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CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 24/09/2015, 13VE01136, Inédit au recueil Lebon

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Président : Mme SIGNERIN-ICRE

Rapporteur : M. Julien LE GARS

Commissaire du gouvernement : Mme MEGRET

Avocat : M.H. ROFFI JURIS CONSEIL


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Vauché a demandé au Tribunal administratif de Versailles :

1° de condamner la société d'économie mixte d'actions pour la revalorisation des déchets et des énergies locales (SEMARDEL) à lui verser la somme de 1 760 270,27 euros en réparation des préjudices résultant pour elle de la résiliation qu'elle estime abusive du marché portant sur la modernisation du centre de tri des emballages ménagers de l'écosite de
Vert-le-Grand ;

2° de mettre à la charge de la SEMARDEL une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1001724 du 28 décembre 2012, le Tribunal administratif de Versailles a condamné la SEMARDEL à verser à la société Vauché la somme de
448 087,10 euros au titre de sa perte de marge nette ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société Vauché ainsi que les conclusions reconventionnelles et les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la société SEMARDEL.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 avril 2013 et 29 décembre 2014, la société d'économie mixte d'actions pour la revalorisation des déchets et des énergies locales (SEMARDEL), représentée par Me Beaulac, avocat, demande à la Cour :

1° à titre principal, d'annuler le jugement n° 1001724 en date du 28 décembre 2012 en tant que le Tribunal administratif de Versailles l'a condamnée à verser à la société Vauché la somme de 448 087,10 euros et de rejeter la demande de la société Vauché ;

2° à titre subsidiaire, de réformer ce jugement en n'allouant aucune indemnité à la société Vauché faute pour elle d'avoir justifié son préjudice ;

3° à titre plus subsidiaire, d'ordonner une expertise afin de chiffrer le préjudice allégué par la société Vauché ;

4° en tout état de cause, de mettre à la charge de la société Vauché la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal,
- le tribunal administratif a omis de soulever les obligations de loyauté qui pesaient sur la société Vauché ;
- dès réception de la lettre de notification du marché en date du 6 février 2008, la société Vauché a commencé à exécuter le marché lors de réunions de conception avec elle, avant d'en bloquer l'exécution ;
- les parties avaient bien conclu un accord de volonté sur la date d'exécution des travaux au 6 février 2008 contrairement à ce qu'a considéré le tribunal administratif ;
- la société Vauché a manqué à ses obligations de loyauté en modifiant unilatéralement le planning prévu pour le marché ;
- les troisième et quatrième paragraphes de la page 13 du mémoire du 3 mai 2013 de la société Vauché présentent un caractère injurieux et outrageant à son encontre et doivent être supprimés ;

- à titre subsidiaire,
- aucune indemnité n'est due à la société Vauché, faute pour elle d'avoir justifié du préjudice que lui aurait causé la résiliation ;
- les frais exposés par la société Vauché au titre de sa candidature ne sauraient être indemnisés du fait de la résiliation ;
- l'attestation invoquée par la société Vauché pour établir son taux de marge nette ne pourra pas être retenue par la Cour ;
- la société Vauché n'établit pas le lien de causalité entre les embauches dont elle fait état et le marché litigieux, pas plus qu'elle n'établit la réalité de la désorganisation dont elle se prévaut ;
- la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive et argumentation légère est irrecevable, faute pour la société Vauché d'avoir lié le contentieux ; en outre, la requérante ne justifie pas du bien-fondé de cette demande ;
- si la Cour ne s'estime pas suffisamment informée, elle pourra ordonner une expertise aux fins de déterminer le préjudice subi par la société Vauché du fait de la résiliation du marché litigieux.
.......................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;
- le décret n° 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;
- le code de justice administrative.


Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Le Gars, président assesseur,
- les conclusions de Mme Mégret, rapporteur public,
- et les observations de Me Beaulac pour la SEMARDEL.


