Face aux récentes critiques adressées à l’ADEME et votre audition par la commission d’enquête du Sénat, vous avez pris la plume et la parole pour défendre l’intégrité et le rôle de l’agence. Pourquoi ces critiques ? La transition écologique est-elle une thématique qui dérange ?
Je crois que vous avez raison de présenter les choses ainsi. D’abord, je tiens à préciser que, dans mon rôle de président, il ne m’appartient pas de répondre à tel ou tel responsable politique. Je ne suis pas dans une posture politique. L’ADEME est une agence de l’État, transpartisane, et je m’en tiens à cette juste place. En revanche, mon rôle, c’est d’apporter des éléments factuels au débat, de la rationalité aussi, quand elle est nécessaire.
L’ADEME a engagé, l’an dernier, 3,4 milliards d’euros pour le compte de l’État dans des projets de transition écologique. Ces financements soutiennent soit des projets portés par des collectivités – en matière de réseaux de chaleur ou d’économie circulaire, par exemple – soit par des entreprises, notamment dans le cadre de plans de décarbonation. Notre rôle est de garantir que l’argent public – donc celui des contribuables – est bien investi, que les projets sont de qualité et efficaces. Nous disposons d’indicateurs très rigoureux pour mesurer ce que j’appelle « l’efficacité carbone de l’euro investi ».
L’État investit-il trop ou pas assez dans la transition écologique ?
Notre première mission, c’est d’être aux côtés de celles et ceux qui portent des projets sur les territoires : des élus, des chefs d’entreprise, des collectivités. Personne n’oblige, par exemple, un élu à créer un réseau de chaleur ou un chef d’entreprise à se décarboner. Ce serait même plus simple de ne rien faire ! Mais les entreprises ont compris que la décarbonation est une question stratégique de survie. Et les élus ont compris que déployer des réseaux de chaleur et des énergies renouvelables, c’est passer d’énergies fossiles importées à des énergies locales, souveraines, dont les coûts sont plus stables — ce qui protège les citoyens. Et sans l’argent de l’État, tout cela ne serait pas possible. Les entreprises ne pourraient pas se transformer. Beaucoup de collectivités ne pourraient pas financer leurs projets.
Vous avez affirmé que « la transition écologique sera territoriale ». Or les collectivités, qui ont besoin de plus de financements, voient le Fonds vert et certaines aides diminuer. Comment peuvent-elles y parvenir malgré tout ? Quelles aides restent mobilisables ?
D’abord, il faut rétablir les faits : l’enveloppe dédiée aux collectivités n’a pas baissé d’un euro. Elle reste à 800 millions d’euros pour le Fonds chaleur. Il n’y a donc aucun désengagement de l’État. Si ce montant s’avérait insuffisant, nous pourrions le lisser entre 2025 et 2026. Le besoin est réel, c’est indéniable. Mais l’engagement de l’État est bien là. Pour le Fonds vert, que nous opérons mais ne pilotons pas, il peut y avoir des variations. Mais sur le Fonds chaleur spécifiquement — qui concerne directement le pouvoir d’achat énergétique et les infrastructures de chaleur renouvelable — le budget a été maintenu. C’est grâce à l’engagement de la ministre, qui défend depuis longtemps une vision à un milliard d’euros pour ce fonds. Je rappelle que dans une première version du projet gouvernemental, le budget avait été réduit à 500 millions. Il a ensuite été rétabli à 800 millions. Des parlementaires ont d’ailleurs déposé des amendements pour affirmer leur volonté de maintenir ce budget. Même si ce n’est pas directement dans leurs prérogatives – ils ne votent pas les autorisations d’engagement, seulement les crédits de paiement – ils ont clairement exprimé leur soutien.
Le Fonds chaleur représente 5 milliards d’euros d’investissements cumulés sur 15 ans. Il permet d’économiser chaque année l’équivalent de 50 térawattheures de gaz, soit entre 1 et 4 milliards d’euros d’importations évitées. C’est un très bon investissement pour la souveraineté énergétique et la balance commerciale du pays.
L’ADEME est-elle bien gérée ? Que disent les évaluations menées récemment ?
C’est une question légitime. Une mission de l’Inspection générale des finances a été menée pendant quatre mois. Ils ont tout analysé, de fond en comble. Leur conclusion est claire : l’ADEME est globalement bien gérée. Ils recommandent d’ailleurs une augmentation des effectifs, ainsi qu’une dizaine d’axes d’amélioration que nous avons intégrés à notre feuille de route avec le conseil d’administration.
Notre train de vie n’est pas démesuré, et nous avons gagné 155 % de productivité en quatre ans. Comment ? Grâce à une refonte de notre système d’information, initiée par mes prédécesseurs. Ce système, baptisé OPALE, automatise toute notre chaîne de gestion. Il nous a permis d’absorber une croissance spectaculaire des moyens de l’État sur la transition écologique. Nous avons aussi revu nos processus opérationnels. J’ai dirigé plusieurs organisations — entreprises, collectivités, établissements publics – et je peux vous dire que des chiffres comme ceux-là, c’est rare.
C’est important d’expliquer que cette machine fonctionne, qu’elle produit des résultats. C’est ce que j’ai dit au Sénat : « Quand ce n’est pas cassé, ne cherchez pas à le réparer. » Si quelque chose ne va pas, dites-le. Mais sinon, laissons-la faire son travail.
Certaines voix, comme celle de Valérie Pécresse, plaident pour une décentralisation du modèle. Quelle est votre position ?
Je ne prends pas position sur l’organisation institutionnelle du pays. L’ADEME s’adapte à la structuration de l’État. Par exemple, dans le cadre de France 2030, nous avons opéré 1,6 milliard d’euros. Peu importe que le projet soit à Nantes, Lyon ou Marseille : nous nous concentrons sur son efficacité carbone.
