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Cour administrative d'appel de Paris, 9ème Chambre, 31/12/2014, 13PA00914, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme MONCHAMBERT

Rapporteur : M. David DALLE

Commissaire du gouvernement : Mme ORIOL

Avocat : DUBREUIL


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 8 mars 2013, présentée pour Mme A...B..., demeurant..., par Me Dubreuil, avocat ; Mme B...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1113351/5-1 en date du 6 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 juillet 2011 du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration l'excluant de ses fonctions pour une durée de 18 mois, dont 12 mois avec sursis, à titre de sanction disciplinaire, et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant de cette sanction ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme globale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de son préjudice matériel ;

4°) de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner l'Etat aux dépens ;

..................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 86-592 du 18 mars 1986 ;

Vu l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 27 novembre 2014 :

- le rapport de M. Dalle, président,

- les conclusions de Mme Oriol, rapporteur public,

- et les observations de Me Dubreuil, pour MmeB..., et de M.C..., représentant le ministre de l'intérieur ;

1. Considérant que MmeB..., entrée en 2006 dans la police nationale et titularisée le 1er août 2008 dans le corps des adjoints administratifs de l'intérieur, a, à la suite de la publication en octobre 2010 d'un livre intitulé " Omerta dans la police - abus de pouvoir, homophobie, racisme, sexisme ", dont elle était coauteur, fait l'objet en 2011 d'une procédure disciplinaire ; que, par arrêté du 26 juillet 2011, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration l'a exclue de ses fonctions pour une durée de 18 mois, dont 12 mois avec sursis, au motif qu'elle avait manqué à son obligation de réserve ; qu'elle relève appel du jugement du 6 décembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices résultant de la sanction ainsi prononcée ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant que les allégations de la requérante quant à la virulence dont aurait témoigné à son égard la commissaire de police ayant rédigé les " conclusions administratives " au vu desquelles la procédure disciplinaire a été engagée ne sont étayées d'aucune justification ; que la circonstance que ce commissaire de police ait eu antérieurement à connaître d'une procédure judiciaire ouverte à l'encontre de Mme B...pour violation du secret professionnel n'implique pas qu'elle aurait eu un comportement partial à son égard ; qu'il n'est pas non plus établi que ce commissaire aurait, dans les conclusions susmentionnées, délibérément imputé à Mme B...une faute, que celle-ci affirme n'avoir pas commise, tenant à l'utilisation illicite de sa carte professionnelle ; qu'il ne ressort pas de l'examen de ces " conclusions administratives " qu'elles comporteraient des incohérences, révélatrices d'un parti pris ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la procédure disciplinaire serait entachée de partialité ne peut qu'être écarté ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques : " 1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions. / 2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. / 3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui; / b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. " ; qu'aux termes de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière (...) / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire " ; d'autre part, qu'aux termes de l'article 11 du décret du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale : " Les fonctionnaires de police peuvent s'exprimer librement dans les limites résultant de l'obligation de réserve à laquelle ils sont tenus et des règles relatives à la discrétion et au secret professionnels " ; que l'article 123-2 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 6 juin 2006, portant règlement général d'emploi de la police nationale, dispose : " Les agents cités à l'article 120-2 ci-dessus du présent règlement général d'emploi sont tenus au respect du secret professionnel ainsi qu'à celui du secret de l'enquête et du secret de l'instruction dans le cadre des textes en vigueur. / Ils s'expriment librement dans les limites qui résultent de l'obligation de réserve à laquelle ils sont soumis et des règles relatives à la discrétion professionnelle qui concerne tous les faits, les informations ou les documents dont ils ont une connaissance directe ou indirecte dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leur profession. En tout temps, en service ou hors service, ils s'abstiennent, en public, de tout acte ou propos de nature à porter la déconsidération sur l'institution à laquelle ils appartiennent (...) " ;

