William Roizes : “La police municipale est une police de proximité qui se caractérise par sa réactivité”

Publiée le 30 novembre 2021 à 11h30 - par

Entretien avec William Roizes, chef de service de police municipale et directeur de la tranquillité et sécurité publiques, gestion de crise de la commune d’Aulnay-sous-Bois (93) peuplée de 86 000 habitants.
William Roizes : “La police municipale est une police de proximité qui se caractérise par sa réactivité”

Policier municipal depuis 1996, William Roizes est diplômé de la faculté de droit, sciences politiques et sociales de l’université Paris-Nord 13 et de l’université René-Descartes Paris 5 (3e cycle, politiques et dispositifs de sécurité territoriale en collaboration avec l’Institut national des hautes études sur la sécurité). Il est également chargé de cours auprès du CNFPT auprès des policiers municipaux.

Les difficultés de recrutement sont considérables dans le secteur public, rencontrez-vous les mêmes problèmes au sein de votre service de police municipale ?

Bien sûr, quelle collectivité ne rencontre pas de difficultés face au recrutement des policiers municipaux ? Nous assistons depuis plusieurs années à une politique de recrutement soutenue. Les recrutements ont été importants durant la période 2014 à 2020 et ne cessent de croître. C’est la conséquence d’engagements politiques, et le contexte d’attentats à répétitions qui a engagé les maires dans des campagnes d’enrôlements pour rassurer les populations. Nous pouvons constater des investissements accrus en matière d’équipement individuel et collectif, parfois plus conséquent, dont sont équipés nos homologues des forces de sécurité étatique. La police municipale d’Aulnay-sous-Bois est l’une des plus importantes d’Île-de-France en termes d’effectifs et a vu ses moyens renforcés depuis 2014. Dans le même temps, la courbe de la délinquance n’a cessé de fléchir. Ma préoccupation étant de pérenniser les agents en les accompagnant et consolidant le travail sur le terrain, par une meilleure approche et compréhension territoriale.

Votre collectivité est au cœur d’un territoire réputé difficile, notamment en termes de délinquance et d’ordre public. Ressentez-vous un manque d’attractivité lié à ces difficultés ?

La réponse demeure complexe. Il faut conscientiser le territoire, la sociologie des administrés, intégrer les différentes formes de délinquance. Il est nodal de comprendre les orientations stratégiques en matière de gouvernance publique locale. Il est évident que les agents, au regard d’une concurrence féroce, préfèrent de loin œuvrer sur des périmètres moins enclins à la délinquance et plus feutrés. Le policier municipal qui travaille sur des territoires où se trouvent une ZSP (Zone de Sécurité prioritaire), des QPV (Quartiers prioritaires de politique de la ville) et QRR (Quartier de reconquête républicaine), ce qui est le cas au sein de la collectivité, ressent incontestablement une envie moindre face aux nombreuses personnes malveillantes, qui commettent des exactions à l’encontre des policiers municipaux. Le défi de faire venir sur la commune des agents en mobilité ou sortis du concours reste un exploit. Cependant, nous avons des agents qui ont le sens du service public et la volonté de servir dans ces villes plus difficiles avec un engagement double, d’une part professionnel et d’autre part personnel. En effet, la tension est pluriquotidienne et perceptible. L’engagement de nos femmes et hommes sur la commune est à leur honneur, car l’implication est d’autant plus forte face aux instrumentalisations, aux démagogies, et décontextualisations de nos interventions. L’investissement sur notre territoire induit des policiers un grand respect des valeurs républicaines, de la Constitution, des lois, de la déontologie et de la laïcité. La pression est indubitablement forte et l’irréprochabilité est omniprésente. Nous devons faire face à toutes les attaques externes afin de protéger nos policiers. Il n’est pas rare que certaines personnes soient animées d’intentions purement privées et malintentionnées pour contrer l’action des policiers municipaux.

Devez-vous offrir une rémunération plus avantageuse par rapport à d’autres polices municipales et/ou verser des primes importantes pour « compenser » ce manque d’attractivité auprès de vos agents ?

