Scanner les médicaments pour lutter contre la contrefaçon, un casse-tête logistique

Publié le 5 février 2019 à 10h40 - par

À partir de samedi 9 février 2019, les médicaments vendus en Europe devront être systématiquement scannés pour être sûr qu’il ne s’agit pas de contrefaçons. Voilà pour la théorie, car en France comme ailleurs, les pharmacies ne sont pas prêtes.

Scanner les médicaments pour lutter contre la contrefaçon, un casse-tête logistique

Le dispositif, appelé « sérialisation », doit entrer en application samedi 9 février 2019 en vertu d’une directive européenne de 2011 relative aux médicaments falsifiés. Il consiste en un code informatique unique apposé sur chaque boîte de médicaments de prescription, au moyen d’un pictogramme noir et blanc contenant bien plus d’informations qu’un code-barres classique. Cela permet de compléter la traçabilité du lot de médicaments en ajoutant une authentification de chaque boîte au moment de la distribution. La boîte est scannée et les données vérifiées en temps réel via une plateforme nationale, elle-même connectée à un « hub » européen.

À l’inverse d’autres pays, la France « n’est pas prioritairement concernée par la contrefaçon de médicaments » car le circuit de distribution est « sécurisé », explique toutefois Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, la fédération française du secteur pharmaceutique. De plus, le remboursement des médicaments sur prescription « fait qu’il n’y a pas d’incitation » à aller s’en procurer sur des circuits plus douteux comme Internet, ajoute M. Lamoureux, interrogé par l’AFP. Les industriels se sont cependant préparés en adaptant leurs lignes de production, de même que les grossistes-répartiteurs, qui approvisionnent les pharmacies. Mais en aval de la chaîne du médicament, tout reste à faire. Car les syndicats de pharmaciens ne sont pas convaincus.

« Fausse sécurité »

En l’état, la sérialisation « ne nous sert pas du tout », lance Philippe Besset, de la fédération des pharmaciens d’officine (FSPF), selon lequel « zéro » pharmacie en France est prête. La FSPF dénonce une vision « purement logistique » du rôle du pharmacien et juge que le dispositif n’apporte qu’une « fausse sécurité », car le système n’a pas été conçu pour faciliter le rappel de produits. De son côté, l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO) plaide pour un contrôle du médicament à sa réception et non pas au moment de sa dispensation au patient comme le prévoit le texte européen. Selon l’USPO, cette tâche risque de « perturber » le travail des pharmaciens au comptoir et de poser un problème d’« image » face au patient si sa boîte de médicaments s’avère falsifiée. Pour une source proche du dossier interrogée par l’AFP, cette « mauvaise volonté » n’est pas dénuée « d’arrière-pensées économiques », les officines tenant à la fluidité de leurs ventes au comptoir.

Mais les pharmaciens ont aussi pointé du doigt d’autres problèmes très concrets : quid de la facturation d’un médicament quand celui-ci n’est pas encore en stock, ce qui était possible jusqu’à présent ? Ou de la préparation des doses administrées par les pharmaciens pour des patients ne pouvant se rendre dans les officines, par exemple des résidents d’Ehpad ? Faute de précisions de la Direction générale de la santé (DGS), elle-même suspendue à la Commission européenne, la plupart des logiciels officinaux n’ont pas encore été adaptés à la sérialisation.

Pas de blocage

« On a préparé la mécanique des logiciels mais on n’a pas fait l’intégration » dans les systèmes informatiques existants dans les officines, explique Denis Supplisson, directeur général délégué de Pharmagest, numéro un français des éditeurs de logiciels officinaux. En outre, le défi logistique est particulièrement criant pour les pharmacies hospitalières, qui demandent à pouvoir scanner les codes par carton ou palette, en raison des volumes importants de médicaments qu’elles réceptionnent.

La sérialisation à la boîte, « c’est du boulot et des dépenses en plus », assure Christophe Bazin, pharmacien-gérant à la Clinique de l’Europe à Amiens, interrogé par l’AFP, évaluant à « une heure par jour » le temps de travail supplémentaire liée à cette tâche dans son établissement. Un blocage de la distribution de médicaments n’est toutefois pas à craindre. « Les autorités prendront en compte le fait que les éditeurs de logiciels œuvrent activement pour réaliser les développements informatiques adéquats et qu’un délai d’implémentation dans toutes les pharmacies d’officine sera nécessaire », a indiqué la DGS à l’AFP. Elle souligne en outre qu’il reste encore beaucoup de médicaments non sérialisés à écouler, ce qui « permet d’accorder un délai supplémentaire aux pharmaciens pour la mise en place complète du dispositif ».

De la production jusqu’au patient, le nouveau dispositif nécessite des changements organisationnels : adaptation des lignes de production pour la mise en place de l’identifiant unique et du dispositif antieffraction et adaptation des systèmes informatiques de l’ensemble des professionnels du médicament. « Cette amélioration de la chaîne de distribution du médicament en France renforcera la sécurité des médicaments dispensés aux patients », insiste le ministère. L’ensemble des acteurs du circuit du médicament, ainsi que le ministère des Solidarités et de la Santé, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et les Agences régionales de santé (ARS), « sont pleinement engagés dans la réussite de ce projet. Cette mobilisation sans précédent s’inscrit dans un mouvement international de sécurisation du circuit du médicament ».

Copyright © AFP : « Tous droits de reproduction et de représentation réservés ». © Agence France-Presse 2019


On vous accompagne

Retrouvez les dernières fiches sur la thématique « Santé »

Voir toutes les ressources numériques Santé