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CAA de NANTES, 4ème chambre, 15/12/2015, 13NT01149, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. LAINE

Rapporteur : M. Bernard MADELAINE

Commissaire du gouvernement : M. GAUTHIER

Avocat : CABANES


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Centre national de la recherche scientifique et l'Université Pierre et Marie Curie ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner les sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec à leur verser la somme de 9 772 161 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 26 janvier 2009, date de la demande préalable d'indemnisation, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisés, en réparation des préjudices subis du fait de la panne qui a affecté le congélateur mis à leur disposition.

Par un jugement n° 0903129 du 21 février 2013, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 avril 2013, le 3 mars 2015 et le 19 novembre 2015, le Centre national de la recherche scientifique et l'Université Pierre et Marie Curie, représentés par Me E...B..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 février 2013 ;

2°) de condamner les sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec à leur verser la somme de 9 772 161 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 26 janvier 2009, date de la demande préalable d'indemnisation ;

3°) si nécessaire, d'ordonner une expertise pour permettre de déterminer avec précision les préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge des sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :
- le CNRS est recevable à rechercher la responsabilité contractuelle des sociétés mises en cause ;
- la responsabilité contractuelle des sociétés est engagée : en raison de la méconnaissance des délais de livraison du congélateur, faute qui peut être invoquée pour la première fois en appel, et de ce que l'appareil mis à disposition en attente était dépourvu d'un système d'alarme opérationnel ;
- en tout cas, la garantie des vices cachés trouverait à s'appliquer ;
- le lien de causalité est établi entre les défectuosités du congélateur et la perte des échantillons stockés ;
- à titre subsidiaire, ils peuvent rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des sociétés ;
- le préjudice est établi, sauf à parfaire l'information de la cour par l'organisation d'une expertise sur ce point.


Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 octobre 2013 et le 4 mai 2015, les sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec, représentées par Me C...F..., concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du CNRS et de l'Université Pierre et Marie Curie la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :
- l'action du CNRS, agissant pour le compte de l'Université, n'est pas recevable ;
- le CNRS n'est pas partie au contrat ;
- les fautes contractuelles invoquées ne sont pas établies ; le retard dans la livraison est en outre une demande nouvelle en appel ; et ce retard n'est pas la cause déterminante du sinistre ;
- la cause du sinistre n'est pas établie ;
- aucune réserve n'a été émise lors de la livraison ;
- la responsabilité pour vice caché ne peut être engagée ;
- les préjudices sont grossièrement surévalués ;
- dès lors que les échantillons ont été détruits, une expertise ne saurait être organisée.


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Madelaine,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- les observations de MeB..., représentant le Centre national de la recherche scientifique et l'Université Pierre et Marie Curie, et de MeD..., représentant la société Fisher Scientific Bioblock et la société Avantec.





1. Considérant que, par avis de publicité du 2 octobre 2007, la station biologique de Roscoff, placée sous la tutelle conjointe du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et de l'Université Pierre et Marie Curie (UPMC), a déclaré envisager l'acquisition d'un congélateur grand froid pour l'Unité Mixte de recherche n° 7144 " Adaptation et diversité en milieu marin ", pour assurer la conservation d'une collection d'échantillons d'organismes vivants rares provenant de plusieurs recherches scientifiques internationales réalisées dans des milieux marins extrêmes ; qu'il s'est porté acquéreur auprès de la société Fisher Scientific Bioblock d'un congélateur - 86°C série 900 d'un volume de 793 litres, cette dernière s'étant engagée en outre dans son offre à mettre à disposition à titre gracieux entre la prise de commande et la livraison, un congélateur de prêt - 86°C d'un volume de 370 litres, lequel a été amené le 22 novembre 2007 par la société Avantec, en charge du service après-vente pour le compte de la société Fisher Bioblock ; que le 8 janvier 2008, le personnel de l'unité a constaté l'état de putréfaction de l'ensemble des échantillons conservés dans le congélateur de prêt à la suite d'une panne de celui-ci ; que le CNRS et l'UPMC relèvent appel du jugement du 21 février 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que les sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec soient condamnées à leur verser la somme de 9 772 161 euros augmentée des intérêts de droit à compter du 26 janvier 2009, date de la demande préalable d'indemnisation, sur le fondement, à titre principal, de la responsabilité contractuelle, à titre subsidiaire, de la garantie des vices cachés et de la responsabilité quasi-délictuelle ;