Il faut être mesuré dans l’amélioration des régimes indemnitaires. Nous tentons de trouver un juste équilibre cohérent à la complexité du territoire et des exigences. Néanmoins, au regard des postes vacants, de la forte demande et implication des agents sur le terrain, pas d’amélioration des régimes indemnitaires serait irrationnel. Le fait de contribuer à l’amélioration des régimes indemnitaires n’est pas le seul levier, mais il contribue à la pérennisation de nos effectifs et à la volonté de nous rejoindre, et ce malgré des régimes qui sont parfois inacceptables dans certaines communes. Il n’est pas rare de voir des agents du cadre d’emploi des gardiens-brigadiers ou brigadiers-chefs principaux de catégorie C percevoir des salaires de cadre A, de collectivité moyenne. Une bulle a été créée, pour laquelle les agents n’en conscientisent aucune once et confondent régime indemnitaire et primes allouées par la collectivité. La tentation d’augmenter les effectifs est grande mais je pense qu’il faut résister et rester raisonné dans la dépense des deniers publics. Le risque de la pression à ne pas recruter est d’augmenter significativement les agents sans valorisation au regard du travail accompli. Il faut être prudent sur les tentations multiples afin de garder nos effectifs. Comme le dit le dicton, « la peur n’évite pas le danger ». Ne vaut-il pas mieux des agents sereins dans la structure, que de garder des policiers non méritants abreuvés de salaires disproportionnés, et dont il serait difficile de se séparer en les confortant dans des régimes indemnitaires inconcevables ?

Remarquez-vous un phénomène de turnover, des changements de poste ou départs de personnel fréquents au sein de votre équipe, qui pourraient s’expliquer par ce manque d’attrait de la profession ?

Oui et non. Les choix, causes et rhétoriques formulés lors des mobilités sont assez hétérogènes. Nous mettons tout en œuvre pour impulser, responsabiliser, valoriser par des actions de formation, des innovations, des protocoles facilitant nos modes opératoires. Tous les outils sont mis en œuvre. Nous sommes d’ailleurs l’une des polices municipales qui est au premier rang de la mise en œuvre des dispositifs législatifs et réglementaires, dès lors que les textes nous permettent d’expérimenter et de mettre en avant des outils. Nous apportons une réponse à l’administré, à une demande sociétale en police de proximité à laquelle nous nous adaptons régulièrement. Là est peut-être la cause d’un turnover. En effet, la première mission de la police municipale est de rendre un service de qualité aux Aulnaisiens, en assurant la sécurité des personnes et des biens. La population est derrière nous, elle soutient notre action, comme je le constate lors des réunions publiques. Les avis et les demandes exprimés, les doléances aussi, nous aident à réorienter notre stratégie et à apporter des solutions immédiates. La police municipale est une police de proximité qui se caractérise par sa réactivité. Les gens nous connaissent, ils n’hésitent pas à venir nous voir. Il est primordial de renforcer les liens avec les différentes catégories de la population, y compris celles a priori hostiles. C’est le sens de la police municipale.

Néanmoins, notre exigence permanente à vouloir infléchir la courbe de la délinquance par un présentiel optimisé par des outils, des objectifs et résultats attendus ne sont pas toujours bien venus et compris des agents. In fine, il est attendu des résultats pour améliorer le bien-être de nos administrés en matière de sécurité publique. En résumé, le changement reste complexe et en chacun d’entre nous demeure un conservateur dont il n’est pas toujours aisé de faire comprendre les enjeux aux agents, qui ne peuvent être qu’au profit du territoire. La réponse peut être également liée à la sociologie des policiers municipaux et cadres de références qui en résulte. Le sujet est vaste et les pistes nombreuses. Quoiqu’il en soit, personne à ce jour, n’a trouvé la solution à cette péréquation et doux rêveur celui croyant avoir deviné la formule idoine.

Propos recueillis par Mariam El Habib

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