Olivier Ducrocq : “Une réelle politique d’inclusion doit se faire en profondeur et sur la durée”

Publiée le 24 avril 2025 à 11h00 - par

Pointant un recrutement qui se pratique trop par cousinage et stéréotypes, le président de l'Association nationale des directeurs et directeurs-adjoints des centres de gestion de la FPT (ANDCDG) plaide pour ne pas passer à côté d'un « panel extraordinaire de compétences ». Il insiste aussi sur la lutte contre la discrimination en matière d'âge. Sur la question des obligations assorties de pénalités, Olivier Ducrocq reconnaît avoir évolué car c'est « un mal nécessaire ». Entretien.
Olivier Ducrocq : “Une réelle politique d'inclusion doit se faire en profondeur et sur la durée”

Crédit photo © Service communication CDG 69

Pourquoi avoir participé comme partenaire à nos Matinales consacrées à « L’inclusion, la diversité et la parité au service de l’attractivité » ?

Nous n’avons pas hésité une seconde par rapport à votre proposition sachant qu’on pratique trop souvent le cousinage. En recrutant des personnes qui nous ressemblent, ayant fait les mêmes études, nous perdons un panel extraordinaire de compétences en ayant peur de la diversité ou du handicap. Les recruteurs écartent souvent ces profils alors qu’on devrait faire tout l’inverse. C’est perdant-perdant en passant à côté de compétences qui pourraient enrichir nos équipes.
Les Matinales ont permis de parler de tous ces sujets mais aussi d’échanger sur les différents types d’inclusion.

Une politique d’inclusion facilite le recrutement mais aussi la fidélisation des agents en offrant une meilleure qualité de vie au travail. Qu’en pensez-vous ?

Je partage totalement ce point de vue. Dans les politiques de qualité de vie au travail, le plus essentiel est la façon de constituer une équipe de travail, sa sociologie. La diversité est plurielle : origines, égalité femmes-hommes, handicap, âge… Mais il y a aussi un sujet dont on ne parle jamais : la formation initiale. Un médecin, un ingénieur, un administrateur…, ils sont marqués à vie par leur formation initiale. Le médecin est formé à décider tout seul et on lui reproche de ne pas savoir travailler en équipe. L’ingénieur fait de la technique mais on lui dit qu’il est un mauvais manager. À l’inverse, l’administrateur n’a été formé qu’à manager mais il ne maîtrise pas les éléments techniques. En conséquence, il faudrait imposer des formations costauds car on donne trop souvent les clés d’une voiture à des gens qui n’ont pas le permis de conduire ! Le constat vaut aussi pour les élus !

Qu’est-ce qui doit primer dans un recrutement ?

Pour quasiment tous les recrutements que j’ai pu faire, l’âge ou la formation m’intéressaient plus que le reste. Nous sommes bourrés de stéréotypes et pour se rassurer, on recrute avant tout sur des compétences. Si on recrute une personne compétente et qu’accessoirement il s’agit d’une femme, d’une personne handicapée ou d’origine étrangère, c’est gagné ! Se contenter de faire de l’affichage en ne recrutant que sur des spécificités ne permet pas de traiter le sujet. Si le recrutement se fait sur les compétences en expliquant, par exemple, pour une personne handicapée qu’il faudra adapter le poste et intégrer cette dimension chez le manager, ça marchera. Les personnes en situation de handicap apportent un plus en terme de culture commune de l’équipe.
Autre sujet important : il ne faut pas avoir une vision manichéenne de la représentation des femmes, des origines, du handicap, des jeunes ou des vieux. Sinon c’est le risque de créer du communautarisme qui peut faire mourir un collectif de travail.

Dans les discriminations à l’emploi, vous insistez particulièrement sur celle de l’âge.

Oui car l’inclusion doit aussi concerner les seniors. Dans le secteur privé, à 55 ans, vous êtes considéré comme un has been qui coûte trop cher ! Avec donc un taux d’emploi beaucoup plus faible. En revanche, dans le public, à cet âge-là l’agent arrive au summum de sa carrière avec beaucoup d’expérience prise en compte et valorisée. On ne s’en débarrasse donc pas ! Mais notre défi est de réussir à les garder en bonne santé jusqu’à leur départ à la retraite. La réforme des retraites peut se comprendre d’un point de vue économique mais à condition que le taux d’emploi des seniors ne s’effondre pas en grossissant les rangs des chômeurs. Ce sujet devrait constituer une grande cause nationale.

