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Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, 16/12/2009, 320840

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Président : M. Stirn

Rapporteur : Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir

Commissaire du gouvernement : M. Boulouis Nicolas

Avocat : SCP VIER, BARTHELEMY, MATUCHANSKY


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés le 19 septembre et le 18 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, du MINISTRE DE LA DEFENSE ; le MINISTRE DE LA DEFENSE demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 10 juillet 2008 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a, à la demande de Mme A, annulé les décisions des 22 et 28 février 2008 portant refus d'admettre le bien-fondé de retrait exercé par Mme A et convocation à une visite médicale ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A devant le tribunal administratif de Strasbourg et tendant à l'annulation de la décision de l'autorité militaire du 22 février 2008 lui refusant l'exercice du droit de retrait et la convoquant à une visite médicale ;


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 novembre 2009, présentée par le MINISTRE DE LA DEFENSE ;

Vu le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;

Vu le décret n° 85-755 du 19 juillet 1985 ;

Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, Auditeur,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de Mme A,

- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, rapporteur public ;


La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de Mme A ;




Considérant que Mme A, assistante sociale de la fonction publique hospitalière, a été détachée dans la fonction publique de l'Etat auprès des services du ministère de la défense, puis, après avoir obtenu, par jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 11 octobre 2006, l'annulation du refus d'intégration qui lui avait été opposé, intégrée dans la fonction publique de l'Etat à compter du 1er janvier 2006 ; qu'affectée à l'échelon social d'Illkirch-Graffenstaden, elle s'est plainte d'agissements à son encontre de l'autorité militaire qu'elle considérait comme constitutifs de harcèlement moral ; qu'après avoir été victime d'un malaise cardiaque sur son lieu de travail, le 30 janvier 2007, elle a, par deux courriers du 12 février 2008, informé son employeur qu'elle mettait en oeuvre son droit de retrait, estimant sa vie ou sa santé exposées à un risque grave et imminent à raison du harcèlement moral dont elle estimait être l'objet ; que le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail compétent s'est réuni le même jour ; que le général B, commandant la région terre - nord-est a fait connaître à Mme A, par une décision du 22 février 2008, qu'il estimait que les conditions d'exercice du droit de retrait n'étaient pas remplies ; que par courrier du 28 février 2008, Mme A a été invitée à se rendre à une visite médicale, le 19 mars suivant ; que Mme A a demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation de ces deux décisions ; que par jugement du 10 juillet 2008, contre lequel le MINISTRE DE LA DEFENSE se pourvoit en cassation, le tribunal a fait droit à cette demande ;

Sur la régularité du jugement :

Considérant que, si le jugement ne porte pas mention d'un mémoire en date du 19 mai 2008 du MINISTRE DE LA DEFENSE et d'un mémoire en date du 9 juin 2008 de Mme A, ces deux mémoires, même accompagnés d'un bref commentaire des pièces produites, étaient des mémoires de production que le tribunal administratif n'avait pas l'obligation de viser ;

Considérant que si le MINISTRE DE LA DEFENSE n'a disposé que d'un bref délai pour répliquer au mémoire en date du 6 juin 2008 de Mme A, et prendre connaissance des pièces produites par elle le 9 juin suivant, ainsi qu'à un nouveau mémoire en date du 17 juin 2008, il a produit le 20 juin, avant la clôture de l'instruction, un mémoire en réplique et ne soutient pas qu'il n'aurait pas disposé d'un temps suffisant pour faire valoir, dans ce mémoire, les éléments qu'il estimait nécessaires à la défense de l'Etat ; que par suite le moyen tiré de ce que l'insuffisance du délai pour répliquer aux écritures de Mme A révélerait un manquement au principe du caractère contradictoire de la procédure doit être écarté ;

Sur le bien fondé du jugement en tant qu'il annule la décision du 28 février 2008 convoquant Mme A à une visite médicale :

