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Cour Administrative d'Appel de Nancy, 3ème chambre - formation à 3, 19/03/2015, 14NC01210, Inédit au recueil Lebon

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Président : M. EVEN

Rapporteur : M. Olivier FUCHS

Commissaire du gouvernement : M. COLLIER

Avocat : SCP GARREAU BAUER-VIOLAS FESCHOTTE-DESBOIS


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la décision du 27 juin 2014 par lequel le Conseil d'État a transmis à la cour administrative d'appel de Nancy le jugement des conclusions de Mme D...C...dirigées contre le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 septembre 2013 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de France Télécom à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait de l'aggravation de son état de santé en raison de ses conditions de travail ;

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 décembre 2013 et 14 février 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme C... demeurant..., par la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100684 du 30 septembre 2013 en tant que par celui-ci le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de France Telecom à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis ;

2°) d'ordonner une expertise afin d'évaluer les préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que les premiers juges ont méconnu l'article R. 621-1 du code de justice administrative en déclarant irrecevable comme non chiffrée sa demande indemnitaire, alors qu'elle avait sollicité une expertise qui n'est pas frustratoire ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2014, présenté pour la société Orange, venant aux droits de la société France Telecom, par la SCP Flichy Grangé, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- la présentation des conclusions indemnitaires ne peut être vue comme ayant été précédée d'une demande préalable ;
- les demandes indemnitaires de la requérante sont prescrites en vertu des articles L. 431-2 et L. 711-4 du code de la sécurité sociale ;
- aucun manquement à la loi du 10 juillet 1991 et au décret du 29 mai 1992 ne peut être établi ;
- les préjudices allégués ne sont pas en lien direct et certain avec les faits reprochés ;
- la requérante ne produit aucun élément permettant d'apprécier la nature et l'étendue de ses préjudices qui, au demeurant, ne sont pas chiffrés ;
- la seconde expertise demandée par Mme C...n'est pas nécessaire ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 février 2015, présenté pour Mme C...par MeA..., qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens ;

Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 février 2015 :

- le rapport de M. Fuchs, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de Me B...pour la société Orange ;

1. Considérant que, par une décision du 27 juin 2014, le Conseil d'Etat a attribué à la cour administrative d'appel de Nancy le jugement des conclusions formées par MmeC..., fonctionnaire du ministère des postes et des télécommunications, puis de France Telecom devenu la société Orange, contre le jugement du tribunal administratif de Nancy du 30 septembre 2013 en tant que, par celui-ci, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à la condamnation de son employeur à réparer les préjudices subis du fait de l'aggravation de son état de santé en raison de ses conditions de travail ; que, par ce même arrêt, le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi formé par Mme C... contre ce jugement en tant qu'il lui refuse le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité ;
Sur la régularité du jugement attaqué, en ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

2. Considérant que Mme C...a demandé, en première instance, qu'une expertise soit ordonnée et s'est réservée la possibilité de chiffrer ultérieurement ses préjudices au vu des conclusions de cette expertise ; que si, en l'état du dossier dont il était saisi, le tribunal administratif a pu s'estimer suffisamment informé pour se prononcer sur les conclusions indemnitaires de la requérante et refuser, ainsi, d'ordonner une expertise n'ayant pas de caractère utile, il ne pouvait rejeter ces conclusions comme irrecevables en l'absence de chiffrage sans avoir au préalable invité l'intéressée à chiffrer le montant de ses prétentions ; que la circonstance qu'une fin de non-recevoir tirée de l'absence d'évaluation des préjudices subis a été opposée en défense avant que les premiers juges ne statuent sur la nécessité de l'expertise ne pouvait dispenser le tribunal d'inviter l'intéressée à procéder à une telle régularisation ; que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et doit donc être annulé ;

3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif de Nancy ;

Sur la fin de non-recevoir tirée de l'absence de demande préalable :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme C...a, par un courrier en date du 16 décembre 2010, sollicité auprès de la société Orange l'indemnisation de ses préjudices imputables aux fautes commises par son employeur du fait des manquements à la protection de ses agents ; qu'un requérant pouvant se borner à demander à l'administration la réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi et ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif, cette absence de chiffrage n'est pas de nature à rendre sa demande préalable irrégulière et à faire ainsi obstacle à la liaison du contentieux ; que la fin de non-recevoir opposée sur ce point par la société Orange doit donc être écartée ;

