« Les gens travaillant dans le public n’y sont pas par hasard »

Publié le 24 novembre 2011 à 0h00 - par

Entretien avec Claire Edey Gamassou, maître de conférences en sciences de gestion spécialisée dans le rapport au stress des agents territoriaux, et auteure de la thèse Stress et implication des agents territoriaux : une approche en termes de ressources. (1)

Weka : Claire Edey Gamassou, comment avez-vous été amenée à  travailler sur le stress chez les agents territoriaux ?

Claire Edey Gamassou : J’ai commencé à m’intéresser aux questions de souffrance au travail en 2000, avant d’entamer mon DEA. J’avais l’intuition qu’il y avait peut-être quelque chose quant à l’intensification du rythme de travail, après la mise en place des 35h. Mon mémoire de DEA a porté sur le stress chez les cadres. Quand j’ai commencé ma thèse, dans le privé, les portes se sont gentiment fermées. Alors ayant une appétence pour le public, je me suis dirigé vers la fonction publique territoriale.

L’avantage étant qu’avec 1,7 millions d’agents, même en ayant pas réussi à avoir l’aval d’une grosse collectivité pour mener une étude de cas, j’avais un terrain potentiel non négligeable, en réalisant entretiens et diffusant questionnaires via mes contacts, notamment l’ENACT d’Angers. Et puis les administrations ne sont pas des structures étudiées pour comprendre le stress, il y avait peu de littérature sur le sujet, selon l’idée que les fonctionnaires ne sont pas stressés.

Il y avait aussi des éléments propices : la dualité administration/politique, la proximité des élus, qui impliquent une double hiérarchie, et la diversité des structures concernées, qui permet la comparaison sur des critères de taille entre collectivités et entreprises, afin de voir en quoi la taille et les modes de gestion jouent sur le stress des individus.

Aujourd’hui, je travaille avec Céline Desmarais (Université de Savoie) sur un concept encore peu étudié en France : la motivation de service public, avec pour  premiers terrains d’étude les agents de municipalités. C’est l’idée, développée en réaction à l’école du public choice, que les agents publics sont motivés par des dynamiques différentes à celles du privé.
 

Weka : Y a-t-il une spécificité des agents territoriaux face au stress, par rapport aux autres fonctions publiques et aux salariés du privé ?

Claire Edey Gamassou : Concernant les autres fonctions publiques, je n’ai aucun moyen de comparaison. Par rapport aux travaux effectués dans le privé, tout porte à croire qu’il y a autant de gens stressés, et pour les mêmes raisons. Et ce d’autant plus que se développent les pressions sur les coûts dans les services territoriaux. Les gens travaillant dans le public n’y sont pas par hasard, ils sont généralement plus motivés que la moyenne par les enjeux publics, et donc plus sensibles à ce qui y va mal.

Ça se vérifie dans les métiers sociaux, où le sens de la responsabilité est très présent, et où il est difficile pour les agents de ne pas pouvoir répondre aux exigences. De manière générale, le risque de stress dépend de l’articulation entre les ressources, la marge de manœuvre, les récompenses dont bénéficient l’individu, et les exigences qui pèsent sur lui, les efforts qui lui sont demandés.
 

Weka : Selon vous, les agents territoriaux sont-ils de plus en plus sujets au stress ?

Claire Edey Gamassou : C’est surtout qu’on en parle de plus en plus. Avant, il y avait un certain déni : les organisations d’employeurs refusaient de reconnaître l’organisation du travail comme un vecteur possible de stress, renvoyaient tout à l’individu. En 2004 a été signé un accord cadre européen, suivi par une négociation au niveau national qui a donné lieu à l’accord national interprofessionnel de 2008, qui change la donne.

Aujourd’hui, les deux conceptions cohabitent, avec, je le déplore, une tendance à passer du « c’est tout l’individu » au « c’est tout l’organisation ».

La vérité est entre les deux : il y a des organisations pathogènes, c’est vrai. Mais chaque individu a sa part de responsabilité, selon ses attentes, le sens qu’il donne à son travail, sa contribution à la construction du collectif, même si celle-ci peut être entravée par l’accélération du rythme de travail. La responsabilité est des deux côtés : à l’employeur d’appliquer les textes, à l’individu de se tourner vers ses collègues, les syndicats, les psys du travail, etc.

Suite de cet entretien la semaine prochaine

Crédit photo : Hélène Epaud