La réindustrialisation de la France passera par sa commande publique

Publiée le 2 février 2023 à 9h30 - par

Ce titre, à lui seul, interpellera sans nul doute nombre de lecteurs de cette tribune. Ces derniers m'expliqueront que c'est impossible et que le droit de la commande publique européen et national ne permet en aucun cas de favoriser, d'une quelconque manière, la production nationale.
La réindustrialisation de la France passera par sa commande publique

Je leur répondrai bien sûr oui sur ce dernier point et non sur le premier. J’aurai ainsi loisir de reprendre cette citation de Marck Twain : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Une phrase, qui probablement inspire quotidiennement nos amis allemands qui consacrent en valeur 49 % de leur commande publique à leurs TPE et PME ou encore belges à hauteur de 37 % alors que nous sommes en France à peine à 30 % sous réserve que ces chiffres soient d’ailleurs fiables (Cf. Achat public : 100, 200 ou 300 milliards d’euros ?).

Une première analyse qui invite à clarifier ou du moins préciser le lien entre TPE-PME et réindustrialisation. Il n’y a en effet concernant le lien entre emplois industriels et commande publique aucune statistique fiable.

Commande publique : TPE-PME et/ou réindustrialisation ?

Les débats actuels sur les retraites et de manière général sur le financement de la protection sociale devraient davantage intégrer les enjeux liés aux actifs tant en termes de qualité d’emploi que de quantité et ce à toutes les périodes de la vie. Le débat sur l’emploi des seniors en est un exemple. Posons ainsi clairement sur la table le sujet des recettes et non uniquement des dépenses.

Des recettes susceptibles de croître par un emploi plus important, un emploi plus qualifié, un emploi davantage rémunéré et des conditions de travail adaptées sur l’ensemble de la vie professionnelle. Le développement économique notamment par une réindustrialisation massive et une véritable souveraineté est ainsi l’enjeu clé sous-jacent.

Accroître en montant, plus qu’en nombre d’ailleurs, la part des TPE-PME dans la commande publique a ainsi vocation principale à soutenir l’emploi, l’innovation et la création d’entreprises. Cette voie est naturellement indiscutable et a fait l’objet de nombreuses initiatives politiques et réglementaires.

Accroître, par le soutien à l’industrie ou à la réindustrialisation, la part de produits ou services « made in France » est, quant à elle, davantage de nature à assurer et développer les expertises et compétences industrielles et à garantir sur le long terme la souveraineté nationale.

En considérant que pour réussir ce pari de la réindustrialisation, les entreprises françaises et européennes devront entreprendre un double processus de transformation numérique et environnementale, le lien avec les TPE-PME peut être établi. Cette analyse est essentielle car elle doit permettre, même si parfois les enjeux peuvent se recouper, de distinguer les politiques publiques en faveur des entreprises (taille et emplois) et celles en faveur de l’origine des produits, services et données (création, gestion et hébergement). L’arrêté n° ECOM2235715A du 22 décembre 2022 qui procède à la fusion des données du recensement et des données essentielles des marchés publics, avec une liste d’un maximum de 45 données intitulée « données essentielles des marchés publics », intègre d’ailleurs désormais une exigence relative à la part des produits issus de l’Union européenne dont la part des produits français pour quatre familles de produits (article 1er I 16°).

La commande publique doit donc concomitamment accompagner les deux stratégies et ce sur le long terme. Une avancée qui doit permettre une bonne fois pour toute de dissocier les termes de « souveraineté » et de « protectionnisme ».

Une réindustrialisation française et européenne indispensable

Une véritable politique de réindustrialisation (indépendamment d’ailleurs de la nationalité de l’entreprise) permet d’activer des leviers économiques mais aussi environnementaux, sociaux et sécuritaires. Acheter européen et plus encore français, c’est :

  • restituer 70 % de la valeur en Europe, contre seulement 15 % dans le cadre d’importations extra-européennes ;
  • réduire notre empreinte carbone. Shenzhen – Paris c’est 9 600 km par avion, 12 000 km en transport routier, et 20 000 km par bateau ;
  • rappeler qu’un emploi industriel en Europe génère au moins trois emplois indirects.

C’est aussi assurer notre sécurité en termes d’approvisionnement de produits, de données et in fine notre souveraineté alimentaire, sanitaire, numérique, ou encore financière. C’est aussi assurer une approche sociale et environnementale conforme à notre histoire, à notre culture et aux attentes légitimes du citoyen (financement des systèmes sociaux, rémunération, déontologie, éthique, écologie…).

Une réindustrialisation française à réfléchir dans la durée

La crise sanitaire et plus encore la gestion de la production et disponibilité de masques et autres équipements de protection individuelle (EPI) auront démontré les limites d’une politique industrielle basée davantage sur l’amorçage que sur la pérennisation de l’activité. Les approches initiées dès 2012 sur l’innovation ou plus récemment dans le cadre de France 2030 en attestent. Avec 54 milliards d’euros, ce plan doit en effet permettre de rattraper le retard industriel français, d’investir massivement dans les technologies innovantes ou encore de soutenir la transition écologique. Ce plan demeure toutefois insuffisant sur l’accompagnement des entreprises concernées.

Cet investissement, au même titre que celui opéré récemment sur les sites français de production de masques, sera potentiellement vain si cette production n’est pas d’abord soutenue par un volume de commandes régulier et significatif notamment grâce à la commande publique. Investir dans les entreprises sans investir dans sa commande nationale est inutile car le développement international d’une entreprise repose aussi fortement sur sa crédibilité sur son marché natif.

Une commande publique importante et ainsi en première ligne

Tout le monde est d’accord pour produire en France mais pas toujours pour acheter français !

  • Penser que le citoyen, consommateur, pourra à lui seul soutenir l’industrie française est une erreur qui plus est dans un contexte de contrainte économique forte.
  • Penser que le secteur privé, dans l’environnement concurrentiel que nous connaissons, pourra à lui seul soutenir l’industrie française est une erreur.

L’État, les collectivités territoriales et les établissements de santé ont un rôle clé à jouer tant en termes de commandes que d’exemplarité. La commande publique est une dépense annuelle « contrainte ». Il y a eu et il y aura toujours une dépense publique et des acheteurs publics. Nous n’avons ainsi pas besoin d’emprunter pour réindustrialiser mais d’acquérir auprès de fournisseurs qui produisent en France ou en Europe le cas échéant, pour soutenir et accélérer notre développement industriel.

Aucun site de production ne peut se développer sans un flux de commandes important et pérenne. Cette pérennité est le gage du développement des co-traitants et sous-traitants mais aussi du développement des formations et des expertises parfois abandonnées ou perdues (Cf. Achat public et souveraineté… risque ou opportunité historique ?).

Les orientations concrètes à prendre

Réindustrialiser notre pays et accroître le pouvoir d’achat via notre commande publique passera par les quatre leviers suivants :

  • Mettre l’achat public au cœur des priorités de l’État (gouvernance et pilotage) avec la nomination d’un délégué interministériel à la commande publique ;
  • En finir avec les incertitudes sur le poids de la commande publique par des dispositions plus larges et plus fortes en matière de données essentielles et d’open data (obligation sous les 40 000 € HT) ;
  • Simplifier plus encore et adapter le droit de la commande publique par une expérimentation liée à la création de marchés publics de souveraineté ;
  • Mobiliser les centrales d’achat mais aussi les acheteurs de taille importante par une communication régulière et précise de leur empreinte économique, environnementale et sociétale et par de plus grandes exigences en termes de statut et de labellisation RFAR ;
  • Élargir le champ d’exclusion des marchés publics prévu à l’article L. 2141-1 du Code de la commande publique aux obligations existantes ou attendues en termes de partage de la valeur ou encore d’emplois des seniors.

Un changement de paradigme qui repose plus que jamais sur une meilleure maîtrise des données liées à la commande publique et à ses impacts.

La nécessité de mieux appréhender les entreprises, leur capital et leur empreinte économique et sociale ainsi qu’une meilleure précision dans l’origine des produits et services sont devenues aujourd’hui pour tous les acheteurs publics et plus particulièrement pour les opérateurs principaux, une priorité.

En conclusion, mesurer, évaluer, piloter, mobiliser, encourager et faciliter ! L’évolution du droit de la commande publique ne doit plus être l’excuse pour ne pas agir et faire évoluer culture achat et pratiques.

Sébastien Taupiac,
Directeur du développement de Verso Healthcare et administrateur de l’APASP

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Fondée en 1962, l’Association Pour l'Achat dans les Services Publics est une association nationale, sans but lucratif. Depuis sa création, l’APASP s’affirme comme un « club » d’acheteurs dont la vocation est de favoriser l’échange d’informations et d’expériences mais aussi de former les acteurs de la commande publique. Forte de ses 2 000 adhérents, l’APASP s'est donnée pour mission de professionnaliser l’achat public pour la reconnaissance du métier d’acheteur. Pour en savoir plus : www.apasp.com/

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