et prendre « des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés » (art. 45 de la LOLF). Ces services votés, ce sont les mêmes crédits pour 2025 que ceux ouverts pour 2024 par le vote en 2023. Ils sont ouverts pour l’année et non plus, comme sous la IIIe République, par mois, selon le système des 1/12e provisoires. Attention, on ne change rien en plus ni en moins. Les collectivités apprécieront, puisqu’elles ne seront pas soumises dans l’immédiat à l’effort de 5 Mds€ que demandait le PLF Barnier.

Avec cette loi de financement spéciale (LFS), n’y a-t-il pas tout de même certaines inconnues ?

Il reste en effet trois zones d’ombre. Tout d’abord, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) a été rejetée par la motion de censure. Or, il n’y a pas pour cette dernière de mécanisme semblable à l’article 45 de la LOLF. Du coup, le gouvernement a créé un article 3 au PLF spéciale qui autorise les organismes de Sécurité sociale à emprunter jusqu’à l’entrée en vigueur de la LFSS pour 2025. Il y a une querelle entre juristes pour savoir si c’est constitutionnel2. Deuxième zone d’ombre, entre l’adoption de la LFS et sa promulgation par le président, des parlementaires pourraient saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité de l’article 3. Il faut qu’ils soient pour ce faire 60 membres de la même assemblée (60 députés ou 60 sénateurs). Le Conseil constitutionnel aurait alors 8 jours pour se prononcer. Enfin, troisième point, des parlementaires peuvent souhaiter déposer un amendement à cette LF spéciale, comme le projette le député LFI Éric Coquerel par rapport aux montants du barème de l’impôt sur le revenu (IR). En effet, la LFS devant reconduire les mêmes dispositions fiscales de 2024, l’indexation des barèmes de l’IR sur l’inflation prévue par le PLF Barnier pour éviter une augmentation de celui-ci, n’aurait pas lieu. Or, l’article 40 de la Constitution interdit les amendements sur les recettes, mais le Conseil constitutionnel a indiqué que la mise à jour du barème est une exigence constitutionnelle3. Personnellement, je pense que cette LFS serait conforme à la Constitution, quelque soit son contenu, car elle permet la continuité de l’État. Si le Conseil constitutionnel entérinait l’article 3 de la LFS, je ne vois pas pourquoi il n’accepterait pas l’amendement d’Éric Coquerel, mais d’autres juristes, comme Jean-Pierre Camby ne sont pas du même avis…

Que se passera-t-il si le Parlement refuse d’adopter la loi de financement spéciale (LFS) ?

Alors, le président de la République peut actionner l’article 16 de la Constitution lui donnant des pouvoirs exceptionnels. C’est la plus mauvaise des solutions… à l’exception de toutes les autres. L’État pourrait ainsi faire rentrer de l’argent dans les caisses. Mais personne ne veut de cette solution…

La loi de financement spéciale (LFS) n’est pas un but en soi. Il faut derrière que le nouveau gouvernement – lui seul, mais il n’est pas encore nommé – adopte la LF pour 2025. Comment cela se passera-t-il ?

Le nouveau gouvernement déposera un nouveau PLFSS, puisque celui-ci a été censuré, avec adoption sous 50 jours. Mais pour le PLF, doit-il repartir de l’ancien PLF Barnier (non censuré) ou doit-il tout reprendre depuis le début ? Il me semble qu’après une motion de censure, les projets de loi doivent tomber quels qu’ils soient. Le nouveau gouvernement y aurait intérêt politiquement, c’est le plus probable. Cela signifie qu’il devrait déposer un nouveau PLF, sans doute début janvier, et qu’il aurait à partir de ce moment à nouveau 70 jours pour qu’il soit adopté par le Parlement. Mais est-ce que le Parlement l’adoptera ? On n’en sait rien ! En tout cas, cette LF qui peut être adoptée n’importe quand en 2025, serait rétroactive au 1er janvier 2025.

Les exigences de réduction des dépenses que prévoyait le PLF Barnier pour les collectivités locales peuvent-elles être maintenues à la prochaine LF ?

On n’en sait rien non plus ! Mais il est probable que le PLF pour 2025 soit proche de celui pour 2024, sinon il risque de ne pas être adopté. Comme il n’y a pas de majorité claire, le choix final résultera de la négociation entre les partis.

Propos recueillis par Frédéric Ville


1. Projet de loi spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, n° 711, déposé le mercredi 11 décembre 2024.

2.Le Conseil d’État a rendu le 9 décembre 2024 un avis où il considère que cela est possible pour permettre la continuité des paiements et remboursements des prestations sociales, la protection de la santé étant constitutionnelle.

3. Le Conseil d’État estime lui dans son avis du 9 décembre 2024 qu’il n’est pas possible d’indexer le barème de l’IR à l’inflation, car cela va au-delà « des mesures nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale ».

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