Sur la responsabilité de la société Orange :
5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 431-2 du code de la sécurité sociale : " Les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater : (...) 1°) du jour de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière ; 2°) dans les cas prévus respectivement au premier alinéa de l'article L. 443-1 et à l'article L. 443-2, de la date de la première constatation par le médecin traitant de la modification survenue dans l'état de la victime, sous réserve, en cas de contestation, de l'avis émis par l'expert ou de la date de cessation du paiement de l'indemnité journalière allouée en raison de la rechute (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 711-4 du même code : " Les délais de prescription mentionnés aux articles L. 332-1, L. 355-3 et L. 431-2 s'appliquent également dans les régimes spéciaux mentionnés à l'article L. 711-1 " ; que ces dispositions sont applicables aux prestations versées en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qui comprennent en particulier, en vertu de l'article L. 431-1 du même code, la prise en charge des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime, ainsi que les indemnités dues en raison des incapacités temporaires et permanentes de travail ; que, contrairement à ce que soutient la société Orange, elles ne s'appliquent donc pas, comme en l'espèce, à la demande formée par un fonctionnaire tendant à l'engagement de la responsabilité de son employeur ; qu'ainsi, la société Orange, venant aux droits de la société France Telecom, n'est pas fondée à soutenir que l'action en responsabilité engagée par la requérante à son encontre serait prescrite ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 3511-7 du code de la santé publique, issu de l'article 16 de la loi n° 76-616 du 10 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, telle que modifiée par la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 : " Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs " ; qu'aux termes de l'article R. 3511-1 du code de la santé publique, reprenant les dispositions du décret n° 92-478 du 29 mai 1992 fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif , l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l'article L. 3511-7 du même code s'applique " dans tous les lieux fermés ou couverts (...) qui constituent des lieux de travail " ;
7. Considérant que les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents ; qu'il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet ; qu'il leur incombe notamment de veiller au respect des dispositions de l'article 1er du décret du 29 mai 1992 fixant les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, reprises à l'article R. 355-28-1 puis à l'article R. 3511-1 du code de la santé publique ; que l'agent qui fait valoir que l'exposition au tabagisme passif sur son lieu de travail serait à l'origine de ses problèmes de santé peut rechercher la responsabilité de l'administration en excipant de la méconnaissance fautive par cette dernière de ses obligations rappelées ci-dessus ; que la circonstance que le caractère de maladie professionnelle soit reconnu à l'affection dont souffre cet agent ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une telle action fondée sur la faute de l'administration afin d'obtenir la réparation intégrale de l'ensemble du dommage, seuls les préjudices n'ayant pas déjà été intégralement réparés pouvant toutefois être indemnisés ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment d'une note interne de la société France Telecom du 22 juillet 2005 et des procès-verbaux du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail des 25 octobre 2005, 5 décembre 2005, 13 avril 2005 et 11 mai 2006, que de nombreux agents, affectés dans l'immeuble où travaille Mme C...depuis le 16 juillet 2004, fument dans les couloirs ou dans leurs bureaux en laissant la porte ouverte ; que le local laissé par France Telecom à disposition des fumeurs était dépourvu d'extracteur de fumée lors de sa création et n'a fait l'objet d'une mise en conformité, au plus tôt, qu'au début de l'année 2006 ; que l'architecture du bâtiment, présentant une partie centrale non cloisonnée, desservie par des couloirs et des escaliers périphériques, favorise les courants d'air et la propagation de la fumée dans l'ensemble des parties communes de l'immeuble, la diffusion de la fumée de tabac donnant lieu à de nombreuses plaintes du personnel non fumeur ; qu'il résulte par ailleurs de plusieurs documents à caractère médical et notamment du compte-rendu d'expertise du 19 septembre 2005, que la toux chronique de Mme C..., accompagnée de dyspnée modérée, dégénérant de façon épisodique en bronchite, a été au moins aggravée par le tabagisme passif auquel elle a été de nouveau exposée dans son milieu professionnel depuis 2004 ; qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société France Telecom, aux droits de laquelle vient la société Orange, a méconnu les dispositions précitées du code de la santé publique et a ainsi commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de MmeC... qui présente un lien de causalité direct avec l'affection dont elle souffre ;
9. Considérant, en dernier lieu, que Mme C...s'est réservée de chiffrer sa demande d'indemnité au vu des conclusions de l'expertise qu'elle sollicite ; que la cour est suffisamment informée par les pièces du dossier et, notamment, par le rapport d'expertise du 19 septembre 2005 pour évaluer le préjudice indemnisable ; qu'ainsi, cette mesure d'instruction n'a pas de caractère utile ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence, d'inviter Mme C...à chiffrer sa demande dans un délai de 30 jours à compter de la notification du présent arrêt ;

D E C I D E :


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nancy en date du 30 septembre 2013 est annulé en tant qu'il rejette la demande de Mme C... tendant à la condamnation de France Telecom à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis.

Article 2 : Les conclusions indemnitaires de Mme C...dirigées contre la société Orange, venant aux droits de la société France Telecom, sont accueillies.

Article 3 : Il est enjoint à Mme C...de chiffrer ses préjudices et de produire tous éléments utiles pour procéder à cette évaluation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas statué sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...C...et à la société Orange, venant aux droits de la société France Telecom.

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N° 14NC01210



Abstrats

54-04-02-02-01-01 Procédure. Instruction. Moyens d'investigation. Expertise. Recours à l'expertise. Caractère frustratoire.
54-07-01-02 Procédure. Pouvoirs et devoirs du juge. Questions générales. Sursis à statuer.
60-01-02-02 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité pour faute.

Source : DILA, 09/04/2015, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Cour administrative d'appel

SIEGE : CAA Nancy

Date : 19/03/2015