1. Considérant que la société d'économie mixte d'actions pour la revalorisation des déchets et des énergies locales (SEMARDEL), chargée par le syndicat intercommunal pour la revalorisation et l'élimination des déchets et ordures ménagères (SIREDOM) d'une mission de service public portant sur le traitement des déchets, s'est vu confier la modernisation du centre de tri des emballages ménagers de l'écosite de Vert-le-Grand par le SIREDOM, pour le compte duquel elle a engagé une procédure de dialogue compétitif ; qu'au terme de cette procédure, elle a informé la société Vauché, par un courrier du 6 février 2008, que son offre était retenue et qu'elle pouvait commencer l'exécution du marché ; que l'acte d'engagement a été signé par la SEMARDEL le 6 août 2008 et par la société Vauché le 8 septembre 2008 ; que, le
14 novembre 2008, la SEMARDEL a mis la société Vauché en demeure de respecter sans réserve le planning adressé avec l'acte d'engagement prenant en compte l'ordre de service de commencement des travaux au 6 février 2008 ; que, par une décision du 3 décembre 2008, notifiée le 4 décembre 2008, la SEMARDEL a résilié le marché conclu avec la société Vauché, au motif que cette dernière n'avait pas manifesté le souhait de respecter le planning fixé à compter du 6 février 2008 ; que la société Vauché a notifié, le 20 juillet 2009, un mémoire de réclamation préalable à la SEMARDEL, dénonçant le caractère abusif de la résiliation et sollicitant une indemnisation à hauteur de 1 760 270,27 euros ; que la SEMARDEL relève appel du jugement du Tribunal administratif de Versailles du 28 décembre 2012 en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société Vauché la somme de 448 087,10 euros au titre de sa perte de marge nette et a mis à sa charge la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que, par la voie de l'appel incident, la société Vauché demande à la Cour de porter l'indemnité qui lui est due à la somme de 1 725 155,30 euros et, à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour ordonnerait une expertise sur le quantum du préjudice subi par elle, de condamner la société SEMARDEL à lui verser une indemnité provisionnelle de 800 000 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'il n'appartenait pas au tribunal administratif de soulever d'office le moyen, qui n'est pas d'ordre public, tiré de ce que la société Vauché aurait méconnu son obligation de loyauté dans les relations contractuelles ; que, par suite, la SEMARDEL n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'une irrégularité de ce chef ;

Sur le bien-fondé de la résiliation :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 19.11 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, annexé au décret du
21 janvier 1976, applicable au marché conclu entre la SEMARDEL et la société Vauché :
" Le délai d'exécution des travaux fixé par le marché s'applique à l'achèvement de tous les travaux prévus incombant à l'entrepreneur y compris, sauf stipulation différente du marché, le repliement des installations de chantier et la remise en état des terrains et des lieux. / Sauf stipulation différente du marché, le délai part de la date de la notification du marché. Cette notification vaut alors ordre de commencer les travaux. " ; que l'acte d'engagement du marché litigieux stipule que le délai d'exécution des travaux court " à compter de l'ordre de service notifié par le Maître d'ouvrage " ; qu'aux termes de l'article 46 du CCAG susmentionné :
" Il peut être mis fin à l'exécution des travaux faisant l'objet du marché avant l'achèvement de ceux-ci, par une décision de résiliation du marché qui en fixe la date d'effet. (...) Sauf dans les cas de résiliation prévus aux articles 47 et 49, l'entrepreneur a droit à être indemnisé, s'il y a lieu, du préjudice qu'il subit du fait de cette décision. Il doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de quarante-cinq jours compté à partir de la notification du décompte général. " ;