Pour faire avancer l’inclusion, des obligations réglementaires, avec des pénalités financières, vous semblent-elles nécessaires ?

Auparavant, je pensais qu’il n’y avait pas besoin d’obligations ou de quotas car je faisais partie des convaincus. Mais j’avais tort. On voit bien que cela donne des résultats notamment en matière de handicap. Même si je n’aime pas beaucoup le principe des quotas, il s’agit d’un mal nécessaire.
Nous avons beaucoup de lois obligatoires en termes de sécurité, de documents uniques ou de RSU qui ne sont pas appliquées en l’absence de coercition. C’est dans la nature humaine ! Comme par hasard, quand il y a une obligation avec de la coercition, comme l’a intelligemment fait la loi « Handicap » de 2005, la mobilisation existe, soit pour les bonnes raisons de l’inclusion, soit pour de moins bonnes comme le risque de payer des pénalités. Ce n’est pas grave, seul le résultat compte, que les leviers soient nobles ou plus vulgaires.

Au-delà des résultats obtenus, faut-il avoir des politiques au long cours ?

Il faut bien être conscient qu’une réelle politique d’inclusion ne peut pas se limiter à de la communication. Elle doit se faire en profondeur, sur la durée, avec un vrai volontarisme qui ne peut pas varier. Au CDG 69, nous avons depuis une dizaine d’années un service Handicap et maintien de l’emploi. Ce type de mission ne doit pas s’arrêter car il s’agit d’un investissement de long terme auprès des employeurs et des personnels handicapés pour les rendre aptes à rentrer sur des postes même si des ruptures peuvent survenir en cours de route.

Sur ces différents sujets d’inclusion, la fonction publique doit-elle être exemplaire ?

On voit beaucoup de séries sur les policiers nationaux, c’est très bien mais quelle visibilité pour les 250 métiers de la territoriale qui s’occupent des citoyens de la naissance jusqu’à la mort ? Rien ! Toutes les entreprises ont un produit, pour nous il s’appelle le service public. On le voit quand il y a une crise comme le Covid, le pays arrive à fonctionner grâce à lui. Je suis très en colère que ce produit-là et les métiers qui en découlent ne soient pas plus mis en avant par nos gouvernements successifs.
Les jeunes qui viennent dans mon CDG ne le font pas pour gagner beaucoup d’argent. Leur moteur, c’est d’être utile à la société. Cela n’empêche que nous avons du retard à rattraper par rapport au secteur privé sur les politiques d’inclusion.

En matière d’attractivité, y-a-t-il une approche particulière à avoir envers la jeune génération ?

Concernant les jeunes, le défi concerne moins l’attractivité que la fidélisation. Le statut de fonctionnaire mais aussi le CDI ne les attirent pas. En réponse, la loi de transformation de la fonction publique de 2019 a beaucoup facilité le recrutement des contractuels. Nous avions besoin d’assouplir les modalités pour attirer plus de jeunes sachant que pour eux passer un concours est souvent rédhibitoire. Le contrat constitue pour eux un bon outil s’ils restent de passage, trois ou six ans. En revanche, s’ils y trouvent leur compte, je leur conseille de passer les concours et de rentrer dans le statut. La stratégie doit consister à leur montrer tous les inconvénients du contrat et tous les avantages du statut !
Leurs valeurs tournent souvent autour de l’écologie, du développement durable, de la bienveillance… Ce qui est très bien. Mais il y a deux sujets sur lesquels nous devons travailler auprès d’eux. Tout d’abord, le sens du collectif car il faut que les valeurs individuelles s’adaptent au collectif. Ensuite, la bienveillance et l’empathie ne doivent pas se transformer en « un monde des bisounours » car le collectif a besoin de se travailler par un management efficace et agile. L’inclusion des jeunes signifie de les entendre et les comprendre mais aussi, pour eux, de comprendre la nécessité du collectif et des contraintes de la gestion.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry