La question du harcèlement en milieu scolaire
En France, c’est Éric Debarbieux, universitaire et créateur de l’Observatoire international de la violence scolaire, qui a, par son action opiniâtre, permis la pleine prise en compte du harcèlement en milieu scolaire.
La définition du harcèlement
La définition de Dan Olweus est reprise par la plupart des spécialistes : « Un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d’un ou plusieurs élèves. Il s’agit d’une situation intentionnellement agressive, induisant une relation d’asservissement psychologique qui se répète régulièrement. »
Cette violence :
- repose sur un abus de pouvoir, un rapport de force et de domination asymétrique ;
- se fonde sur le rejet de la différence et sur la stigmatisation de certaines caractéristiques (physique, genre et préjugés sexistes liés, handicap…).
Remarque
Si les bagarres et les disputes entre élèves font partie du quotidien scolaire, on considère qu’il y a harcèlement lorsque la victime se trouve dans une situation de domination et surtout de répétition.
Le harcèlement physique
Il se manifeste par :
- des bousculades ;
- des tapes, pincements, tirage de cheveux ou d’oreille… ;
- des jets d’objets pendant certains cours ;
- des bagarres organisées par un ou plusieurs meneurs ;
- des vols et rackets ;
- la dégradation de matériel scolaire ou de vêtements ;
- l’enfermement dans un local ;
- des violences à connotation sexuelle : voyeurisme dans les toilettes, déshabillage et/ou baisers forcés, gestes déplacés… ;
- des « jeux » dangereux effectués sous la contrainte.
Remarque
Les garçons ont plus facilement recours à la force physique pour impressionner leur victime.
Mais sur Internet, filles et garçons utilisent les mêmes procédés de rumeurs.
Le harcèlement moral
On distingue trois types de harcèlement moral :
- le harcèlement verbal : insultes répétées, surnoms dévalorisants, moqueries ;
- le harcèlement émotionnel : humiliation, discrimination, exclusion, chantage, propagation de fausses rumeurs… ;
- le harcèlement sexuel : provocations sexuelles verbales, gestes déplacés.
La spécificité du cyberharcèlement
Le « cyberharcèlement » ou « cyberbullying » est une variante récente du harcèlement.
Il repose sur l’usage d’Internet et des nouvelles technologies de l’information.
Ce mode de harcèlement dépasse le cadre du collège ou du lycée et peut envahir toute la vie de la victime. Celle-ci éprouve un sentiment d’insécurité, sans pouvoir nécessairement identifier son harceleur.
Les manifestations du cyberharcèlement :
- moqueries en ligne ;
- propagation de rumeurs par téléphone mobile ou Internet ;
- création, sur un réseau social, d’une page ou d’un profil à l’encontre d’une personne ;
- envoi de photographies humiliantes ou sexuellement explicites ;
- publication d’une vidéo de la victime en mauvaise posture ;
- envoi de messages injurieux ou menaçants par SMS ou courrier électronique.
Trois zones sensibles : l’internat et le lycée professionnel… et Internet
Il est assez difficile d’avoir une idée précise de l’ampleur du phénomène : il oscille entre le fonctionnement à bas bruit et le coup de tonnerre. Le sondage Sivis (cf. Violence dans les établissements : où en est-on ?) est peu fiable en ce qui concerne le harcèlement : il ne s’agit que d’un sondage et les événements signalés le sont par les chefs d’établissement. Menées en collège et en lycée, les enquêtes de victimation sont plus fiables, puisque ce sont les élèves eux-mêmes qui s’expriment : les unes et les autres, avec une relative stabilité, sont plutôt rassurantes : selon les dernières connues, 94 % des élèves de collège et de lycée déclarent « se sentir bien » dans leur établissement, mais 5,6 % en collège et 1,36 % en lycée déclarent avoir été victimes de harcèlement, dans les deux cas, légèrement plus de garçons que de filles.
Au-delà de ces chiffres globaux, plusieurs paramètres permettent de préciser les choses et d’améliorer la prévention. D’abord, l’importance relative de la cyberviolence, qui ne va pas toujours jusqu’au harcèlement, mais qui peut être dévastatrice : en 2017, 18 % des collégiens déclarent avoir subi au moins une atteinte via les réseaux sociaux ou par téléphone portable (usurpation d’identité, vidéos humiliantes ou diffusion de rumeurs). Ils sont aussi 11 % à déclarer avoir été insultés ou humiliés via ces nouvelles technologies. Pour 7 % des collégiens, le nombre d’atteintes déclaré peut s’apparenter à du « cyberharcèlement ». Il est davantage subi par les filles (8 % contre 6 % pour les garçons) et les élèves de troisième. En lycée, c’est le cas de 16 % des élèves.
Ensuite, après l’Internet, l’internat en lycée : si 91 % des élèves déclarent s’y trouver bien, les internes se déclarent plus souvent que les externes victimes de violence et, notamment, de harcèlement (cf. Tab.1). Sans doute parce que leur vie, plus que celle des externes, est une « vie scolaire », et les CPE doivent y être particulièrement attentifs.
Enfin, les élèves de lycée professionnel ont globalement une moins bonne perception du climat scolaire que ceux des collèges et des lycées d’enseignement général et technologique (LEGT), et sont plus exposés aux faits de violence que les collégiens et les élèves de LEGT (cf. Tab.1). C’est particulièrement le cas du harcèlement, notamment pour les internes.
Tab. 1 - Proportion d’élèves déclarant des violences (source : DEPP, Note d’information n° 20.19) | Ensemble des lycées | Lycées professionnels |
Ensemble des lycéens | Externes | Demi-pensionnaires | Internes | Ensemble des lycéens | Externes | Demi-pensionnaires | Internes |
Mise à l’écart | 35,2 | 33,5 | 35,1 | 39,5 | 33,2 | 30,8 | 33,7 | 37,1 |
Surnom désagréable | 27,0 | 25,2 | 26,4 | 34,1 | 28,7 | 24,6 | 28,9 | 34,0 |
Moquerie de la bonne conduite en classe | 22,4 | 21,3 | 22,1 | 26,2 | 24,1 | 22,7 | 25,1 | 25,9 |
Insulte | 21,7 | 20,7 | 20,8 | 28,7 | 26,2 | 23,7 | 27,1 | 28,9 |
Insulte sexiste | 10,5 | 10,1 | 10,5 | 10,3 | 8,3 | 9,4 | 6,4 | 9,2 |
Sentiment d’humiliation | 10,1 | 9,2 | 9,7 | 12,8 | 10,7 | 10,6 | 10,0 | 11,2 |
Insulte par rapport à l’origine ou la couleur de peau | 7,1 | 8,4 | 6,2 | 7,3 | 8,6 | 8,6 | 8,9 | 7,7 |
Insulte homophobe | 3,9 | 3,2 | 3,8 | 5,6 | 4,9 | 4,1 | 4,9 | 5,7 |
Insulte par rapport au lieu de résidence | 3,5 | 3,4 | 3,2 | 5,5 | 4,3 | 4,1 | 4,4 | 4,7 |
Insulte à propos de la religion | 3,1 | 4,5 | 2,4 | 2,4 | 4,4 | 5,4 | 3,9 | 2,6 |
Bousculade | 8,8 | 8,3 | 8,5 | 11,4 | 11,4 | 10,2 | 11,5 | 14,3 |
Menace | 6,6 | 6,7 | 6,0 | 8,9 | 8,6 | 7,9 | 7,7 | 10,9 |
Cible de lancers d’objets | 4,4 | 4,6 | 4,0 | 5,8 | 6,2 | 4,6 | 6,5 | 7,7 |
Coup | 3,2 | 3,3 | 2,8 | 4,3 | 4,7 | 4,6 | 4,4 | 5,7 |
Menace avec arme | 1,4 | 1,8 | 1,1 | 1,7 | 2,3 | 2,2 | 1,9 | 2,3 |
Blessure par arme | 0,9 | 1,1 | 0,8 | 0,7 | 1,5 | 1,2 | 1,7 | 1,5 |
Vol de fournitures scolaires | 35,8 | 34,7 | 36,2 | 34,6 | 34,1 | 31,9 | 36,2 | 33,9 |
Vol d’objets personnels | 12,9 | 10,5 | 12,0 | 26,7 | 15,8 | 10,5 | 15,1 | 29,0 |
Vol d’argent | 6,4 | 5,8 | 5,4 | 15,8 | 8,9 | 7,3 | 7,7 | 17,4 |
Dégradation accessoires personnels | 4,1 | 4,0 | 3,7 | 6,4 | 5,6 | 4,6 | 5,6 | 7,6 |
Racket | 1,2 | 1,5 | 0,9 | 1,0 | 2,1 | 1,7 | 2,1 | 2,5 |
Victime d’un comportement déplacé à caractère sexuel | 6,6 | 6,5 | 6,3 | 7,0 | 5,1 | 4,4 | 5,4 | 4,9 |
Victime de violences graves à caractère sexuel | 1,6 | 1,7 | 1,3 | 2,6 | 2,4 | 2,4 | 1,8 | 2,9 |
Agressé ou frappé pour des raisons sexistes | 1,6 | 1,3 | 1,5 | 2,2 | 3,2 | 3,1 | 3,5 | 2,9 |
Agressé ou frappé pour des raisons homophobes | 0,8 | 0,8 | 0,8 | 1,4 | 1,7 | 1,4 | 2,2 | 1,5 |
Avoir le sentiment d’être victime de harcèlement | 8,7 | 8,0 | 8,3 | 12,5 | 11,5 | 9,7 | 12,3 | 14,1 |
Jurisprudence
Le harcèlement n’est pas toujours identifié à sa juste mesure par les personnels des établissements scolaires. Le cas de jurisprudence évoqué ci-dessous montre à quel point les équipes doivent être attentives à ce phénomène.
Une élève de quatrième se suicide par pendaison le 13 février 2013 à la suite d’un harcèlement persistant d’élèves de sa classe, en l’occurrence des injures sur les réseaux sociaux. L’instruction judiciaire met en évidence l’intensité des messages agressifs depuis un mois, des injures dans la cour, et une menace physique par un attroupement de collégiens en cours d’éducation physique et sportive (EPS) en présence du professeur.
Les parents de l’élève soutiennent qu’ils ont alerté l’établissement dès octobre 2012, demandé au chef d’établissement et au professeur principal que des mesures soient prises, et sollicité en novembre le changement de classe de leur fille. Ils affirment que le chef d’établissement s’est contenté de leur tenir des propos rassurants, sans prendre de mesures fermes.
Ils sollicitent notamment la condamnation de l’État à verser la somme de 410 000 € « en réparation des préjudices ».
Dès lors, le tribunal administratif de Versailles recherche précisément quelles actions ont été menées face aux faits évoqués, et s’applique à déterminer les responsabilités.
Il atténue la responsabilité de l’établissement, puisqu’une large partie des faits s’est déroulée hors de la surveillance de l’établissement (harcèlement en ligne), mais retient toutefois la responsabilité partielle de l’État dans le suicide de la jeune fille.
Il condamne l’État, par un arrêt du 26 janvier 2017, à verser 18 000 € à la famille.
A noter
Sur le plan juridique, depuis la
loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019
, le droit de l’élève à une scolarité sereine est désormais inscrit dans la loi : « Aucun élève ne doit subir, de la part d’autres élèves, des faits de harcèlement ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’apprentissage susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité ou d’altérer sa santé physique ou mentale » (
C. éduc., art. L. 511-3-1
). À charge d’y veiller, non seulement pour le chef d’établissement, mais pour tous les membres de l’équipe éducative…