4. Considérant qu'il est constant que l'acte d'engagement du marché litigieux n'a été adressé à la société Vauché que le 5 août 2008 et que cette dernière l'a signé le
8 septembre 2008 ; que si la SEMARDEL a informé la société Vauché par lettre du
6 février 2008 qu'elle était attributaire du marché et lui a indiqué qu'elle pouvait en conséquence procéder au commencement d'exécution dudit marché, il résulte de l'instruction que la phase de mise au point du marché s'est poursuivie ensuite entre les parties jusqu'à l'envoi, le 5 août 2008, de l'acte d'engagement à la société Vauché ; que, si la SEMARDEL a annexé à cet acte un planning prévisionnel des travaux débutant au 6 février précédent, la société a retourné ce planning avec l'acte d'engagement signé en précisant que la date de début des travaux serait fixée par l'ordre de service qu'il appartenait à la SEMARDEL de lui notifier ; que le courrier du 6 février 2008, antérieur à la notification du marché et, par suite, au début des relations contractuelles entre les parties, ne saurait tenir lieu de tel ordre de service par anticipation ; qu'en l'espèce, et en vertu de l'article 19.11 précité du CCAG, à défaut de stipulation différente du marché, le délai d'exécution des travaux a couru à compter de la date de notification du marché ; que le travail préparatoire de la société Vauché et sa participation aux entretiens de précision de certains termes du marché au cours de la période qui s'est écoulée entre le 6 février 2008 et la notification du marché ne sauraient être regardés comme un début d'exécution de ce dernier, lequel aurait d'ailleurs été fautif ; qu'aucun ordre de service de début des travaux n'a été adressé à la société Vauché, pas même sur sa demande du 2 octobre 2008 par laquelle elle proposait à la SEMARDEL de fixer par ordre de service une date de début de travaux avec effet rétroactif au 1er septembre tout en s'engageant à tenir le délai d'exécution de 19 mois et demi au total ; qu'en conséquence, la SEMARDEL n'est pas fondée à soutenir que la société Vauché aurait manqué à son obligation de loyauté en écartant finalement la date de début des travaux au
6 février 2008 mentionnée dans le planning prévisionnel ayant fait l'objet d'échanges entre les parties au cours de la période antérieure à la conclusion du marché, alors que la SEMARDEL a elle-même expressément stipulé dans l'acte d'engagement que la date de début d'exécution serait fixée par ordre de service ; que, dans ces conditions, la SEMARDEL ne pouvait pas fonder, après mise en demeure, une résiliation du marché aux torts de l'entreprise sur l'absence de commencement d'exécution des travaux dans le délai de sept mois suivant la notification du courrier du 6 février 2008, la modification du planning par la société et le refus de celle-ci d'exécuter un ordre de service sans avoir émis de réserves à son encontre, alors qu'elle s'obstinait à faire commencer illégalement le début des travaux à une date nettement antérieure à la notification du marché ; que la société Vauché n'ayant ainsi commis aucune faute, la résiliation du marché était abusive ; que la SEMARDEL n'est, par suite, pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que cette résiliation irrégulière ouvrait droit à indemnisation au profit de la société Vauché conformément à l'article 46 sus rappelé du CCAG applicable ;

Sur l'indemnisation du préjudice subi par la société Vauché :

5. Considérant, en premier lieu, que si, en l'absence de toute faute de sa part, l'entreprise a droit à la réparation intégrale du préjudice résultant pour elle de la résiliation anticipée du contrat, y compris des frais qu'elle établit avoir engagés en vue de l'exécution du marché et du bénéfice qu'elle aurait été en droit d'attendre si le marché n'avait pas été résilié, les frais exposés par l'attributaire pour la présentation de son offre sont au nombre de ceux qu'il lui incombait normalement d'engager pour obtenir l'attribution du marché et qui devaient trouver leur contrepartie dans la rémunération afférente à la réalisation de ce dernier ; qu'en l'espèce, la société Vauché a droit à l'indemnisation du bénéfice escompté qui inclut nécessairement les frais de présentation de l'offre ; que, dans ces conditions, en l'absence de stipulations contractuelles prévoyant la prise en charge de ces frais par la société SEMARDEL, la société Vauché n'est pas fondée à demander à titre incident une indemnisation pour les études préparatoires nécessaires à la présentation de l'offre et à la préparation de la mise au point ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que si la société Vauché demande à être indemnisée des salaires et charges afférents à l'embauche de quatre nouveaux collaborateurs, ainsi que de la désorganisation consécutive à la résiliation en cause, elle n'établit pas plus en appel qu'en première instance la réalité de ces préjudices, ni leur lien avec la résiliation contestée ; que les conclusions présentées à ce titre doivent, dès lors, être rejetées ;