Notre force, c’est l’articulation entre des équipes centrales capables d’expertise pointue et des équipes en région, présentes dans 27 villes. Ces dernières accompagnent les collectivités et les entreprises sur le terrain, tout en contribuant à la production de connaissance. Elles mènent des études de mutualisation, par exemple sur l’hydrogène ou le captage de CO2, qui n’auraient aucune chance d’aboutir si chaque entreprise travaillait seule. C’est cette granularité territoriale qui fait la richesse de notre modèle.
L’ADEME propose aussi de l’ingénierie aux petites collectivités, souvent dépourvues de moyens. Quels sont les résultats ?
Aujourd’hui, 62 % de nos aides — en nombre, pas en volume — sont attribuées à des zones rurales ou périurbaines. C’est considérable. Et je parle en connaissance de cause : j’ai été maire d’un village et président d’une intercommunalité de 4 999 habitants. Quand je suis arrivé à l’ADEME, je me suis dit : « Si j’avais su tout ça à l’époque… ».
Nous proposons une méthode appelée « Territoire engagé pour la transition écologique », qui permet d’avoir une approche globale, d’impliquer les citoyens, de faire des choix éclairés. C’est une vraie mine d’or d’outils, d’expertises et de retours d’expérience. C’est pourquoi nous avons lancé un réseau, « Élus pour agir », qui réunit aujourd’hui 3 600 élus. Ils s’engagent à nous consacrer une journée par an et deux heures par trimestre. En échange, nous organisons des sessions où des experts présentent les enjeux de manière concrète, des élus partagent leurs réussites comme leurs difficultés, et nous détaillons les dispositifs disponibles.
Un EPCI sur deux a déjà adopté la méthode « Territoire engagé ». Ce n’est pas une démarche descendante : nos directions régionales, nos ingénieurs, nos équipes centrales co-construisent ces outils avec les territoires.
Cela entre-t-il en résonance avec les PCAET (plans climat air énergie territoriaux) ?
Absolument. Cela fait partie des 700 postes que nous finançons dans les collectivités. Ces personnes, formées et intégrées à un réseau, ne sont pas seules. Dans une intercommunalité, une personne peut ainsi être dédiée à la transition écologique pendant trois ans, avec un accompagnement technique, méthodologique, collectif.
Nous finançons ces postes à hauteur de 30 à 40 000 euros par an, selon les cas. La collectivité recrute et encadre, et nous animons ce réseau avec des rencontres, des outils, un partage d’expériences.
Comment l’ADEME soutient-elle l’innovation territoriale ?
La transition écologique a souvent été perçue comme un processus descendant, avec des accords internationaux comme les Accords de Paris, les Green Deals européens, et des stratégies nationales bas carbone qui se déclinent ensuite en plans territoriaux. Bien que ces démarches soient cruciales, il est également important de reconnaître le potentiel de vitalité qui naît directement des territoires. C’est sur le terrain que se trouvent des initiatives concrètes et souvent très efficaces, qui ne peuvent pas être générées dans un bureau. Ainsi, nous initions actuellement une nouvelle approche : l’essaimage. Notre rôle, à travers nos 27 directions régionales en France, est d’identifier les projets les plus qualitatifs et impactants.
Nous les analysons, les modélisons, puis nous nous efforçons de les diffuser massivement, en ciblant les territoires où ils seraient les plus pertinents. Cette logique d’essaimage nous permet de faire remonter les bonnes pratiques locales et de les déployer à une échelle plus large.
Ce n’est pas un travail réactif, basé uniquement sur des appels à projets, mais une démarche proactive. Nous cherchons à créer des solutions éprouvées, efficaces, et surtout adaptées aux spécificités des territoires. Nous avons d’ailleurs récemment recruté notre première « essaimeuse » pour mener cette mission avec nous.
La campagne des municipales approche dans un contexte de tensions, avec la montée des climato-sceptiques. Comment continuer à convaincre et susciter l’adhésion sur le thème de la transition écologique ?
Je vais vous dire quelque chose qui, aujourd’hui, ne fait pas toujours la une des médias : les élus sont en réalité en avance sur l’opinion publique en ce qui concerne les enjeux climatiques. Depuis 25 ans, nous menons une étude, le baromètre de la perception de la transition écologique, auprès de 500 élus. Ces derniers, bien conscients de l’importance du sujet, savent qu’ils seront jugés sur leurs actions en matière de climat et leurs résultats.
Le dérèglement climatique est une réalité palpable, et quand des événements extrêmes comme des inondations ou des vagues de chaleur frappent des régions comme l’Ille-et-Vilaine ou les Hauts-de-France, les électeurs attendent des réponses. Ces événements sont visibles à la télévision et ont un impact direct sur la vie des gens. Le climat touche de plus en plus de Français dans leur quotidien.
Il est évident que l’adaptation seule ne suffit plus. Si l’on ne prend pas aussi des mesures pour résoudre les causes du dérèglement, on court à la catastrophe. Nous devons agir sur les deux fronts : l’adaptation, bien sûr, mais aussi la réduction des causes du changement climatique. Je crois en la lucidité et l’engagement de nos élus, et j’ai confiance en l’esprit citoyen des Français. Les enjeux climatiques sont de plus en plus tangibles, et les élus sont là pour porter la voix de cette prise de conscience.
Quant à l’avenir, je fais confiance à nos élus pour mener la transition écologique. Nous serons là pour les soutenir avec les outils nécessaires, les financements de l’État et notre expertise, pour qu’ils réussissent la transition écologique de leurs territoires. »
Propos recueillis par Jérémy Paradis
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