En ce qui concerne la responsabilité contractuelle :

2. Considérant, en premier lieu, que le bon de commande du congélateur, objet de l'offre de la société Fisher Scientific Bioblock, a été émis par le président de l'UPMC, et que sa prise en charge comptable incombe à l'agent comptable de l'université ; qu'en outre, aucun contrat n'a été conclu avec la société Avantec ; que, dans ces conditions, en l'absence de contrat passé entre la société Fisher Scientific Bioblock et le CNRS, et entre la société Avantec et les requérants, seule l'UPMC peut rechercher la responsabilité contractuelle de la seule société Fisher Scientific Bioblock ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que si l'offre de la société Fisher Scientific Bioblock comportait, s'agissant du congélateur de 793 litres, des spécifications techniques très précises, notamment en matière de systèmes d'alarme, ainsi qu'une garantie de vingt-quatre mois, cette offre, s'agissant du congélateur de prêt, mentionnait exclusivement " à réception de commande, nous vous confirmons mettre à votre disposition un congélateur - 86°C volume 370 litres jusqu'à livraison de l'appareil " ; qu'un congélateur de prêt a bien été mis à disposition de l'UMR n° 7144 le 22 novembre 2007, répondant à ces caractéristiques, puis installé le 5 décembre 2007 par le responsable maintenance de la station biologique de Roscoff, qui n'a émis aucune réserve ; qu'il n'est pas contesté que le congélateur fonctionnait normalement en descendant bien en température à - 80°C ; que ce fonctionnement normal est avéré au moins jusqu'au 26 décembre 2007 par le responsable de la maintenance, qui l'a constaté lors d'une ronde alors effectuée ; que, dans ces conditions, l'UPMC n'est pas fondée à soutenir que la société Fisher Scientific Bioblock aurait manqué à une de ses obligations contractuelles, concernant le congélateur mis à disposition à titre gracieux ;

4. Considérant, en troisième lieu, que l'UPMC soutient que le préjudice dont elle demande réparation trouverait son origine dans le retard avec lequel le congélateur neuf commandé lui a été livré ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que l'offre de la société Fischer Scientific Bioblock précisait que la livraison était envisagée à échéance de dix semaines à compter du 17 octobre 2007, soit au plus tôt le 27 décembre 2007, et qu'un congélateur de dépannage serait mis gratuitement à disposition à réception de la commande jusqu'à la livraison du nouvel appareil ; que, dès lors, si le bon de commande fait état d'une livraison au 10 novembre 2007, cette date ne peut qu'être relative à la mise à disposition du congélateur prêté, lequel a d'ailleurs été réceptionné le 22 novembre suivant ; qu'ainsi, le préjudice subi ne peut être sérieusement imputé, en tout état de cause, à un non respect fautif de l'engagement relatif à la date de livraison de l'appareil commandé ;

En ce qui concerne la garantie des vices cachés :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 1641 du code civil : " Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus " ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment de la note d'expertise technique réalisée le 7 mars 2008 à la demande de la compagnie Ace Europe, ainsi que du constat d'huissier dont se prévalent les requérants, que la carte électronique commandant l'alarme numérique du congélateur de prêt était visiblement hors d'usage ; qu'en outre, le responsable maintenance de la station biologique de Roscoff, frigoriste de formation, lorsqu'il a installé ledit congélateur, n'a réalisé aucun test d'alarme ; qu'ainsi, outre que la défectuosité de l'alarme ne rendait pas le congélateur impropre à sa destination normale, elle pouvait être aisément décelée dès la mise en service de l'appareil par la station biologique de Roscoff, qui disposait d'un personnel spécialiste du froid ; qu'il résulte de ce qui précède que les conditions d'engagement de la garantie par le vendeur des vices cachés de la chose vendue, à la supposer applicable à un appareil prêté à titre gracieux en attente de la livraison d'un appareil acheté, ne sont en tout état de cause pas réunies ;

En ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle :

7. Considérant que les requérants font valoir que les sociétés Fisher Scientific Bioblock et Avantec ont commis une faute en leur livrant un congélateur défectueux, dont la panne est à l'origine de la perte de l'ensemble des échantillons maritimes qui y étaient stockés ;

8. Considérant, en premier lieu, que l'UPMC, qui était liée contractuellement à la société Fisher Scientific Bioblock, ne peut exercer à son encontre, en raison du préjudice dont elle demande réparation, d'autre action que celle procédant de ce contrat ; qu'elle n'est ainsi pas recevable à invoquer sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle les prétendues fautes commises par Fisher Scientific Bioblock dans l'exécution de ses obligations ;

9. Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que l'appareil en cause a été livré à la station biologique de Roscoff sans qu'aucune réserve ne soit formulée ; que, d'ailleurs, le congélateur de prêt fonctionnait normalement lors de sa mise en service, le responsable du service maintenance de la station biologique de Roscoff l'ayant installé le 5 décembre et l'ayant testé pendant deux semaines avant d'autoriser le laboratoire d'écophysiologie à y déposer les échantillons biologiques, après avoir constaté que la température de consigne avait été atteinte ; que la défectuosité du système d'alarme était facilement repérable ainsi qu'il a été dit au point 6 du présent arrêt ; que le responsable du service maintenance n'a pourtant pas jugé utile, au vu de l'état de l'appareil livré, de réaliser un test d'alarme ni de vérifier, une fois le congélateur raccordé à l'alimentation électrique, que le voyant " power " de l'afficheur numérique était allumé ou éteint, et ce alors même que la station ne dispose d'aucune alerte centralisée et que l'ensemble du dispositif de surveillance repose sur les alarmes individuelles de chaque appareil ; qu'en outre, il résulte également de l'instruction qu'un système de rondes a en principe été mis en place par le centre biologique de Roscoff, effectuées par le personnel du service maintenance et surveillance interne ainsi que par une société de gardiennage privée, sept jours sur sept, week-end et congés inclus, et que ces rondes ont justement pour objet de vérifier la température des congélateurs ; qu'une éventuelle élévation anormale de la température au sein de l'appareil pouvait être facilement décelée par examen de l'afficheur analogique de température qui était opérationnel ; qu'enfin, s'il résulte de l'instruction que c'est bien une panne du congélateur qui est à l'origine du préjudice subi, panne constatée lors des opérations d'expertise menée à l'initiative de l'assureur de la société Avantec, la cause exacte de l'arrêt du congélateur n'a pas pu être identifiée ; que, dans ces conditions, le CNRS et l'UPMC n'établissent pas que les préjudices qu'ils déclarent avoir subis sont liés de manière directe et certaine à des manquements commis par les sociétés mises en cause ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la recevabilité des conclusions présentées en première instance par l'UPMC, que le CNRS et l'UPMC ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché ni de l'omission à statuer, ni de l'insuffisance de motivation, ni de la contradiction de motifs alléguées, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11 Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le CNRS et l'UPMC doivent, dès lors, être rejetées ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner conjointement le CNRS et l'UPMC à payer aux sociétés Fischer Scientific Bioblock et Avantec une somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :
Article 1er : La requête du Centre national de la recherche scientifique et de l'Université Pierre et Marie Curie est rejetée.
Article 2 : Le Centre national de la recherche scientifique et l'Université Pierre et Marie Curie verseront solidairement une somme globale de 2 000 euros aux sociétés Fischer Scientific Bioblock et Avantec en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au Centre national de la recherche scientifique, à l'Université Pierre et Marie Curie, à la société Fisher Scientific Bioblock et à la société Avantec.



Délibéré après l'audience du 24 novembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Loirat, président-assesseur,
- M. Madelaine, faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique, le 15 décembre 2015.

Le rapporteur,
B. MADELAINE Le président,
L. LAINÉ

Le greffier,
M. A...


La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT01149



Source : DILA, 20/01/2016, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Nantes

Date : 15/12/2015