Santé des soignants : ce que l’inaction coûte vraiment aux hôpitaux

Publiée le 4 juin 2025 à 9h40 - par

Porté par l'École des hautes études en santé publique (EHESP) et la Fondation de la Mutuelle nationale des hospitaliers (MNH), le projet Valoris vise à estimer les coûts indirects associés à la perte de productivité pour raison de santé dans diverses professions hospitalières. Nicolas Sirven, professeur des universités en sciences économiques à l’EHESP, en présente les conclusions, rendues publiques le 3 juin.
Santé des soignants : ce que l'inaction coûte vraiment aux hôpitaux

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Dans quel contexte avez-vous été amené à effectuer cette étude ?

Le point de départ repose sur le rapport d’Alexis Bataille, du Dr Philippe Denormandie et Dr Marine Crest-Guilluy de 2023, portant sur la santé des professionnels de santé, qui dénonce leurs conditions de travail, les effets sur leur santé, ainsi que la possible baisse de productivité et de qualité des soins associée. Ce rapport a conduit la Fondation MNH à lancer un appel à projets en 2023 afin d’identifier des actions de prévention pouvant être déployées au sein des établissements hospitaliers pour améliorer la santé des soignants. Cependant, la Fondation MNH s’est rendu compte qu’il manquait, pour convaincre les établissements d’agir, le coût économique de l’inaction.

C’est-à-dire ?

La Fondation MNH a sélectionné des projets permettant la mise en place de protocoles d’amélioration de la santé des professionnels hospitaliers, l’objectif étant de persuader les établissements d’investir dans ces actions pour réduire les problématiques de santé des agents. Mais sans la preuve de l’efficacité du projet, les structures peuvent très bien décider de consacrer la somme à investir, à d’autres actions. De fait, elle a souhaité leur démontrer le coût économique de l’inaction.

C’est là qu’intervient votre étude ?

Le projet Valoris a effectivement pour objectif de déterminer les coûts indirects (salaires perdus et coûts de friction) liés à la perte de productivité, pour raison de santé, pour plusieurs professions à l’hôpital et dans différents types d’établissements, en cherchant à transposer une étude suédoise pilotée par Carl Strömberg, parue en septembre 2017 dans la revue médicale Value in Health. Pour réaliser cette enquête, nous avons mis à disposition un questionnaire en ligne auprès des personnels des établissements de santé du secteur public, soignants et administratifs.
Généralement, pour calculer la perte économique liée à l’absence d’un agent, les établissements hospitaliers multiplient chaque journée d’absence par son salaire journalier. Cette méthode de la perte salariale considère que cette absence n’a pas d’effet sur l’équipe. Or, l’absentéisme génère des coûts supplémentaires, dits cachés, liés à la désorganisation des équipes et aux efforts entrepris pour trouver un remplaçant. De fait, en réalité, le coefficient multiplicateur de l’absentéisme journalier est d’environ deux fois le salaire de la personne absente. Cependant, le présentéisme – c’est-à-dire le fait pour l’agent de venir travailler alors qu’il devrait être absent – a lui aussi un coût. Même si la journée de présentéisme est moins onéreuse pour l’établissement qu’une journée d’absentéisme, car elle équivaut à 1,6 fois le coût salarial de la journée, elle dure généralement plus longtemps. Elle peut donc revenir plus chère à l’établissement, que l’absentéisme. D’après la littérature internationale, le taux de prévalence de l’absentéisme des professionnels de santé dans le secteur public est de 8,8 % et celui du présentéisme de 66,1 %.

Notre objectif avec cette étude est de défendre l’idée selon laquelle, pour avoir une vision claire de ce que coûte une intervention de prévention, il faut prendre en compte à la fois le coût d’une action afin de démontrer ce qui peut être effectué pour améliorer la santé des soignants, et le coût de l’inaction. Autrement dit, l’absentéisme et le présentéisme dans le système de santé génèrent des coûts supérieurs à la perte de productivité du travailleur absent pour raison de santé pris isolément. L’incitation à agir avec des actions de prévention s’en trouve alors renforcée.

Propos recueillis par Laure Martin