Considérant que le tribunal a annulé cette décision par voie de conséquence de l'annulation de la décision du 22 février 2008 refusant à Mme A le bénéfice du droit de retrait ; que, même si la visite médicale avait déjà eu lieu à la date à laquelle il a statué, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit en ne prononçant pas un non-lieu à statuer sur les conclusions dirigées contre la décision de convocation ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE ne soulevant pas d'autre moyen à l'encontre du jugement en tant qu'il annule cette décision, ses conclusions dirigées contre cette partie du jugement ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur le bien fondé du jugement en tant qu'il annule la décision du 22 février 2008 refusant à Mme A le bénéfice du droit de retrait :

Considérant que pour annuler cette décision, le tribunal s'est fondé sur certaines irrégularités qui auraient affecté la réunion du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail, qui doit être obligatoirement saisi lorsqu'un agent met en oeuvre son droit de retrait ; que, faute d'avoir répondu au moyen, non inopérant, soulevé devant lui par le MINISTRE DE LA DEFENSE et tiré de ce que les circonstances d'urgence dans lesquelles s'était réuni ce comité devaient conduire à regarder ces éventuelles irrégularités comme n'ayant pas affecté la légalité de la procédure, le tribunal a insuffisamment motivé son jugement ; que le MINISTRE DE LA DEFENSE est donc fondé à en demander, dans la mesure où il statue sur la décision du 22 février 2008, l'annulation ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en statuant sur la demande de Mme A tendant à l'annulation de la décision du 22 février 2008 lui refusant le bénéfice du droit de retrait ;

Considérant qu'aux termes de l'article 10 du décret du 19 juillet 1985 relatif à l'hygiène, à la sécurité du travail et à la prévention au ministère de la défense : Si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, il avise immédiatement le chef de son organisme employeur ou son représentant (...). En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le chef de l'organisme arrête les mesures à prendre, après application de la procédure définie par l'arrêté portant organisation des comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail ; qu'aux termes de l'article 19 de l'arrêté du MINISTRE DE LA DEFENSE du 22 avril 1997 sur les comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail : En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, notamment par un arrêt du travail, de la machine ou de l'installation, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est réuni d'urgence, et, en tout état de cause dans un délai n'excédant pas vingt-quatre heures. L'inspection du travail dans les armées et le coordinateur central à la prévention sont informés de cette réunion et peuvent y assister. Après avoir pris connaissance de l'avis émis par le comité, le chef de l'organisme concerné arrête les mesures à prendre ; qu'en vertu de l'article 10 du même arrêté, le comité est composé, avec voix délibérative, du chef de l'organisme, ou son représentant, président, du ou des médecins de prévention, du ou des chargés de prévention, de représentants titulaires du personnel civil ;

Considérant que le général B, en sa qualité de chef de l'organisme employeur , au sens des dispositions précitées, était compétent pour signer la décision refusant à Mme A le bénéfice du droit de retrait ;

Considérant que l'absence à la réunion du comité d'hygiène et de sécurité du médecin de prévention, qui avait été dûment convoqué, n'est pas, compte tenu des circonstances d'urgence qui ont présidé à l'organisation de cette réunion, de nature à en avoir affecté la régularité ; qu'il en est de même de l'absence à cette même réunion de l'assistant social, qui y siège en outre avec voix consultative, du caractère incomplet de la feuille d'émargement, du défaut de signature du procès verbal de cette réunion, outre par son président, des deux autres membres du comité prévus par l'arrêté du 22 avril 1997, et de la présence, alléguée par Mme A, d'un agent de prévention , aux lieu et place d'un chargé de prévention ; que si Mme A soutient que le quorum n'était pas atteint lors de cette réunion, elle n'apporte aucun élément au soutien de cette allégation ; que la personne qui a présidé la réunion du comité avait qualité pour le faire ; que si Mme A soutient que l'inspection du travail dans les armées n'aurait pas été informée en temps utile, il ressort de l'attestation émanant de ce service, produite devant le Conseil d'Etat, que cette information a eu lieu ; que Mme A a régulièrement reçu le procès verbal de la réunion du comité à son adresse professionnelle ; que la circonstance que le comité ait constaté qu'il n'était pas en capacité de porter une appréciation sur l'état de santé de l'intéressée n'est pas de nature à avoir entaché la régularité de sa consultation ;