4. Considérant que, contrairement à ce que soutient MmeB..., et eu égard à la nature et à la spécificité des fonctions qui sont confiées à ces agents publics, la restriction apportée à la liberté d'expression des fonctionnaires de police par les dispositions précitées du décret du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale et de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale est nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public au sens des stipulations de l'article 19 du pacte international des droits civils et politiques et poursuit un but légitime au sens de celles de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, les exceptions d'inconventionnalité soulevées à l'encontre de l'article 123-2 de l'arrêté du ministre de l'intérieur du 6 juin 2006 ne peuvent qu'être rejetées ;
5. Considérant qu'il est constant que Mme B...est le coauteur d'un livre édité sous le titre " Omerta dans la police - abus de pouvoir, homophobie, racisme, sexisme " ; que, dans cet ouvrage, qui a fait l'objet d'une large diffusion et dont elle a assuré elle-même la promotion dans plusieurs médias, elle relate, sur un ton polémique et souvent outrancier, son expérience au sein de la direction de la police aux frontières de l'aéroport d'Orly, où elle était affectée, en portant des accusations graves contre des membres de ce service et en critiquant l'administration policière et la politique gouvernementale en matière de police ; que l'ensemble de ces faits, imputables à une fonctionnaire de police qui, ainsi que celle-ci le souligne d'ailleurs elle-même dans l'ouvrage en cause, n'ignorait nullement qu'elle était soumise, en cette qualité, à une obligation de réserve, était de nature à jeter le discrédit sur l'institution policière dans son ensemble et constitue ainsi un manquement grave à cette obligation ;
6. Considérant que si Mme B...se prévaut, pour justifier la publication de l'ouvrage en cause, de son devoir d'alerte, elle n'établit pas, par les pièces produites au dossier, avoir saisi sa hiérarchie, dans les formes requises, des faits qu'elle estimait contraires à l'éthique survenus au sein du service auquel elle appartenait ; qu'il est constant qu'elle n'était pas dépourvue de voies de droit permettant de procéder au signalement des comportements qu'elle s'estimait tenue de dénoncer ; que si elle a saisi, en même temps, d'ailleurs, que d'autres agents du service, le procureur de la République sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, la plainte ainsi déposée n'a concerné qu'un nombre limité des faits relatés dans l'ouvrage ; que si elle a pris l'initiative de saisir la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité de faits d'homophobie, de racisme et de sexisme, tels que ceux visés dans le sous-titre de l'ouvrage, il est constant que la publication de ce dernier est intervenue avant même que la Haute autorité n'ait rendu son avis, comme le met d'ailleurs en évidence la conclusion du dernier chapitre du livre ; qu'il ressort de l'ensemble de ces circonstances que Mme B...ne démontre pas s'être trouvée dans l'impossibilité manifeste d'agir autrement que par la publication de ce livre, dont le contenu, comme la promotion qui en a été faite par ses soins dans les médias, procèdent par ailleurs d'une intention délibérément polémique ;

7. Considérant que si Mme B...se prévaut également de son statut de déléguée syndicale, il n'est pas établi, ni même allégué, qu'elle aurait signé l'ouvrage en question en qualité de représentant syndical ; qu'en tout état de cause, cet ouvrage excède, par son caractère polémique et le discrédit qu'il jette sur l'ensemble des services de police, les limites que les organisations syndicales de la fonction publique doivent respecter en raison de la réserve à laquelle elles sont tenues à l'égard des autorités publiques, alors même que ces limites sont moins strictes que celles s'imposant aux fonctionnaires eux-mêmes ;
8. Considérant que, Mme B...ayant ainsi gravement manqué à son devoir de réserve, le ministre de l'intérieur était fondé à prendre à son égard une sanction disciplinaire ; que, nonobstant les appréciations favorables dont la manière de servir de l'intéressée avait antérieurement pu faire l'objet, il ne ressort pas des pièces du dossier que le ministre de l'intérieur ait infligé à celle-ci, en prononçant son exclusion temporaire de fonctions pour une durée de 18 mois, dont 12 mois avec sursis, une sanction disproportionnée au regard de la gravité des manquements qui lui étaient imputables et ait ainsi entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ; qu'à supposer même que Mme B...ne soit pas responsable de l'utilisation, sur la couverture du livre, d'une reproduction de ce qui constitue, selon le ministre de l'intérieur, sa carte professionnelle de la police nationale, et qu'elle n'ait pas pris part au choix du titre de l'ouvrage, il ressort des pièces du dossier que le ministre aurait pris la même sanction s'il n'avait retenu que les autres griefs ;
Sur les conclusions indemnitaires :

9. Considérant qu'en l'absence d'illégalité fautive de la sanction contestée, les conclusions indemnitaires présentées par Mme B...ne peuvent qu'être rejetées ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le ministre de l'intérieur, que Mme B...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B...demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'aucune circonstance particulière ne justifie qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par Mme B...sur le fondement de l'article R. 761-1 du même code ;

DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
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N° 13PA00914



Abstrats

36-07-11-01 Fonctionnaires et agents publics. Statuts, droits, obligations et garanties. Obligations des fonctionnaires. Devoir de réserve.
36-09-04 Fonctionnaires et agents publics. Discipline. Sanctions.

Source : DILA, 13/01/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Paris

Date : 31/12/2014