7. Considérant, en troisième lieu, que le bénéfice que la société pouvait normalement escompter de l'exécution du marché doit être calculé sur la marge nette que celle-ci pouvait réaliser en exécutant ledit marché ; que, si la société Vauché se prévaut d'une attestation, établie par son comptable, fixant son taux de marge nette à 34,35 % pour les exercices 2008 et 2010 et à 32,84 % pour l'exercice 2009, ce document, dépourvu de toute précision, ne saurait être regardé comme étant de nature à établir le taux de marge nette que la société aurait réalisé en exécutant le marché dont il s'agit ; qu'il ressort en revanche des comptes annuels de la société Vauché joints au dossier qu'elle a réalisé, pour l'exercice 2008, un bénéfice net de 856 447 euros pour un chiffre d'affaires de 13 176 230 euros, et, pour l'exercice 2009, un bénéfice de 378 198 euros pour un chiffre d'affaires de 18 980 280 euros, emportant des taux de marge nette respectifs de 6,5 % et 1,99 % ; qu'ainsi, au regard du montant du marché fixé à 4 480 871 euros, et sans qu'il soit besoin de faire droit à la demande d'expertise, il sera fait une juste appréciation du préjudice lié à la perte de bénéfice de la société Vauché en l'indemnisant sur la base d'un taux de marge nette de 5 %, appliqué au montant du marché, soit une indemnité de 224 043,55 euros ;

8. Considérant, enfin, que le tribunal administratif a rejeté comme irrecevables les conclusions de la société Vauché tendant à l'allocation d'une somme de 20 000 euros au titre de la résistance abusive et de l'argumentation légère de la SEMARDEL ; que, si la société Vauché reprend ces conclusions en appel, elle ne conteste pas l'irrecevabilité qui lui a été ainsi opposée ; que ces conclusions ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la SEMARDEL est seulement fondée à demander que le montant de l'indemnité allouée à la société Vauché par l'article 1er du jugement attaqué du Tribunal administratif de Versailles soit ramené à la somme de 224 043,55 euros et, d'autre part, que les conclusions d'appel incident de la société Vauché doivent être rejetées, ainsi que ses conclusions relatives au " remboursement des frais de recouvrement forcé, y compris ceux prévus à l'article 10 du décret du 12 décembre 1996 ", qui sont dépourvues de toute précision utile ;

Sur la suppression des passages injurieux, outrageants ou diffamatoires :

10. Considérant que, en vertu des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 reproduites à l'article L. 741-2 du code de justice administrative, les cours administratives d'appel peuvent, dans les causes dont elles sont saisies, prononcer, même d'office, la suppression des écrits injurieux, outrageants ou diffamatoires ;

11. Considérant que le passage du mémoire de la société Vauché dont la suppression est demandée par la SEMARDEL n'excède pas le droit à la libre discussion et ne présente pas un caractère injurieux ; que les conclusions tendant à sa suppression doivent par suite être rejetées ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, en l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Vauché le versement de la somme de 2 000 euros à la SEMARDEL ; que ces dispositions font obstacle à ce que les conclusions présentées par la société Vauché, partie perdante, soient accueillies ;
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 448 087,10 euros que la SEMARDEL a été condamnée à verser à la société Vauché par le jugement n° 1001724 du Tribunal administratif de Versailles en date du
28 décembre 2012 est ramenée à 224 043,55 euros.
Article 2 : L'article 1er du jugement n° 1001724 du Tribunal administratif de Versailles en date du 28 décembre 2012 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : La société Vauché versera la somme de 2 000 euros à la SEMARDEL en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SEMARDEL et les conclusions de la société Vauché sont rejetés.
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N° 13VE01136 2



Abstrats

39-04-02 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation.
39-04-02-03 Marchés et contrats administratifs. Fin des contrats. Résiliation. Droit à indemnité.

Source : DILA, 05/10/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Versailles

Date : 24/09/2015