Considérant qu'après avoir recueilli l'avis du comité d'hygiène et de sécurité, l'administration a convoqué Mme A à une visite médicale afin d'évaluer son état de santé, qui était le motif invoqué par l'intéressée pour faire valoir son droit de retrait ; que l'administration, qui estimait que les conditions d'exercice par Mme A de ce droit n'étaient pas réunies, doit donc être regardée comme ayant pris les mesures prévues par les dispositions précitées du décret du 19 juillet 1985 et de l'arrêté du 22 avril 1997 ;

Considérant qu'à supposer même que Mme A, qui faisait valoir avec insistance auprès de sa hiérarchie son souhait d'être mutée en Guadeloupe, alors qu'aucun poste n'y était vacant, ait été en retour l'objet d'agissements constitutifs de harcèlement moral, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en estimant qu'elle ne se trouvait pas de ce fait en situation de danger grave et imminent, malgré le stress intense qu'elle indiquait ressentir et en dépit des problèmes de santé qu'elle rencontrait, mais dont la commission de réforme avait estimé qu'ils étaient sans lien avec son activité professionnelle, l'administration ait commis une erreur d'appréciation ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision lui refusant le bénéfice du droit de retrait ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le paiement de la somme que demande Mme A au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;




D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le jugement du 10 juillet 2008 du tribunal administratif de Strasbourg est annulé en tant qu'il a annulé la décision en date du 22 février 2008 refusant à Mme A le bénéfice du droit de retrait.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme A devant le tribunal administratif de Strasbourg et tendant à l'annulation de la décision du 22 février 2008 sont rejetées, ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au MINISTRE DE LA DEFENSE et à Mme Salomé A.

Abstrats

36-07 FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS. STATUTS, DROITS, OBLIGATIONS ET GARANTIES. - DROIT DE RETRAIT - CONTRÔLE NORMAL DU JUGE SUR LES MOTIFS D'UNE DÉCISION REFUSANT LE BÉNÉFICE DU DROIT DE RETRAIT.
54-07-02-03 PROCÉDURE. POUVOIRS ET DEVOIRS DU JUGE. CONTRÔLE DU JUGE DE L'EXCÈS DE POUVOIR. APPRÉCIATIONS SOUMISES À UN CONTRÔLE NORMAL. - DÉCISION REFUSANT LE BÉNÉFICE DU DROIT DE RETRAIT.

Résumé

36-07 Administration ayant refusé le bénéfice du droit de retrait à un agent public. A supposer même que ce dernier, qui faisait valoir avec insistance auprès de sa hiérarchie son souhait d'être muté dans un département où aucun poste n'était vacant, ait été en retour l'objet d'agissements constitutifs de harcèlement moral, cet agent ne se trouvait pas de ce fait en situation de danger grave et imminent, malgré le « stress intense » qu'il indiquait ressentir et en dépit de ses problèmes de santé, mais dont la commission de réforme avait estimé qu'ils étaient sans lien avec son activité professionnelle. L'administration n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
54-07-02-03 Administration ayant refusé le bénéfice du droit de retrait à un agent public. A supposer même que ce dernier, qui faisait valoir avec insistance auprès de sa hiérarchie son souhait d'être muté dans un département où aucun poste n'était vacant, ait été en retour l'objet d'agissements constitutifs de harcèlement moral, cet agent ne se trouvait pas de ce fait en situation de danger grave et imminent, malgré le « stress intense » qu'il indiquait ressentir et en dépit de ses problèmes de santé, mais dont la commission de réforme avait estimé qu'ils étaient sans lien avec son activité professionnelle. L'administration n'a pas commis d'erreur d'appréciation.

Source : DILA, 02/10/2010, https://www.legifrance.gouv.fr/

Informations sur ce texte

TYPE DE JURISPRUDENCE : Juridiction administrative

JURIDICTION : Conseil d'État

Date : 16/12/2009